Algérie

Résolution parlementaire ou tract d'agitprop '



Par Dr Soufiane Djilali,
président de Jil Jadid
La vie diplomatique internationale est loin d'être un fleuve tranquille, surtout en ces ères de reconfiguration géopolitique et de conflits idéologiques dont le soubassement est le contrôle des richesses naturelles, des espaces stratégiques et de l'économie du monde.
Le Parlement européen, honorable institution de l'Union européenne, ne peut naturellement se soustraire, d'abord et avant tout, aux intérêts des peuples dont il est l'émanation.
Il n'y a pas de doute non plus, qu'en tant que telle, cette institution est à la disposition des Etats qui la constituent et de ce fait, qu'elle réponde aux impératifs politiques de leurs gouvernements.
L'Algérie, pays indépendant et souverain (il faut peut-être le rappeler), entretient des relations de bon voisinage, de coopération économique et de sécurité avec l'UE.
La bienséance diplomatique voudrait que celle-ci recherche la stabilité, la prospérité et le développement pour son voisin du Sud d'autant plus que l'Algérie ne montre aucune tendance à l'expansionnisme ni ne se mêle des affaires intérieures de ses voisins.
Par ailleurs, un accord d'association entre l'Algérie et l'UE est censé formaliser un cadre de coopération dans le respect des deux parties et non pas dans l'objectif de formaliser une allégeance ou une subordination d'une partie à l'autre.
Depuis son indépendance en 1962, l'Algérie se construit avec difficulté. Elle a vécu des épisodes des plus sombres dans les années 90, acculée à se sortir d'une guerre civile, provoquée par un terrorisme aveugle, seule et abandonnée par la plupart des pays dont les députés viennent de lui faire aujourd'hui la leçon d'humanité.
Pourtant, dans les années fastes de la rente pétrolière et du régime de corruption de Bouteflika, l'Europe fut très conciliante, bénéficiant d'un marché sûr et juteux, d'affaires bien montées et... de beaucoup d'argent détourné vers son territoire.
Mais voilà, les choses changent. Le régime Bouteflika est tombé. Les prix du pétrole desquels dépendait la rente se sont effondrés. En proie à une crise politique complexe, le pays peut, à tout moment, sombrer dans l'inextricable. Ajoutez la crise mondiale due à la pandémie de Covid-19, les troubles sécuritaires aux frontières dont la responsabilité revient à certains pays européens et enfin la maladie du Président algérien, et le tableau de la situation devient plus précis.
C'est à ce moment et dans ce climat délétère que le Parlement européen a adopté, ce 25 novembre 2020, une résolution qui, à l'évidence, prend l'allure d'un casus belli.
Le Parlement a ainsi décidé de prendre fait et cause pour le «Hirak des réseaux sociaux»,?dixit la résolution, puisque le «Hirak physique s'est arrêté dès mars 2020, et selon sa propre volonté», précise le document. Il reste donc la protesta menée dans l'espace virtuel pour construire la narrative.
Les droits de l'Homme et la nature du régime algérien étant les raisons justifiant l'intervention du Parlement, il est utile de rappeler, à ce sujet, les positions de Jil Jadid de manière à ne point laisser subsister le doute.
Personnellement, je me suis engagé en politique voilà plus de 30 ans pour combattre ce régime. Je l'ai vilipendé, critiqué, boycotté. J'ai écrit, j'ai parlé, j'ai sillonné le pays... Je ne renie ni retire rien à ce que j'ai fait. Au contraire.
Dans ce parcours, et au nom de Jil Jadid, j'ai eu à rencontrer en toute bonne foi des ambassadeurs, des journalistes étrangers et des responsables de l'UE. Ils peuvent témoigner que j'ai toujours donné mon sentiment critique sur le pouvoir algérien.
Lors des élections législatives puis locales de 2012, j'avais insisté auprès de mes interlocuteurs de l'UE d'alors sur le fait étrange que celle-ci fermait les yeux devant la fraude électorale et sur les graves anomalies de la gestion des scrutins. Je déplorais le silence de cette institution et surtout le quitus qu'elle offrait, au nom des peuples d'Europe, au régime de
M. Bouteflika. Comme d'autres responsables de partis d'opposition, je ne demandais alors qu'une chose : ne pas offrir de couverture politique à ces dérives. Mais bon, les affaires étaient bonnes et la raison d'Etat primait.
Lorsqu'en 2008, l'ex-président de la République avait réarrangé la Constitution à sa guise pour perpétuer son règne, pas un mot de réprobation d'aucun des responsables de ces pays ne fut prononcé. Les élections aux présidentielles de M. Bouteflika avec 81,53% en 2014 ne suscitèrent ni étonnement ni hésitation, puisqu'il fut félicité illico presto par les chefs d'Etat européens alors qu'il était déjà paralysé par la maladie. Plus que cela, alors que le Hirak s'était ébranlé et devant l'impossibilité d'aller jusqu'au bout du projet du 5e mandat pour Bouteflika, des chefs d'Etat européens n'avaient pas trouvé mieux que d'approuver un prolongement anti-constitutionnel, néanmoins qualifié de «démocratique», du 4e mandat avec une ou deux années supplémentaires !
