Les difficultés
s'accumulent mais la lame de fond n'a pas épuisé ses effets.
Une élection
présidentielle se tiendra «avant la fin juin 2012» en Egypte, a annoncé mardi
22 novembre le chef du Conseil militaire au pouvoir, le maréchal Hussein Tantaoui. Les élections législatives se tiendront quant à
elles conformément au calendrier prévu, à partir de lundi prochain, a-t-il
ajouté. Il a par ailleurs assuré que l'armée était prête à organiser un
référendum sur le transfert de pouvoir à une autorité civile. Cette échéance
présidentielle, faute de calendrier précis, pourrait n'intervenir en réalité
qu'en 2013. L'armée s'est engagée à remettre le pouvoir aux civils une fois élu
un nouveau président. L'armée est aussi prête à organiser « en cas de nécessité
» un référendum sur le transfert de pouvoir « si le peuple le souhaite », a
poursuivi le chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), « l'armée ne
veut pas le pouvoir et met les intérêts du peuple au-delà de toute
considération. Elle est tout à fait prête à remettre les responsabilités
immédiatement si le peuple le souhaite, à travers un référendum populaire ». «
Dégage! », continuent à scander à l'adresse du maréchal les milliers de manifestants
méfiants rassemblés à Tahrir, reprenant le slogan
lancé à l'époque de la révolte contre l'ex-président. Lundi, le CSFA avait
reconnu, pour la première fois depuis le début des violences, que le pays était
« en crise ». Des affrontements ont également éclaté dans les villes
d'Alexandrie et Port-Saïd (nord), Suez, Qena(centre),
Assiout et Aswane (sud), ainsi que dans la province
de Daqahliya, dans le delta du Nil. Le sentiment de «
surplace » prévaut un peu partout : la pression révolutionnaire impulsée, à la
surprise de tous, à la fin de l'hiver et au printemps, tout d'abord en Tunisie
puis dans le pays arabe le plus important, l'Egypte, pour gagner enfin de
nombreux autres pays, semble marquer le pas, douchant les enthousiasmes et
réveillant doutes et craintes dans le monde arabe.
SYRIE : PROMESSES
DE « REFORMES »ENTRE DEUX BAINS DE SANG
Faut-il
d'ailleurs parler de révolution arabe ? A juste raison, Didier Billion, de
l'Institut de géopolitique IRIS) fait remarquer qu'il n'y a eu de révolution
stricto sensu qu'en Tunisie, avec le départ, sous la pression de la rue, de Ben
Ali. Le processus est aujourd'hui conforté par l'élection au suffrage universel
d'une assemblée constituante qui aura pour tâche de donner de nouveaux
fondements constitutionnels à la République tunisienne.
Dans le cas de
l'Egypte, le terme de révolution est beaucoup plus ambigu : le mouvement
populaire a bien chassé Hosni Moubarak mais l'armée, qui l'a autorisé, est bien
restée au centre de toute la machinerie économico-politique.
Le bras de fer actuel au Caire, autour de la très symbolique place Tahrir, et à la veille des élections parlementaires, montre
bien que les forces armées entendent garder durablement le contrôle du
processus politique, ce qui est vivement contesté par une partie de l'opinion.
