Comme toute entreprise économique, les entreprises algériennes, publiques
et privées, grandes, moyennes et petites, sont soumises à une série de
pressions sociales, environnementales et économiques, locales, nationales,
régionales et internationales.
Elles devraient donc adopter et mettre en application une stratégie de
réponse qui permette de renverser les contraintes vécues passivement pour en
faire une opportunité stratégique proactive. En d'autres termes, elles doivent
transformer les risques en opportunités. Pour cela, la stratégie induite de la
responsabilité sociale - ou Sociétale - des entreprises (ci-après RSE) a été
conçue en partant de la notion de développement durable, une notion formalisée
en 1987 à l'occasion des travaux de la Commission Mondiale sur l'Environnement
et le Développement(1). Elle se définit comme «un développement qui répond aux
besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à
répondre aux leurs». La RSE intègre une triple responsabilité, déclinée en
trois ‘P' (Triple Botton Line) représentant le Profit, la Population et la
Planète ; en l'occurrence, les dimensions économique (efficacité, rentabilité,
non corruption), sociale (respect des droits de l'homme) et environnementale.
La vitalité du secteur économique et financier national, public et privé, ne
peut être enclenchée et alimentée pour réaliser des scores honorables dans ces
trois domaines que par la recherche, améliorée en permanence, de résultats
ciblés : un profit légitime, une responsabilité sociale (interne et externe) et
environnementale, selon une approche holistique et systématique. La RSE est
particulièrement importante car toute entreprise est au centre d'un complexe
contractuel. En tant qu'entité indépendante, elle a des partenaires et une
sphère d'influence: ses propriétaires (associés) et ses parties prenantes que
sont ses dirigeants, ses salariés, clients, fournisseurs, sous-traitants,
associations et organisations civiles, collectivités locales, administration,
etc., lesquels ont tous intérêt à sa réussite et sont donc des parties
prenantes aux résultats de ses activités qu'ils soient économiques, sociaux ou
environnementaux. Par exemple, au plan interne, les salariés placés dans des
conditions favorables (qualité du management, environnement de travail,
incitation à l'autonomie, formation, rémunération, culture d'entreprise et
valeurs communes, etc.) améliorent leur façon de travailler, ce qui élimine l'absentéisme,
les litiges et, de manière générale, le risque social. Aussi bien les salariés,
les propriétaires que les dirigeants vont s'identifier avec fierté à
l'entreprise. Au plan externe, les principes de la RSE deviennent non seulement
de véritables atouts compétitifs, mais vont rehausser le profil de
l'entreprise, notamment chez les investisseurs potentiels, les consommateurs,
etc.
La définition de stratégies de
RSE et de méthodes de mise en Å“uvre graduelle sont personnalisées. Chaque
entreprise a une identité propre qu'elle devra définir en créant et en
maîtrisant son image. Elle doit normaliser sa pratique sociale responsable,
systématiser une politique environnementale adéquate et rechercher
l'amélioration progressive de ses résultats financiers. Ce qui est commun à ces
trois domaines sont les valeurs communes, exprimées par chaque entreprise à sa
manière. Il ne s'agit ni de valeurs éthiques ou morales, difficiles à définir,
mais de valeurs exprimées par des règles de droit, obligatoire et supplétif,
qui favorisent la mobilisation et accroissent l'efficacité. Des valeurs
partagées par son personnel, ses propriétaires, les membres de sa direction et,
de façon générale, par toutes ses parties prenantes et qui sont le référent de
leur comportement. De plus, l'adoption et la mise en Å“uvre d'une stratégie RSE
est inséparable du dialogue interne et externe que les entreprises doivent
initier, dans un langage compréhensible, malgré les difficultés inhérentes à
tout processus de collecte de données sur des sujets à caractère social et
environnemental, de leur remontée et de leur consolidation. L'entreprise
responsable doit, par ses bilans sur ces trois domaines, financier, social et
environnemental, communiquer régulièrement ses performances. Cette communication
régulière de l'entreprise traduit la transparence de ses opérations, leur
comptabilisation et leur contrôle. Cela permet, outre de mettre fin aux
activités et relations de corruption, de choisir les meilleures stratégies,
d'avoir un système de rémunération et de primes correspondant à la qualité du
travail fourni et d'attirer de nouveaux capitaux. Le rapport d'entreprise
donnera plus ou moins d'importance à l'environnement selon qu'elle exerce ses
activités dans un secteur à fort impact sur l'environnement et sur les
populations locales comme l'industrie chimique et pétrolière, le BTP,
l'industrie du ciment et de traitement et distribution d'eau par exemple. Bien
entendu, l'impact environnemental de l'entreprise est plus ou moins nocif plus
ou moins modéré selon le secteur d'activité. L'activité des banques, par
exemple, a un impact direct limité en raison de sa consommation d'énergie
(comme le chauffage, l'électricité, la climatisation, l'éclairage, le
fonctionnement des appareils de bureau, etc.) et de ressources matérielles
(papiers, fluides, etc.). Sa gestion des déchets est plus facile que dans le
secteur industriel. Par contre, son impact indirect, en raison de la gamme des
services financiers offerts (gestion d'actifs, de portefeuille, financements, investissements,
placements, etc.) peut entraîner des conséquences importantes sur
l'environnement, ce qui implique des risques en cas d'absence de politique de
développement durable qui doit servir, lors de l'étude d'impact des
financements, à identifier et quantifier les risques écologiques dans le
processus d'évaluation des risques de financement des projets. Les banques y
jouent leur réputation, mais aussi la viabilité des prêts et leur
remboursement. Pour rester dans le domaine des banques, les instruments
juridiques qui les obligent (domaine de hard law: conventions internationales,
lois et règlements publiés au Journal officiel) ou qui seulement les invitent
(domaine de soft law) à adopter une stratégie adaptée à leur contexte sont
nombreuses(2).