Ce jour-là, Jil Jadid était bien seul à s'élever contre cette ingérence flagrante. Il est vrai que, pour beaucoup, la gestion des bons intérêts personnels commande de faire parfois profil bas ! N'est-ce pas '
Lorsque le 28 novembre 2019, le Parlement s'était alors permis de s'immiscer dans la crise algérienne, Jil Jadid avait eu le même réflexe de condamnation de cette attitude.
Je l'ai dit et je le redis : l'Algérie n'est malheureusement pas encore un Etat de droit. La démocratie n'est pas encore là. La société, en état d'anomie, est en pleine transition anthropologique et sociologique, entraînant des dysfonctionnements et des tensions autant entre un pouvoir fragile et un peuple en colère légitimement qu'entre les citoyens eux-mêmes.
La violence fait malheureusement partie du quotidien, physique ou verbale, et n'est pas le fait du seul gouvernement, loin s'en faut.
Les 10 années de terrorisme avaient mis l'Etat dans une doctrine policière de gestion des populations, d'autant plus que durant vingt années de bouteflikisme, soutenu par le monde dit civilisé, l'action politique fut bridée et dévoyée de manière à la neutraliser et à garantir au prince du moment la pérennité du pouvoir, et la perpétuation de la prédation.
Quant à l'opposition au régime, Jil Jadid peut être fier de ses actions durant la période de la chape de plomb, lorsque les actuels che guévaristes se gardaient bien au chaud, à l'abri du danger. Cela, l'Histoire le dira peut-être un jour... Mais voilà, les députés du Parlement européen passent aujourd'hui à une autre étape qui, elle, est autrement plus inquiétante pour l'Algérie.
En effet, une opération d'envergure fut déclenchée à la suite d'un commentaire du Président Macron, interprété comme favorable au régime algérien, pour mettre ensuite le pays sous le feu des réquisitoires médiatique et politique. La flambée médiatique a fini par se conclure en une résolution du Parlement européen des plus insidieuses et des plus pernicieuses, à tel point qu'elle relève plus du tract d'agitprop que d'une déclaration politique d'une instance de cette envergure.
Remarquons que les députés LREM du Président Macron, affilié au groupe libéral, ont voté à contresens des positions publiques de leur patron. Confusion '
Ainsi, et sous le prétexte de défense des droits de l'Homme qui sont, je le confesse, loin d'être exemplaires en Algérie, voilà que les députés du Parlement européen s'attaquent aux nombreuses «tares» du régime algérien et lui dictent, de facto, sa feuille de route, se substituant ainsi à la souveraineté des Algériens. Ainsi donc, une série de considérations, au nombre de 18, mettent en place le décor et annoncent les fatidiques vingt points de mise en demeure. Au milieu d'une multitude d'arguments, tout à fait pertinents pour certains, relevant des allégations pour d'autres, il est glissé une série d'idées qu'il aurait été bon de commenter ici, dans le détail, n'étaient les limites de cette contribution.
Aux yeux des députés du Parlement européen, l'Algérie est devenue, depuis une année, une dictature infréquentable, une voyoucratie, à qui il faut donner une bonne leçon de démocratie. Il faut lui apprendre à se comporter comme un pays civilisé, insinuent-ils.
Ils exigent de l'Algérie de donner les mêmes droits à tous, y compris aux «Berbères» (vivent-ils une ségrégation officielle ') ; ils reprochent à la Constitution algérienne «de poser comme condition à la liberté de la presse, consacrée officiellement à l'article 54, le respect des constantes et des valeurs religieuses, morales et culturelles de la nation» (probablement que le Parlement de l'UE milite pour l'irrespect des constantes, les caricatures du Prophète, l'immoralité et l'acculturation '), ils désignent une liste de détenus contenant des noms de personnes libérées depuis des mois, d'autres n'ayant jamais été emprisonnées, d'autres encore pour des raisons qui n'ont aucun lien avec le Hirak. Mais bon, tant qu'on y est, on fourre tout dans le même sac pour faire plus consistant ' Et surtout, ils désignent les lois, avec le détail des articles que l'Algérie doit réviser, s'instituant au moins comme un Conseil constitutionnel ou au moins en tant que 3e Chambre du Parlement algérien !
Pourquoi cette démarche maintenant ' Dans quel but et au profit de qui le Parlement européen monte au créneau '
Bien sûr, l'Algérie n'occupe pas la terre d'autres peuples, n'a pas envahi des territoires de voisins, ne pratique pas l'apartheid, ni l'assassinat ciblé des civils dans d'autres pays, ne met pas les enfants en prison par milliers, ne détruit pas les maisons de ceux qu'elle colonise, ne condamne pas à perpétuité les hirakistes et ne met pas au secret, sans jugement, ses journalistes et d'ailleurs ne les découpe pas à la tronçonneuse. Car ce genre de pays, le Parlement européen n'a pas grand-chose à dire.
