«Dans les yeux du jeune homme, il y a le feu. Dans les yeux du vieillard, il y a la lumière.» Victor HugoDu fin fond de la chambre miteuse de l'hôtel borgne où il se réfugie chaque fois après une mission exaltante, il rêvera longtemps aux moyens de faire sortir son pays de l'état de clochardisation avancée où l'ont amené cinquante années d'improvisation et d'errance. Au nom du réalisme, il ne lui sera pas permis de suivre les pêcheurs de thon qui flirtent avec les thoniers turcs tout comme il ne plongera pas dans les eaux noires des pilleurs de corail. Il se creusera longtemps la tête, mais en vain, pour s'expliquer le miracle du prix du sucre sur le marché national: alors que son cours ne cesse de dégringoler à Wall-Street, ici, il connaît une stabilité royale. Il n'osera pas faire un lien direct avec le torpillage du défunt Onaco: il est trop jeune pour connaître les péripéties et les naufrages des entreprises d'Etat. Quant aux dossiers brûlants des faux moudjahidine, on lui conseillera de les fermer, et laisser faire le temps, puisqu'il arrivera un jour où il n'y aura plus d'anciens moudjahidine, vrais ou faux. Il ne connaîtra pas non plus, les sentiers de mulet qui amènent le kif traité jusqu'à l'autoroute Est-Ouest avant de se déverser sur les banlieues qui ceinturent les grandes villes; tout comme il n'aura pas accès aux dossiers attenant aux scandales financiers qui attendent leur épilogue sur les bureaux surchargés de la magistrature.
Mais au nom du réalisme, l'écrivain en herbe se défend de tromper le lecteur, sachant que le milieu professionnel dans lequel va se débattre son héros, est un environnement glauque et plein de pièges sournois pour qui s'avance éclairé seulement par un idéal. Il ne faudrait pas que son héros puisse croire qu'un article de presse, même d'excellente qualité, fera changer le cours des choses. Alors, il pensa faire intervenir au début du récit, un vieux routier de la presse, quelqu'un qui avait roulé sa bosse un peu partout sans amasser mousse, un bonhomme aux moustaches roussies par la cigarette et dont les yeux émettent une lumière apaisante.
Il est un peu comme ces vieux chercheurs d'or qui ont essayé beaucoup de placer sans jamais tomber sur le filon qui les sortira de la pauvreté: ce Deux ex machina n'aura gagné que beaucoup d'expériences qui fera de lui un être plein de sagesse, sagesse qu'il mettra au service de débutants idéalistes et naïfs. Ce vieux mentor mettra d'abord son protégé, en garde contre la bonhommie trompeuse du directeur. Il lui tracera un portrait tout en nuances: «C'est vrai que ce directeur fut un journaliste talentueux au verbe précis et incisif. Il fut aussi un rédacteur en chef efficace, partageant les soucis de tous les membres de la rédaction et essayant, dans l'intérêt du service de réparer les indélicatesses des uns et des autres sans prendre ouvertement parti pour l'un ou pour l'autre mais se plaignant toujours, syndicalement parlant, de l'autoritarisme de son directeur. Il changea de but en blanc quand il devint lui-même directeur de ce journal absent des kiosques, quotidien qui est propriété d'un homme politique qui a pignon sur rue et qui veut bénéficier de la manne publicitaire généreusement dispensée par des sponsors avisés. Il devint intraitable envers ses subalternes et rendit la vie amère à tous ceux qui osaient lever la tête. Ce retournement de veste laissa plus d'un pantois...»
C'est ainsi que le chroniqueur décida de laisser tomber ce jeune et sympathique journaliste pour un métier beaucoup moins contraignant. Il y a tellement de professions nobles (il n'y a pas de sous-métier) qui méritent qu'on les mette sous la lumière des projecteurs.
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Posté Le : 13/08/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Selim M'SILI
Source : www.lexpressiondz.com