Algérie

Retour sur le Festival international d'Oran : Le cinéma arabe en quête de modernité


Un simple examen des thèmes de la douzaine de films arabes projetés lors de la compétition du Festival d'Oran nous renseigne sur quelques préoccupations de ce cinéma. Les relations entre hommes et femmes, l'individu, l'opposition du pouvoir de l'Etat avec celui du clan ou de la tribu sont parmi les thèmes récurrents de ce cinéma.

En se référant à la sociologie, on peut les regrouper tous sous un titre générique: la modernité. Pour rappel, la sociologie politique a pour objet, entre autres, deux thèmes majeurs: l'individuation, c'est-à-dire le processus d'émergence de l'individu, et l'instauration de l'Etat sous sa forme moderne en substitution à d'autres structures exerçant le pouvoir.

Concernant le cinéma arabe actuel - parce qu'il faut le rappeler, tous les films projetés lors du Festival d'Oran datent de 2007 ou de 2008 -, il s'est modernisé même sur le plan de l'émission du discours. Apparemment, le discours moralisateur, d'emblée placé sur un piédestal par rapport à son destinataire, relève désormais d'une époque bel et bien révolue. Nous sommes dans une ère développant un nouveau style de communication. Se contentant de présenter juste un constat au spectateur, on lui laisse toutes les latitudes de le lire et de l'interpréter à sa façon. Ce qui revient à une reconnaissance du spectateur en tant que partie de l'équation de la communication. Le message du réalisateur passe désormais par la mobilisation d'une symbolique. Ce qui nécessite forcément un effort sur le plan des techniques appropriées.

Le cinéma arabe, tel que présenté lors de la manifestation d'Oran, s'est inscrit dans l'universalité en s'appropriant ce qui se fait de mieux dans le monde. Certes, pour des raisons probablement d'intendance et de moyens financiers, il est encore loin de l'usage excessif des effets spéciaux. Mais les thèmes qu'il traite ne nécessitent pas forcément le recours à ce genre de technologie de l'industrie cinématographique. Conscient de son appartenance à une aire culturelle avec ses propres spécificités, le film arabe opte volontairement pour des cadres typiquement locaux. En mettant en valeur cette spécificité, sans toutefois verser dans l'exotisme, il ambitionne d'apporter sa pierre à l'édifice de l'universalité.

En outre, désertant volontairement le star système, le film arabe accorde une place importante aux figurants, qui le plus souvent s'acquittent magistralement des rôles qu'on leur attribue. C'est valable particulièrement pour les Egyptiens et les Marocains. Ce recours aux figurants laisse supposer une conception diamétralement opposée à celle des majors qui ont régné sur le cinéma mondial plus d'un demi-siècle. Chaque individu est porteur de compétences qui peuvent l'autoriser à jouer un rôle dans un film. Surtout quand ce film puise sa substance du vécu.

Mais, c'est indéniablement le film « Kouloub Mouhtarika » (Coeurs brûlés) du Marocain Ahmed El-Maanouni qui illustre magnifiquement cette ambition d'accéder sans complexe à la modernité. Tout d'abord, en étant une oeuvre autobiographique. Or, il est établi sur le plan théorique que la naissance de ce genre littéraire a coïncidé avec la naissance de l'individu et son épanouissement par rapport aux structures qui niaient son existence en tant qu'entité indépendante. Dans son film, Maanouni pousse cette logique à son extrême puisqu'il casse en même temps des tabous. Il se dénude devant les spectateurs en affirmant être issu d'une parenté inconnue dans une société érigeant l'affiliation légitime en principe sacro-saint.

Mieux, il démontre que l'absence de cette légitimité ne le handicape aucunement dans sa propre quête à l'épanouissement, au moins professionnel. Cette démonstration ne tombe pas dans le voyeurisme, devenu produit très prisé des télévisions occidentales. Ainsi, il apparaît, à travers son personnage, comme étant le homme seul, mais tentant de se libérer des pesanteurs et emprises de son propre passé grâce à ses propres compétences et facultés. On ne peut pas trouver meilleure définition de la modernité dans les manuels de la sociologie politique.

Cette course vers l'accomplissement individuel, on la rencontre dans le film égyptien « Geninet Al-Asmak » (L'aquarium), mais autrement. Pour se faire, les deux acteurs principaux, une jeune femme et un jeune homme, doivent obligatoirement passer par l'épreuve de briser leur propre mémoire. Victimes en quelque sorte de la société de communication, y compris de l'image, ils finiront par se rendre compte de l'ultime obligation de passer outre l'aura qu'il offre aux autres. La théorie de rupture du miroir est chère à la psychanalyse, discipline allant de pair avec l'émergence et le développement de la modernité et de l'individu. La question de la femme est elle aussi très présente dans ce cinéma. Avec cependant cette particularité: elle est traitée loin des extrêmes, c'est-à-dire en récusant à la fois le discours féministe apparemment encore étranger dans le monde arabe et en fuyant le discours rétrograde propre à certains courants islamistes. C'est ce qu'on relève notamment dans le film du Syrien Abdellatif Abdelhamid « Kharidj Ettaghtia » (Hors champ) qui a obtenu le Premier prix du festival. C'est ce qu'on note dans d'autres productions projetées lors de cette manifestation.

On est loin de la femme totalement soumise et se contentant de pleurnicher pour conjurer son sort. Les spectateurs ont découvert des femmes qui se débattent et qui utilisent les stratagèmes à leur portée pour atteindre leur objectif.

D'autre part, on a définitivement réglé le compte de l'image de la femme asexuée, n'éprouvant aucun désir et se contentant d'assouvir celui de l'homme. L'héroïne de « El-Haditha » (L'accident), film tunisien, va jusqu'à solliciter l'homme de son choix qu'elle a rencontré un peu accidentellement. D'un autre côté, il y a le cinéma arabe et le tabou du faux puritanisme. N'allant pas jusqu'à montrer des scènes d'amour, il se résout à les évoquer ouvertement en développant une autre esthétique. L'acte sexuel dans ce cinéma n'est pas présenté d'une manière obscène, mais il a acquis au moins sa dimension humaine longtemps omise. Ce qui démontre une volonté d'être en phase avec une nouvelle réalité dans le monde arabe...


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