Le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, est arrivé hier en Arabie Saoudite
pour signer un accord sur le transfert de ses pouvoirs. En vertu d'un plan mis
au point par les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG, organisation qui
regroupe six pays de la région, dont l'Arabie Saoudite), le président Saleh
doit transférer ses pouvoirs au vice-président, Abd-Rabbou
Mansour Hadi, avant la
tenue d'élections anticipées. Mais Saleh a reculé trois fois au dernier moment
lorsqu'il devait signer des projets d'accord sur son retrait, qui visent à
mettre un terme à des mois de contestation violente contre son régime. La
résistance de la « société ancienne » face aux exigences de la « société
nouvelle » est encore plus crûment constatée en Syrie avec l'insupportable
répression de la contestation populaire par Bachar al-Assad, qui alterne avec un parfait cynisme le rameau
d'olivier, en promesse d'apaisement, et le gourdin ensanglanté en réponse
réelle. Rappelons-nous : le 16 mars dernier, les forces de sécurité
dispersaient un premier rassemblement silencieux place Marjeh,
à Damas, où 150 manifestants brandissaient des photos de proches ou d'amis
emprisonnés. Le 24 mars, Bachar al-Assad
ordonne la création d'une commission chargée de réfléchir aux moyens
d'accroître le niveau de vie de la population syrienne et de supprimer les lois
d'urgence en vigueur depuis 48 ans. Le 30 mars, Assad
sort de son silence dans un discours au parlement retransmis par la télévision
syrienne. Il promet de nouvelles réformes et jure l'apaisement. Le 22 avril, la
répression s'emballe et fait une centaine de morts dans le pays. Les forces
armées prennent le contrôle, le 12 juin, de la ville de Djisr
al-Choghour, des milliers d'habitants fuient en
Turquie (où sera constitué le 15 septembre par l'opposition le Conseil national
syrien - CNS). Dans son troisième discours depuis le début de la contestation, Assad promet à nouveau le 20 juin de poursuivre un dialogue
national sur les réformes, tout en aggravant la répression. Son intransigeance
tient à la fois à une tradition familiale d'exercice brutal du pouvoir, aux
pressions de son clan qui contrôle l'appareil d'Etat et les rouages financiers
et aux très faibles possibilités réelles d'une « réconciliation nationale ».
Enfin, très isolé, Assad peut encore compter sur le
soutien de son allié iranien.
Le 2 novembre, la Syrie a accepté un plan
préparé par la Ligue
arabe qui prévoit le retrait des soldats des villes, la libération de
prisonniers politiques et l'ouverture de discussions avec l'opposition. Le
lendemain, l'opposition fait état de onze morts sous les balles des forces de
sécurité à Homs. Aujourd'hui, Damas, suspendu de sa participation à la Ligue arabe, ne respecte
pas, contrairement à sa promesse, le plan de sortie de crise présenté par la Ligue, qui prévoyait la fin
des violences, le retrait des troupes des villes, la libération de milliers de
détenus et l'envoi d'une mission d'observateurs arabes. La répression de la
contestation se poursuivra malgré les pressions internationales, affirme le
président Bachar al-Assad
dans un entretien au Sunday Times, « la Syrie ne cédera pas aux violences».
Le 8 novembre, le bilan de la répression
dépassait les 3.500 morts, selon le Haut-Commissariat
aux droits de l'homme de l'ONU. La même commission a adopté mardi une
résolution condamnant la répression sanglante des manifestations en Syrie, les
pays européens espérant que le Conseil de sécurité lui emboîtera le pas.
ENIGMATIQUE «
COMMUNAUTE INTERNATIONALE »
Il est peu probable
que ce soit le cas. Barack Obama
multiplie les appels à la démission de Bachar al-Assad, il est peu probable que la Chine et la Russie lui emboîtent le
pas. Moscou et Pékin ont été refroidis par l'affaire libyenne. Selon eux, la
résolution 1973 (sur laquelle ils se sont abstenus) de l'ONU, qui permettait
une intervention militaire aérienne occidentale, a été interprétée de façon
unilatérale et très excessive par les Etats-Unis, l'Angleterre et la France : cette résolution
ne prévoyait à l'évidence ni le renversement de l'Etat libyen par la force, ni
a fortiori le lynchage physique de son dirigeant.
Les prises de positions de l'ONU, de l'Union
européenne, de l'Otan, de la
Ligue arabe reflètent néanmoins l'opinion de la communauté
internationale. « Communauté internationale ? ». Didier Billion reste quelque
peu « dubitatif » sur ce concept et préfère voir l'expression de coalitions
ponctuelles d'intérêts nationaux. La dimension pétrolière était évidemment au
premier rang des préoccupations de la coalition « humanitaire » américano-anglo-française.
Certes, les massacres répétés de populations
civiles, le bâillonnement de toute voix contestataire, l'écrasement de toute
demande démocratique émeuvent sincèrement les opinions publiques et vont même
jusqu'à interpeller les froids appareils d'Etat. On sait bien par ailleurs que
les mouvements sociopolitiques qui se déroulent dans le monde arabe, s'ils ne
constituent pas tous les prémices de « révolution » nationale, sont bien
l'expression d'une lame de fond démocratique qui verra ses effets se produire
sur des années, voire des décennies, avec ses inévitables avancées et reculs,
ses conquêtes et ses défaites. Après tout, la révolution française de 1789
s'est achevée en réalité en 1848 avec le rétablissement (de surcroît, ponctuel)
de la République.
