Les gouvernements
français et allemand ont, dans l'urgence, sauvé l'industrie automobile par
d'importants apports de fonds, mettant en évidence que dans l'ensemble de
l'Union Européenne, la politique industrielle réveillait sa vengeance. Mais,
tout au long de l'année passée, les responsables français, allemands et
d'autres pays européens ont Å“uvré contre plutôt que dans le sens de leurs
partenaires pour mettre en place ces politiques. Certains secteurs ont par
conséquent reçu un soutien excessif tandis que d'autres étaient exclus du
marché.
La leçon à en
tirer est pourtant claire : les gouvernements européens doivent travailler
ensemble lorsqu'ils établissent leur politique industrielle. Mais ils doivent
aussi faire bien plus pour promouvoir l'innovation et la compétitivité.
Les gouvernements
français et allemands sont intervenus l'année dernière par d'importantes
injections de capital pour compenser la désertion des actionnaires. Ils ont
soutenu une demande affaiblie en finançant les ventes, en stimulant la
recherche dans les technologies plus propres et en protégeant les emplois. Ces
mesures de relance placent les intérêts nationaux en priorité, selon l'argument
qui prétend que l'argent des contribuables doit être utilisé pour défendre les
compagnies et la main d'Å“uvre nationales.
Les autorités
françaises ont poussé cette démarche un peu plus loin avec la création d'un
Fonds stratégique d'investissement (FSI), visant à protéger les capitaux
nationaux des desseins prédateurs des investisseurs étrangers. Ce retour en
bloc aux politiques industrielles d'un autre temps et la réticence des
gouvernements à laisser faillir même les sociétés les moins compétitives,
devrait constituer une réelle source d'inquiétude généralisée.
Si l'on en juge
par les réactions des gouvernements face à la crise, on pourrait se faire
pardonner de penser que les régulateurs du marché et les autorités de la
concurrence devraient prendre l'initiative lorsque l'économie est stable, et
que les politiques industrielles devraient être mises en places en période
d'urgence. Malheureusement, les gouvernements européens n'ont pas répondu à la
crise avec des politiques communes, et ils n'ont pas non plus saisi cette
opportunité pour renforcer les pouvoirs des autorités de la zone euro. Chaque
état membre de l'Union Européenne a donc a plutôt préféré se débrouiller tout
seul.
L'arsenal commun
d'outils interventionnistes à la disposition des états membres – garantie de
dépôt, recapitalisation des banques, garantie des prêts inter-bancaires et
acquisition de titres toxiques – semblait donner une crédibilité à la notion
d'unité européenne. Mais la réalité s'est avérée être bien différente ; les
mesures interventionnistes des états membres ont en fait créé des distorsions
et des irrégularités à travers le continent européen.
En ce qui
concerne les recapitalisation bancaires, certains pays ont adopté l'approche la
plus punitive de quasi nationalisation, tandis que d'autres ont prêté sur les
fonds publics avec des termes très avantageux, liant la recapitalisation au
développement du crédit ou à une restriction des dividendes. Le résultat net
fut un embrouillamini de systèmes financiers fragmentés et renationalisés.
Les autorités
nationales de la concurrence dans des pays comme la Grande Bretagne ont été
mises sous silence. La France et le Benelux ont du renflouer Fortis et Dexia,
compte tenu du manque total de tout mécanisme européen pour sauver les sociétés
financières intégrées.
Pour tenter de
soulager le mal que toute cette assistance faisait à la compétitivité de l'UE,
la Direction générale de la concurrence de la Commission Européenne a déclaré
qu'elle avait peu d'options que celle de bloquer les aides d'état – mais elle a
rapidement capitulé devant les vives protestations nationales. L'Europe aurait
du utiliser son pouvoir de régulation et gérer le conflit entre le risque
systémique et concurrentiel que tout ces financement publics d'urgence
généraient, mais la demande contradictoire du chien de garde de la concurrence,
pour que les sociétés percevant des aides réduisent le crédit accordé à leurs
clients, a rendu ceci presque impossible.
Heureusement, la
faiblesse relative de l'UE fut de courte durée. Une fois l'orage passé, la
Commission a repris les commandes. Les banques qui avaient été sauvées par les
fonds publics, comme la Royal Bank of Scotland (RBS), Dexia, et ING, ont dû
présenter leurs programmes de désinvestissement à la Commission. Le but était
de diminuer la peine que les financements d'urgence avaient pu causer à une
concurrence libre et juste.
C'est pourquoi
ING a décidé de se séparer de sa branche assurance et pourquoi RBS a réduit
l'ampleur de sa branche banque d'investissement et vendu 17% de son activité de
banque de détail. Avant que la Commission ait eu le temps de l'évaluer, Dexia a
vendu ses participations au sein du Crédit du Nord et dans les fonds de gestion
de pension. Mais, à plus long terme, les fusions qui ont résulté de la crise
permettront aux acteurs dominant d'abuser de leur position dans certains
marchés, surtout dans le marché de l'immobilier.
La manière avec
laquelle la Commission a géré le dossier de GM Europe a constitué un excellent
exemple d'intervention industrielle. La Commission avait Initialement passé les
reines au gouvernement allemand mais plutôt que d'aider Opel, Berlin a préféré
protéger les emplois allemands en soutenant Magna, l'acheteur potentiel
russo-canadien, alors même que cette position risquait de faire perdre leur
emploi aux ouvriers belges et britanniques d'Opel.
Les avocats
spécialistes de la concurrence de la Commission déclarèrent qu'ils allaient
étudier toutes les clauses nationales, mais la reprise de GM et la lente mise
en place des mesures allemandes ont fini par saper l'option Magna. Puis, le
nouveau gouvernement issu des élections allemandes d'octobre dernier retirât
son soutien à Magna. La Commission a donc pu – avant même qu'il lui soit
demandé d'intervenir officiellement – préempter les mesures qui étaient
contraires à la logique du marché unique.
Les difficultés
que rencontrent les gouvernements de l'UE dans la gestion de la crise
financière soulèvent de sérieuses questions sur le fait de savoir si la
politique industrielle et les règles de concurrence européennes peuvent
coexister. Ils le peuvent probablement, mais seulement si les Européens
abandonnent les directives politiques d'un autre temps et encouragent plutôt
l'innovation et des politiques environnementales plus compétitives.
La crise
économique globale, associée à la croissance des marchés émergents, révèle les
vieux problèmes de surcapacité de l'Europe au grand jour. Pour éviter au marché
unique européen de s'écrouler, les hommes politiques des états membres doivent
simplement restructurer leurs politiques industrielles en tandem. Ceci est
particulièrement vrai pour le secteur automobile. Le plan Davignon «manifeste
de crise», qui en son temps avait permis de gérer le déclin des industries
européennes de la métallurgie, doit impérativement être ressuscité. Si les
autorités européennes n'agissent pas promptement pour solutionner la surcapacité
du secteur automobile, nous pourrions bien voir renaître le protectionnisme.
Traduit de
l'anglais par Frédérique Destribats
* Directeur de
recherche au CNRS
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Posté Le : 23/09/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Elie Cohen*
Source : www.lequotidien-oran.com