Le législateur a la plus grande
responsabilité. Il est appelé à intervenir pour favoriser la RSE et la bonne
gouvernance d'entreprise (transparence, démocratie interne, etc.). Il doit
aussi rendre opérationnels les principes d'égalité, de liberté, de sûreté économique
et de sécurité juridique. Il doit garantir aussi une justice équitable, rapide,
neutre et égale pour tous. Beaucoup est dit au nom de la bonne gouvernance, qui
est rarement définie. Disons d'emblée que c'est un ensemble de règles légales
concernant l'administration interne des entreprises, qui doit être démocratique
et transparente, quel que soit le secteur, public et privé. Selon l'OCDE, la
bonne gouvernance d'entreprise est la détermination des droits et obligations
des partenaires dans l'entreprise, comme le Conseil d'administration, les
directeurs exécutifs, les associés et autres parties intéressées. C'est aussi
la formulation claire et précise des normes et procédures de prise de décisions
concernant l'entreprise, permettant de connaître le cadre à travers lequel sont
définis les objectifs et les moyens de leur réalisation ainsi que le contrôle
de bonne exécution. La bonne gouvernance est inséparable du respect de
l'obligation d'informer les parties prenantes (clientèle, administration, fournisseurs,
créanciers divers, etc.). A ce titre, l'Etat a donc beaucoup à faire : il doit
notamment unifier les définitions légales des indicateurs sociaux (salaire,
accident de travail, maladie professionnelle, formation, Å“uvres sociales,
protection des consommateurs, etc.) et environnementaux (déchets, usage de
l'eau, de l'électricité, différentes pollutions par rejet dans le sol, dans
l'air et dans l'eau, mesures d'hygiène et de sécurité, nuisances sonores et
olfactives, recours aux énergies renouvelables, démarches d'évaluation et de
certification, etc. afin de normaliser la manière de rendre compte (reporting)
et permettre la communication transparente et la comparaison. Pour l'instant,
seule la communication comptable est obligatoire pour raison de fiscalité. Les
entreprises devront faire du lobbying. Il est urgent de ne plus compter sur le
soutien financier de l'Etat car, avec la globalisation, dans peu de temps, ce
dernier devra faire face à la réduction de ses recettes (épuisement du
pétrole/gaz, des taxes douanières et de la fiscalité). Le financement des
déficits des entreprises par le budget de l'Etat est humiliant pour les
dirigeants de ces entreprises aussi bien que pour l'Etat. La solidité
économique d'un pays se jauge par la performance de ses entreprises, publiques
et privées, de son système bancaire, de son système d'enseignement et de son
système judiciaire ainsi que de leur capacité à attirer les investissements,
répondre aux besoins de produits et services et participer au bien être social et
à la paix publique. Développer la RSE est la seule manière de rendre les
entreprises algériennes compétitives. Cette solution fera naître de nouveaux
filons fiscaux permettant à l'Etat de financer les services publics. Si l'Etat
et les chefs d'entreprises ne prennent pas conscience de cette nécessité,
l'avenir des entreprises n'est pas assuré dans le tourbillon de la
globalisation, avec un petit répit au secteur de la distribution, utilisé en
sous-traitance, et constamment dénoncé. Les entreprises locales doivent
s'adapter ou disparaître. En un mot, l'Etat, les organisations patronales, les
syndicats, mais aussi la justice, l'administration, l'université et les
associations de la société civile (consommateurs, verts, droits de l'homme,
etc.) ont tous intérêt à ce que la RSE et la bonne gouvernance des entreprises
algériennes, publiques et privées, grandes, moyennes et petites, deviennent un
point important de leur agenda.
Notes
1- Lors du sommet de Rio de 1992, quelque 150 chefs d'Etat ont signé un
programme d'actions pour le siècle, intitulé l'Agenda 21, comprenant des
recommandations pour favoriser le développement durable au niveau mondial.
L'Agenda 21 est démultiplié en Agendas 21 locaux, impliquant jusqu'aux
collectivités locales.
2- Citons la Déclaration des institutions financières sur l'environnement
et le développement durable, lancée en 1997 par le PNUE (Programme des Nations
unies pour l'Environnement) ; Global Compact ou Pacte mondial (initiative des
Nations unies lancée en 1998 par Kofi Annan impliquant trois agences
onusiennes: OIT, PNUE, Haut-Commissariat aux droits de l'homme) qui comporte
dix principes de base dans les domaines du droit des travailleurs, de
l'environnement, des droits humains et, depuis le 24 juin 2004, de la
transparence et contre la corruption ; Déclaration de principes tripartite
adoptée en 1977 et révisée en 2000 par l'Organisation internationale du
travail, fondée sur les conventions de l'OIT et la Déclaration universelle des
droits de l'homme que l'Algérie a ratifiées ; Charte du développement durable
adoptée par le Conseil exécutif de la Chambre de commerce internationale en
novembre 1990, comportant seize principes publiés en avril 1991 ; les sept
Principes de Londres de la Corporation of London publiés lors du Sommet de
Johannesburg, en 2002, afin de promouvoir le rôle des institutions financières
en matière de développement durable.
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Posté Le : 30/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ibrahim Taouti & LawhouseBiz
Source : www.lequotidien-oran.com