« Comment, dans ce contexte mouvant mais
prometteur sur le long terme, s'interroge Thierry de Montbrial
de l'IFRI, ne pas relever que le « printemps arabe »,
loin d'être vraiment perçu comme une chance dans les pays porteurs des valeurs
de la démocratie et des droits de l'Homme, suscite autant d'inquiétudes que
d'espoirs, comme si l'on redoutait surtout de perdre le contrôle face aux
conséquences ultimes de cette nouvelle déstabilisation, à l'instar des
Israéliens ou des Chrétiens d'Orient ? Comment ne pas déplorer aussi, au
passage, le leadership décevant du président Obama en
matière internationale - auquel le prix Nobel de la paix avait été décerné l'an
dernier en quelque sorte à crédit - ? ».
Loin du discours éclairé prononcé par Obama au Caire, les Etats-Unis tâtonnent au Moyen-Orient.
Les USA traversent en effet une période de doute existentiel sur le destin
particulier et exemplaire que s'accordait cette grande nation. Sur le plan
économique, le modèle américain, largement basé sur l'endettement et la
toute-puissance du dollar, ne fonctionne plus. Démocrates et républicains
s'écharpent à l'infini, mais les outrances des uns et des autres révèlent
surtout « l'incapacité prolongée de s'accorder sur une stratégie de réduction
de la dette qui justifie la dégradation de la note souveraine de la première
puissance économique mondiale ». Géant surarmé, les Etats-Unis multiplient les
revers et les embourbements militaires.
L'Europe, première zone de richesse mondiale,
multiplie les sommets où les Européens confessent leur impuissance et leurs
divisions. « La Chine
a ses difficultés intérieures et l'on tremble à l'idée qu'elle pourrait se
trouver confrontée à une crise économique et sociale sérieuse. Les conséquences
régionales et mondiales en seraient dramatiques. Pékin donne la priorité à ses
propres affaires. Les Chinois entendent participer - au rang qui leur revient -
à la gouvernance monétaire internationale, par exemple, mais leur expérience
historique ne les prédispose pas au leadership mondial et ils n'ont
actuellement aucune prétention dans ce domaine. Ce qui est vrai pour la Chine l'est a fortiori pour
d'autres Etats comme la Russie,
l'Inde ou le Brésil », conclut Montbrial.
CALIFAT ET
REPUBLIQUE
A la fin des années
80, Francis Fukuyama voyait dans la victoire idéologique de l'Occident face à
l'Union soviétique, la promesse d'une « fin de l'histoire » et l'entrée dans
une ère consensuelle et apaisée, où régneraient la démocratie parlementaire et
le marché. On en est loin ! Mais il avait raison sur un point : les difficultés
nouvelles imposent à l'humanité des concepts nouveaux. La difficulté est que
ces moteurs de transformation innovants naissent nécessairement dans des
alambics anciens et que les discours de réformes modernes apparaissent par
nécessité dans des formations politiques ou idéologiques traditionnelles.
L'ancien et le nouveau, le vieux et le neuf sont inévitablement liés.
La « révolution
arabe » a ainsi permis à la formation islamique Ennahdha de prendre
démocratiquement le pouvoir en Tunisie. Lundi, les Frères musulmans gagneront
peut-être les élections en Egypte. Ces formations devront avant toute chose
restaurer des économies en difficulté dans un contexte de crise internationale
difficile.
Le nouveau
Premier ministre tunisien Hamadi Jebali
s'est distingué, il y a quelques jours, en appelant de ses vÅ“ux un sixième
califat, tout en rappelant que son mouvement se réclamait d'un « régime
républicain et démocratique ». Compliqué. Rappelons-lui que le 5e califat,
ottoman, s'est achevé en 1924, avec l'avènement de la République laïque turque.
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Posté Le : 24/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Pierre Morville
Source : www.lequotidien-oran.com