Algérie

Respecter la Constitution, protéger la police


«Liberté mon seul pirate.» A.Césaire



Les ministres qui se sont succédé devant le président de la République pendant le Ramadhan ont aligné comme de bons écoliers des chiffres, des nombres, des volumes financiers, des taux de réalisation, etc. etc. Si leurs discours peuvent être comparés à ceux de dirigeants d'entreprises devant des conseils d'administration, ils sont totalement dépourvus de l'essence même qui fait qu'un ministre est un homme d'Etat, une bête politique qui a des convictions, éventuellement un parti, des idées, un projet de société, des affinités culturelles, etc. Un ministre est un homme qui peut susciter des vocations chez les jeunes par son audace, ses qualités de meneur d'hommes, son charisme, sa capacité d'analyse et celle de rendre clair et accessible ce qui est complexe, technique, etc. Un homme d'Etat a un point de vue sur des phénomènes de société, sur l'avenir, sur l'égalité des sexes, la protection de l'enfance et de la nature. Les ministères sont aussi des boîtes à outils et à idées pour anticiper, faire des propositions, provoquer et organiser le débat sur des thèmes, des projets, une problématique internationale, des atteintes obscurantistes à la vie privée, aux femmes, aux libertés individuelles...

 Mais sous le parti unique qui a deux ou trois têtes centrales et deux ou trois autres périphériques, suppléantes au cas où, ces rêveries d'outre-ailleurs ne sont en fait que des rêveries d'un autre espace-temps virtuel pour ce qui est de l'Algérie. Cependant, il y a des réalités quotidiennes, bien réelles à 100% algériennes. Les cas de suicides, y compris de femmes (phénomène qui était rarissime durant des décennies), de harraga qui ponctuent le tragique du quotidien d'une jeunesse qui vient de nulle part pour s'en aller mourir nulle part, les déperditions scolaires et les filles qui ne vont jamais à l'école, les sinistres décors de films d'épouvante que sont les villes et villages gangrenés par les bidonvilles, tout cela n'intéresse que peu de responsables.

 On récite le bilan d'activités, les crédits consommés, le reste à réaliser (ristournes comprises) et on jure la main sur le coeur, Kassaman à la bouche et l'amour du devoir en bandoulière que le programme sera achevé, surtout s'il y a des rallonges de budget et plus de temps... Devant des exercices à répétition, des postures avec lesquelles on noie le poisson, les Algériens comparent, même sans être experts, les fonctionnements de gouvernants, d'élus locaux ou régionaux dans d'autres pays, grâce aux chaînes satellitaires dans toutes les langues, avec les pratiques de responsables africains, arabes et bien entendu chez nous. Un jour Boudiaf revenu pour être exécuté cherchait soixante femmes et hommes. La suite est connue. Un jour M. Bouteflika élu à El-Mouradia cherchait des hommes d'Etat pour tous les postes, nombreux, à pourvoir... Est-il satisfait à 50, 70 ou à 100% ? Que l'on ne se trompe pas: il y a des commis de l'Etat de stature internationale qui exercent aujourd'hui et ici. Il y a des cadres intègres et compétents en Algérie. Certains s'expriment et travaillent au top niveau et d'autres sont dans des placards en pleine forme et jouissant de toutes leurs capacités, l'amertume au coeur.

 Le niveau de certaines polémiques, déclenchées la plupart du temps par des responsables à divers niveaux, laisse pantois et n'apporte aucune fierté, aucun progrès, aucune pertinence. Que des écoliers soient obligés de porter des tabliers peut éventuellement être admis. Mais que les pouvoirs publics se mêlent de la couleur d'une blouse rabaisse les préoccupations à un niveau insoupçonné mais qui peut s'expliquer. La volonté de mettre dans le paysage scolaire de l'uniforme (adjectif et nom commun), du formatage pour museler la joyeuse et pacifique fête des couleurs, propre à un âge où l'on découvre le monde de l'éducation, les copains et copines, les différences, est mise en branle pour uniformiser, râper les aspérités, créer un réel contre nature et «dresser» dès le jeune âge de futurs citoyens amorphes et identiques à l'âge adulte. C'est à coup sûr travailler pour une société molle, sans imagination ni fantaisie et encore d'audace. Ce qui est à coup sûr un affaiblissement programmé d'un front national patriotique en cas de catastrophes ou de coups durs qui nécessiteraient la transcendance des diversités, de la pluralité vitale pour une nation qui veut être forte, unie dans le respect absolu des différences.

 Ces dernières se sont trouvées sous les projecteurs en même temps que les forces de police, en dépit du bon sens, de la tolérance basique, au mépris de la Constitution qui existe, censée être au-dessus des lois, des règlements qui ne sont pas soumis au suffrage universel, sachant que celui-ci légitime comme expression libre du peuple, tout le peuple. Les mêmes chroniques désastreuses s'installent dans le vécu du pays. Des policiers font la chasse aux amoureux, à ceux qui ne font pas le Ramadhan. Des milices offshore régentent la morale et le «bon comportement» dans les villages, les quartiers dans l'espace public que la police doit protéger. «To serve and protect» affichent les policiers en Amérique. A la lecture des articles 29, 32, 33, 34, 35, 36, 38 de la Constitution, il est difficile d'admettre que la lecture d'une pièce de théâtre (Les borgnes ou le colonialisme brut) puisse être interrompue par la police sans l'aval en bonne et due forme d'un juge et dans le silence veule des élites culturelles dans les institutions ou en dehors. La police est-elle habilitée à interpeller un couple sans livret de famille (faut-il l'avoir sur soi H24 ?) ou des «casseurs» de Ramadhan ? Les policiers font un travail officiel et hautement important comme service public dans tous les pays du monde. Il est donc paradoxal de les impliquer dans la surveillance des consciences, de la foi et des pratiques religieuses, toutes acceptées par les religions et la Constitution algérienne. Sortir la police du champ religieux, c'est la protéger des dérives et manipulations. Dans le cas contraire, il faudrait supprimer les articles de la Constitution relatifs aux libertés.






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