Algérie

RÊVES, MYTHES ET RÉALITÉS



Publié le 10.10.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Livres

Au-delà de mes rêves. Roman de Jughurtha Abbou. Editions Dalimen, Alger 2024, 336 pages, 1.200 dinars


Les rêves de Tarek, le personnage central du roman, d'origine maghrébine (Algérien du village d'Amdoun, en Kabylie), conteur et rêveur, sont assez particuliers. Ils sont prémonitoires, lui font pousser des ailes et l'emmènent vers des aventures aux issues rocambolesques. Car un rêveur, ça gêne énormément. «Ce que je voyais de nuit se réalisait le jour suivant», dit-il. Tarik est sollicité par les villageois pour l'interprétation de leurs rêves. «Une foule nombreuse se bousculait autour de moi. On me conviait parfois à changer de vocation. On me faisait porter alors la tunique du sage appelé à résoudre les litiges.»

A l'école, alors que ses petits camarades expriment leur souhait de devenir commerçant ou médecin plus tard, lui affirme haut et fort qu'il se voit bien endosser le costume de prophète. Tarik est orphelin de père. Il peut toutefois compter sur la protection et l'affection de son oncle ; ce soutien lui sera salutaire le jour où les intégristes de son village décident de le lyncher pour avoir placardé l'un de ses poèmes sur les murs de la mosquée. Chasse aux sorcières et lever de boucliers ! Tarik est voué aux gémonies.

C'est, aussi, l'histoire de plusieurs personnages confrontés à de multiples défis dans des contextes politiques pour la plupart assez difficiles, avec ses préjugés, l'intolérance, l'exclusion, le racisme, la violence, les pensées rétrogrades, les idées patriarcales,... Dans son pays natal, dans son village, en ville, à l'étranger, en liberté, en prison. Il traversera différentes époques : les années noires, les attentats des années 90, le Printemps berbère, le Hirak... D'exil en exil ! Une navigation entre rêves et réalités traversée, heureusement, par quelques rares instants de bonheur, des situations d'amour... et des retrouvailles sur les cimes des montagnes qui l'ont vu grandir. Fort heureusement, le récit aborde aussi des thèmes universels tels que l'espoir, le courage et la résilience face à l'adversité, tout en offrant une critique sociale des difficultés d'intégration et des stéréotypes culturels.

Au final, «Au-delà de mes rêves» est une «invitation» à réfléchir sur l'importance de l'empathie et de la compréhension entre les cultures. Une leçon à tirer avec l'auteur (et le personnage central du roman) : Il faut croire en ses rêves. Il faut chercher à les réaliser !

L'Auteur : Écrivain et poète. Né en 1984, spécialiste en psychologie sociale... Enseignant universitaire puis chef de projet dans une entreprise publique. Ancien membre du Conseil national puis Secrétaire national à la communication du Ffs. Animateur d'un club de lecture pour enfants. Déjà auteur d'un premier roman, préfacé par Mustapha Benfodil, ce qui n'est pas rien («Les maux conjugués»), en 2022, d'un essai sur Ait Ahmed, toujours en 2022, et d'un recueil de poésie.

Extraits : «Les nôtres qualifient de mort divine tout décès survenant pour cause de maladie. Le reste, le meurtre, l'assassinat, le crime, la tuerie, ne relèvent pas de la planification céleste» (p18), «Chiffre cinq, chiffre mystique, cinq piliers, cinq prières, cinq doigts d'une main qui conjure le mauvais œil, éloigne les envieux, les haineux, les jaloux, les hypocrites qui vous sourient à la face et vous poignarde dans le dos. Ils sont si nombreux qu'il faut cinq mains de cinq doigts chacune» (p26), «L'écrivain se joue de ses personnages, il leur attribue des noms, des rôles, des caractères, des qualités, des défauts... Il décide de leur sort, les tue quand il veut et les ressuscite quand il veut. Il est leur maître, leur seigneur, leur dieu, il se joue d'eux comme la vie se joue de nous» (p 279).

