Algérie

Retour de Betancourt : L'éclipse de la France


La libération et l'arrivée à Paris de Ingrid Betancourt et de sa famille a donné lieu à polémiques et à doutes. Doutes sur les conditions et la signification de sa libération, polémiques sur le rôle de la France dans cette affaire et sur les bénéfices politiques que chaque partie escompte tirer de cet heureux événement.
L'Agence Reuters titre: «Royal rompt l'unanimité sur Betancourt» (V. 04/07/2008, 08h51), et illico, les membres de la majorité lui tombent dessus à bras raccourcis. Par exemple, la très sémillante Rama Yade a répliqué sur LCI: «Je ne pense pas que le besoin de se faire voir politiquement justifie un tel jugement». Aussitôt suivie par les répliques acerbes d'une kyrielle de spécialistes de la contre-offensive médiatique. L'état-major sarkozien ne plaisante jamais avec la «com», d'autant plus efficace et nécessaire que l'action défaille.

Il y aurait sans doute beaucoup à dire au sujet de Ségolène Royal par ailleurs, mais en l'occurrence, elle n'a dit que ce que suggère l'évidence. «Voilà: ni polémique, ni récupération politique qui serait totalement décalée parce qu'en l'occurrence, Nicolas Sarkozy n'a été absolument pour rien dans cette libération».

On pourrait même aller plus loin. Ni les Etats-Unis ni la Colombie n'ont estimé utile d'informer les autorités françaises de l'opération. Même les Israéliens - les désormais très intimes amis de l'Elysée - étaient dans la confidence sans avoir jugé nécessaire de glisser un mot à Kouchner ou à Sarkozy. Ainsi en est-il dans les relations internationales darwiniennes contemporaines où l'on est - comme dit l'adage - le vassal ou le seigneur d'un autre. Dans cet univers impitoyable, l'amitié est une incongruité lexicale inconnue des dictionnaires géopolitiques.

1.- Mercredi 02 juillet, 21h24. A l'Elysée on se tâte. La rumeur circule bruyamment. Toute l'équipe se demande jusqu'à quel point l'information venue de Colombie était crédible et si Sarkozy devait ou non monter au créneau et convoquer les médias. «Aucune réaction pour le moment. On ne dit rien, on ne confirme pas», déclare à Reuters un conseiller du président Nicolas Sarkozy (Reuters, 02/07/2008, 21h24).

2.- Mercredi 02 juillet, 23h46. A l'écoute de radio Bogota et de Radio Free Europe, la nouvelle semble confirmée pour des conseillers aux abois. Sarkozy annonce alors qu'un avion partait pour la Colombie «dans une heure» avec la famille Betancourt et Bernard Kouchner à bord.

Si, dès le départ, la France avait été mise dans la confidence, Kouchner (accompagné des membres de la famille de Ingrid) ne serait pas parti dans la précipitation vers l'Amérique du Sud où il est arrivé bien après la parution des premiers journaux. Quand il atterrit en Colombie, la nouvelle fait déjà partie de l'histoire. Il en a sans doute voulu aux autorités colombiennes de lui avoir fait rater l'accueil «historique» des otages sur le tarmac d'une base militaire de l'armée de l'air, proche de la capitale.

3.- Au pied de l'avion des Forces armées colombiennes, Betancourt exprime son admiration pour «son» pays (la Colombie) et son armée. Elle ne pensait pas, disait-elle, que les commandos colombiens avaient les compétences qu'elle ne reconnaissait jusque-là qu'à l'armée d'Israël (!!!). Un communiqué de la radio militaire israélienne indiquera plus tard que deux de ses membres avaient fait partie des équipes qui ont «libéré» les otages.

4.- Elle a failli oublier la France qu'elle ne remercia (en tant que pays ami, par-delà l'Atlantique) qu'à la fin de sa brève intervention.

Toutes les sucreries et sirupeuses circonvolutions qui ont suivi (bien plus tard) à l'adresse de la France et de ses autorités ne traduisent en fait que la maîtrise des subtilités de la volubilité «politicienne» d'une Betancourt qui n'a décidément rien perdu de sa verve. Assurément, cette femme-là est bien de retour. Sa venue en France (et sa visite au Vatican) aura aussi pour objet de préparer son retour sur la scène politique colombienne. Déjà on parle d'elle pour le prochain Nobel de la paix.

Vue sous cet angle, il n'est pas certain que cette «libération» soit une bonne nouvelle pour le président Uribe, dorénavant coincé entre une Cour constitutionnelle qui peut compromettre sa prétention à un nouveau mandat et une égérie prête pour le combat électoral.

5.- L'opération, qu'on hésite à appeler «opération militaire pour libérer les otages», comporte de nombreuses facettes obscures. Les heures et jours à venir éclairciront ces aspects. Par exemple, ce mental de résistante et cette santé éclatante qui contraste avec les images inquiétantes d'Ingrid qui avaient circulé il y a à peine quelques semaines.

Quoi qu'il en soit, s'il y a un «cocu» dans cette affaire, ce n'est pas à Ségolène qu'on devrait en vouloir pour l'avoir désigné... simplement. C'est de bonne guerre. Ce n'est pas cette «libération» qui permettra à Paris de trouver des solutions aux casseroles que l'Elysée s'est débrouillé pour s'infliger à lui-même à une vitesse réellement stupéfiante: restructuration de l'armée, télévision publique privée de recettes, chauffeurs routiers et pêcheurs ruinés par la hausse du prix de l'énergie, des négociations en panne avec l'OMC - notamment sur le chapitre des subventions agricoles -, un Traité de Lisbonne (à l'initiative du président français) qui menace de suivre le sort qu'a eu en mai 2005 le projet de Constitution, échanges à fleurets mouchetés avec une BCE plus préoccupée d'inflation que de croissance, fichage des jeunes «soupçonnés de désordre potentiel» dès l'âge de 13 ans...

La présidence française de l'Europe - en cet été olympique - promet d'être sportive. Et ce ne sera pas l'Union pour la Méditerranée, réunie à Paris le 13 juillet prochain - avec ou sans Bouteflika, avec ou sans rencontre Olmert/Assad - qui offrirait une rémission salutaire ou une digression opportune. Bien le contraire...

En attendant, l'image de la France dans le monde (et précisément en Amérique latine où elle a toujours été positive) se dégrade à une allure qui interroge les observateurs. Tout le capital de sympathie que ce pays a accumulé au cours des décennies (de la Révolution française à De Gaulle) est dilapidé en quelques mois. Il y a à peine une dizaine de jours, le Mercosur dénonçait la nouvelle politique migratoire européenne d'inspiration sarkozienne («Directive Retour»).

Partie pour rentrer dans le rang, la France se retrouve bel et bien hors jeu et la construction européenne déstabilisée. Le retour d'Ingrid Betancourt l'illustre à l'évidence.




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