Algérie

Réquisitoire contre la jeunesse


Des jeunes coupables d’avoir manifesté, parfois avec excès, leur ras-le-bol, leur mal de vivre et leur dégoût. Les propos du successeur de Yazid Zerhouni désavouent de manière claire toute l’action du Président qui l’a nommé à ce poste pour «gagner» la confiance des jeunes.
Après avoir gardé le silence pendant 48 heures, le ministre de l’Intérieur s’est exprimé dans une interview accordée d’abord à l’agence officielle APS, puis au site d’information Algérie-Plus. Dans les deux interventions, la haine se dégage comme une tache blanche sur un tapis noir.
«La frange de jeunes, dont nous connaissons par ailleurs la situation difficile, s’est mise en position de fracture totale par rapport au reste de la société», a-t-il tranché. Autrement dit, les milliers de jeunes qui étaient dans les rues depuis le 5 janvier 2011 sont en «rupture» avec la société mais pas avec le pouvoir. Dans la lecture approximative de Ould Kablia, les jeunes sont en «guerre» avec la société, donc «c’est entre eux». Le pouvoir, dominé par les septuagénaires et les sexagénaires, n’a rien à se reprocher. Par conséquent, la société ne doit s’en prendre qu’à elle-même.
A Algérie-Plus, le ministre va plus loin, sans crainte de passer à côté de la vérité et de blesser la majorité des Algériens : «Depuis le début des années 2000, nous savons qu’il y a une jeunesse qui est en train de constituer une génération tout à fait différente de celles qui l’ont précédée, avec les mêmes conditions de mal vie et les mêmes problèmes qu’ils considèrent comme insolubles pour leur avenir, mais avec la différence qu’il y a chez eux une dose de violence plus importante qui est justement née de cette période qu’ils ont vécue lors de la décennie 1990. Ils sont extrêmement nihilistes et pessimistes», a-t-il affirmé.
Au-delà du fait que Daho Ould Kablia reconnaît implicitement que le pouvoir qui gère le pays «depuis le début des années 2000» a complètement échoué à rendre l’espoir aux jeunes et à régler leurs problèmes, il y a une dose de mépris chez cet homme politique qui dépasse toutes les bornes. D’un seul coup et sans aucune précaution, le ministre a décidé que les jeunes sont… nihilistes. Comme la réflexion est limitée, Daho Oul≠ Kablia n’a pas tenté d’expliquer pourquoi les jeunes sont dans ce qu’il croit être un état d’esprit. Il s’est contenté de citer des raisons qui peuvent facilement être puisées dans un cercle proche de l’extrême droite européenne : «Manque de loisirs, scolarité perturbée, milieu familial désintéressé, l’influence de la rue et des médias étrangers.»
Retenons cette dernière raison : les jeunes, pour ne pas perdre espoir, doivent se limiter à regarder les JT en noir et blanc de l’ENTV et écouter la radio étatique parler de football et du palmier dattier, comme du temps du parti unique.
Les difficultés d’accès constatées hier au réseau social facebook ou à YouTube – des sites que Daho Ould Kablia ne connaît peut-être pas – soulignent que le pouvoir passe à un stade supérieur de la censure. La Tunisie a tenté de faire la même chose. Tout le monde sait où en est ce pays, aujourd’hui.
Continuant ses «belles pensées» sur les jeunes, Daho Ould Kablia, qui semble résister difficilement au paternalisme, a ajouté : «Ils aiment toutes les choses qu’ils ne sont pas en mesure d’acquérir autrement que par le vol, par la contrebande, le trafic de drogue. Ils ne trouvent pas de dérivatif dans la musique, le sport, les voyages. Leur univers, c’est la rue de leur quartier.» Cela ressemble presque à de l’insulte pure et simple.
Culpabiliser les jeunes Algériens de cette manière est un scandale, de l’irresponsabilité à l’état naturel, de la fuite en avant.
Ce genre de discours, que les jeunes Algériens entendent depuis au moins dix ans, ne fera qu’alimenter la mécanique de la haine et de la révolte et approfondir la crise de confiance. Au lieu d’user d’un langage conciliant, compréhensif et ouvert, Daho Ould Kablia a choisi la voie de la provocation, de la fermeté mal placée, bref, de la mise à nu d’un pouvoir incapable de se ressaisir et de remettre l’Algérie sur le chemin de la modernité et des libertés. Et comme on ne fait pas du neuf avec du vieux, la cause est entendue.
 
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