Avis - Les rêves sont, parfois, sinon toujours, insaisissables, souvent indéchiffrables... par le commun des mortels. Un ouvrage empli de rêves. C'est, aussi, une invitation au rêve, un onirisme enivrant, où les temps et les espaces se fondent et se confondent.

Citations : «Les bonbons savent corrompre les âmes des bambins, autant que l'argent sait pervertir celles des adultes» (p31), «Le rêve, c'est comme l'amour, il n'a pas d'âge» (p36), «Un poème et voilà le village divisé» (p83), «L'exil est le meilleur remède contre le souvenir et le meilleur espoir pour l'avenir» (p 97), «Nul n'est prophète en son pays, surtout pas le poète qui préfère suivre son âme plutôt que la foule, ni le leader qui se refuse d'être guidé, car animé par la conviction d'être créé pour indiquer le chemin» (p129), «Tomber amoureux, c'est un peu tomber malade, c'est aussi tomber de travers, ou alors, tomber des nues, tomber amoureux, c'était tomber, tout court» (p 215), «Écrivain, c'est peut-être le seul métier qui ne demande pas un casier judiciaire. Il demeure que c'est le plus délicat de tous» (p 250).


Le Mythe en héritage... Recueil de chroniques. Ouvrage de Mohammed Abbou. Editions Hikma, Alger 2011, 235 pages, 700 dinars.*


La chronique journalistique est, dans la presse contemporaine (avec le billet) un genre majeur ... Texte pas trop long ni trop court. Juste ce qu'il faut pour que le lecteur le lise en allant jusqu'à la fin (morceau le plus savoureux).

N'y réussit pas qui veut !

En général, ce sont les journalistes les plus expérimentés qui s'y versent. Lorsqu'ils sont fins observateurs ou observateurs finauds, ils vont au billet, un genre encore plus difficile, le texte étant assez court.

Il arrive cependant que des collaborateurs extérieurs dominent le genre. Ce sont surtout des universitaires... ayant une certaine expérience du terrain. Le savant mélange de savoir, de connaissance de la vie, de pédagogie, et... pour peu qu'il y ait de style ! C'est le cas de Mohammed Abbou. Ancien recteur d'Université, ancien ministre, ancien député de l'Apn, membre actuel du Conseil constitutionnel. Ouf !

Vingt deux (22) chroniques, publiées dans Le Quotidien d'Oran. Ni fables, ni rêveries, ni histoires. Toujours une sentence au début (Ex : Dans «La foi buissonnière» qui aborde la «bigoterie frénétique» qui a pris la société algérienne : «Je ne servirai pas Dieu comme un laboureur qui attend son salaire» un dit de Rabia El Adawia), et une morale ou un adage à la fin («La prière des Caïds, c'est le Vendredi et l'Aïd).

Autres bons mots : «Notre pays, nous ne le gérons pas, nous le distribuons», «La mythomanie n'est plus une affaire d'individu, mais se vit en groupe», «De la hiérarchie du hasard ne peut naître qu'une société par défaut», «L'intelligence, brimée, voit sa sphère s'atrophier et l'inconséquence s'engouffre dans tous les domaines où la gouvernance est en faillite». «La loi n'est pas violée, elle est abandonnée»... Beaucoup trop d'interrogations alors qu'on a besoin de réponses. Mais, la Vie, notre vie quotidienne de «marcheur solitaire que nous sommes», racontée en diagonale, de manière ludique, légère.

Avis - A lire. A consommer avec modération. Une chronique chaque matin avant de sortir du domicile. Ceci vous permettra d'être «averti» de ce que allez voir, ou rencontrer à la sortie de votre domicile, ou sur la route, ou sur les lieux de travail, ou... Un homme averti en vaut deux. Le Conseil constitutionnel a gagné un bon juriste. La presse a perdu un grand écrivant. Dommage ! Vivement que son mandat se termine et qu'il revienne à l'écriture.



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