Un vent de
fraîcheur accompagne Moncef Marzouki, qui est encore dans l'utopie du militant.
Mais entre l'utopie et l'illusion, l'écart est mince.
Moncef Marzouki a
laissé un sentiment contrasté en Algérie. A l'issue d'une visite de deux jours,
qui couronnait sa première tournée maghrébine, en pleine vague de froid, le
président tunisien a surpris ses interlocuteurs, en présentant un étonnant
cocktail fait d'un mélange de naïveté, de sincérité qui frise l'amateurisme,
tout en faisant preuve de solides convictions et d'une détermination sans
faille.
La qualité du
personnage a été unanimement saluée. L'homme est un militant entier, avec un
engagement total en faveur de causes inattaquables. Il croit à la démocratie,
aux Droits de l'Homme, et au Maghreb. Il a longuement milité pour ces causes,
il fait de la prison et subi l'exil. Son parcours est unanimement salué.
L'homme continue
aussi de porter des utopies. Il croit à l'avenir de son pays dans un cadre
maghrébin, et lie le tout à la démocratie.
Ce qui l'a amené
à formuler les cinq libertés dont il veut faire les piliers de l'édification du
Maghreb : liberté de déplacement, de résidence, de travail, d'investissement,
de participations aux élections municipales dans tous les Etats de l'Union du
Maghreb arabe (UMA).
Le parcours de M.
Marzouki l'a profondément marqué. Son père a été exilé au Maroc, et lui-même a
effectué une partie de sa scolarité dans ce pays. Sa sÅ“ur est d'ailleurs
établie au Maroc. Plus tard, l'exil et la prison ont renforcé ses convictions
démocratiques, dans une région où les régimes autoritaires étaient soutenus par
l'Occident car considérés comme un rempart contre l'intégrisme. Il a pu donc
mesurer l'attitude ambiguë des Occidentaux envers les sociétés musulmanes.
Moncef Marzouki
n'a pas lésiné sur les symboles. Il ne porte toujours pas de cravate, et lors
de sa visite au Maroc, il a tenu à passer la nuit chez sa sÅ“ur plutôt que dans
une résidence officielle. En Algérie, il s'est recueilli sur la tombe de Youcef
Fethallah, ancien président de la
Ligue algérienne des droits de l'Homme, avant de rencontrer
des intellectuels et militants des Droits de l'Homme, dans un cadre qui n'était
pas forcément fait pour plaire aux caciques du pouvoir algérien. L'enthousiasme
de Marzouki n'emporte cependant pas toujours l'adhésion des dirigeants qu'il
rencontre. Parfois, c'est de l'incompréhension, quand ce n'est pas de
l'hostilité. En Algérie, on le lui fait bien sentir, même si la visite s'est
passée dans de bonnes conditions. A demi-mot, on a laissé entendre que le chef
de l'état tunisien était porteur d'un agenda politique qui ne serait pas le
sien. On rappelait tout aussi discrètement que l'homme n'est devenu chef d'état
provisoire que parce que les islamistes d'Ennahdha ne voulaient pas trop se
mettre avant. Ceux qui murmurent aux oreilles des journalistes ont aussi relevé
que l'enthousiasme du chef de l'état tunisien pour l'idée maghrébine recoupe
curieusement de fortes pressions occidentales en ce sens. Mais l'agacement
algérien était du au décalage entre leur perception de la situation du Maghreb
et celle de M. Marzouki. Le chef de l'état tunisien faisait preuve d'un
volontarisme qui tranchait nettement avec le réel. Il pensait qu'avec un peu de
bonne volonté, on peut dépasser tous les problèmes. Pour lui, un bon sommet
maghrébin peut surmonter des obstacles qui sont là depuis des années. Pour les
dirigeants algériens, barricadés dans leurs certitudes, l'homme paraissait trop
léger pour atteindre les objectifs qu'il visait.
De plus, M.
Marzouki semblait déconnecté de sa propre réalité. Il était le président
provisoire d'un pays en difficulté, passant difficilement les fins de mois,
avec une économie en panne et une société en ébullition, menacé par la
déstabilisation de la Libye
et le poids écrasant de l'Algérie. Et malgré cela, il voulait donner la leçon à
des dirigeants qui, eux, s'estiment rompus à la diplomatie, à la realpolitik et
aux coups tordus.
Du bout des
lèvres, les dirigeants algériens ont donc cédé aux doléances de M. Marzouki. Le
président Abdelaziz Bouteflika a accepté le principe de participer à un sommet
de l'UMA, et lui a réaffirmé son attachement au projet maghrébin. Difficile
d'en faire moins. Mais l'opinion est faite : M. Marzouki raisonne encore comme
lorsqu'il était dans l'opposition. Il n'a pas assimilé les contraintes
qu'impose la gestion de l'Etat. Il est encore dans ses utopies, et il ne veut
pas voir la réalité en face.
Les plus cyniques
vont plus loin. Ils voient en Marzouki un « amateur » qui n'arrive pas à se
mettre dans l'habit de chef d'état. Il s'accroche à des rituels sans
importance, mais ne se rend pas compte qu'il risque d'être absorbé par les
islamistes dès que la nouvelle constitution tunisienne sera adoptée.
Il risque même de
devenir leur Bazargan, du nom de ce Premier ministre iranien qui a accompagné
Khomeiny avant d'être condamné à mort et exécuté lorsque le chef de la
révolution iranienne a décidé de franchir un pas supplémentaire dans la
radicalisation. En ce sens, si Marzouki a adopté une position médiane qui a
permis un partage temporaire du pouvoir en Tunisie, rien ne dit que l'équilibre
actuel est définitif. Et si les islamistes tunisiens se laissent entrainer par
une radicalisation, après avoir assuré leurs arrières, Marzouki aura joué un
rôle central pour leur permettre de s'installer dans la durée.
Sous cet angle,
apparait le paradoxe Marzouki. Pour l'heure, il est dans l'utopie, qui
constitue le moteur de grands projets. Mais entre l'utopie et l'illusion, la
marge est minime.
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Posté Le : 16/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com