Oui, c'est vrai, le problème des Algériens, c'est que, malgré leurs différends, malgré la crise du sous-développement qui les accable, malgré leur médiocre pouvoir, malgré tout cela, ils veulent cependant rester souverains. Ce mot ne veut peut-être plus dire grand-chose ailleurs mais pourtant il dit beaucoup de choses ici.
Trêve de plaisanteries, surtout lorsqu'elles sont de mauvais goût. L'Algérie vit une crise, personne n'en doute. Les pouvoirs politiques qui se sont succédé n'avaient pas, à l'évidence, fait le choix de la démocratie. Sont-ils historiquement les seuls responsables de cet état de fait ' Il n'empêche, des Algériens de la nouvelle génération militent, luttent et agissent sur le terrain pour un véritable changement qui est, de toutes les façons, inéluctable.
Les conditions de ce changement sont là. La situation est mûre. Il faut y croire, et surtout arrêter d'hystériser les esprits et flatter les lignes de fracture potentielle dans la société, ce que le Parlement européen vient de faire allègrement et sans scrupules.
Quelques Algériens, de bonne foi, pensent que c'est le moment de profiter pour affaiblir l'Etat et en particulier l'armée pour se débarrasser une fois pour toutes de ce régime et implanter, enfin, une démocratie. Les constructions imaginaires, idéalistes et sans rapport avec le réel mènent souvent, malheureusement, à des tragédies. Les pulsions passionnelles transforment rapidement la «sagesse des peuples» en «folie des foules».
Contrairement à ce que l'on peut croire, la sécurité n'est pas un état stable, celle-ci peut en un clin d'?il s'évaporer, laissant place aux pires drames. Les années 90 sont encore dans la mémoire de la plupart de nos concitoyens.
L'homme politique peut entraîner son peuple vers l'agitation et les conflits meurtriers, comme il peut le mener vers l'apaisement et l'effort salutaire.
Au peuple de choisir et d'assumer son choix.
Les Algériens devraient méditer longuement le cas de Haythem El Menaa et de Zoheir Salem. Tous les deux Syriens. Le premier, opposant farouche de tout temps, a même perdu son propre frère, dans son combat contre le régime. Le second, installé à Londres, écumait les plateaux dès le moment où la rébellion avait été déclenchée, pour chauffer les esprits de ses concitoyens du «bled».
Haythem El Manaa a alors appelé, avant l'irréparable et pour le salut de son pays, à accepter le dialogue avec le pouvoir. Il fut conspué, insulté, brimé et agressé par ceux qui réclamaient la liberté, la démocratie et les droits de l'Homme mais qui avaient déclamé «yetnahaou gaâ !».
Zoheir Salem, lui, pérorait à longueur d'émissions, pour promouvoir la «révolution» qui allait transporter le peuple syrien vers l'eden promis par Daesh. Il est vrai que d'éminents politiques d'Europe se régalaient du bon boulot d'Al Nosra ! Il était applaudi à tout rompre par les va-t-en-guerre et par ceux qui se projetaient dans la figure des héros.
Aujourd'hui, la Syrie est détruite. Des centaines de milliers de vies ont été perdues. Des millions de réfugiés errent de pays en pays. L'enfer sur terre.
Haythem El Manaa, conspué par la haine propagandiste, accusé d'avoir trahi la cause, aura dit et fait ce que sa conscience lui dictait, pour le bien de son pays. Il restera l'homme d'honneur d'une opposition idiote et sans scrupules. Voilà ce qu'il a écrit en janvier 2018 :
«Révolution et Peuple sont devenus des termes destinés à alimenter les réseaux sociaux ; un prétexte à lever des fonds. Nul ne se préoccupe désormais de Révolution et de Peuple, mais, en revanche, des rentes de situation qui se sont constituées grâce à ces slogans.»
Zoheir Salem, quant à lui, toujours bien habillé, bien rasé, bien nourri, continue à pérorer sur les plateaux de télévision, mais plus sur la Syrie (elle n'existe plus pour lui). Il vit de sa belle vie, loin de la Syrie, sur le sang de ses concitoyens et les ruines de son pays. Sans remords.
L'Algérie n'a besoin ni d'un Hamid Karzai l'Afghan ni d'un Ahmed Chalabi l'Irakien.
L'Algérie n'a pas besoin que le Parlement européen lui désigne ses hommes et ses femmes politiques qui doivent représenter son peuple.
L'Algérie a besoin de partenaires politiques, de voisins et d'amis, qui la respectent.
Sinon, l'Algérie est en droit de ne pas les respecter ! Et ça, elle le sait aussi.
S.?D.?


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