Algérie

Reportage - Des femmes investissent le monde de l'art et de la peinture: Une seconde vie... après la retraite



Publié le 27.01.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Mokhtaria Bensaâd

Vivement la retraite, c'est ce que pensent toutes ces femmes, âgées entre 60 et 75 ans, rencontrées dans un atelier de peinture, qui ont décidé de se prendre en main et de faire de leur retraite de la vie professionnelle, une renaissance et une vie pleine de couleur. 

Beaucoup de femmes redoutent le départ à la retraite et nombreuses sont celles qui sombrent dans la déprime et la solitude, une fois devenues inactives après tant d'années de travail. Mais pour ces dames, il n'est pas question de se livrer à la vieillesse et se laisser entraîner dans le gouffre de l'angoisse et de la dépression. Pour elles, c'est un nouveau printemps et une nouvelle vie qui commence, cette fois-ci, dans le monde de Picasso et de Baya. Au début, l'idée de faire de la peinture à un âge avancé, semblait étrange et impossible. « Comment, je peux m'initier dans un art dont j'en ai aucune passion et qui m'est complètement inconnu », s'est demandée chacune de ces femmes. Faire de la couture et de la cuisine était plus évident pour elles que de tenir le pinceau et la palette pour peindre une toile. Au début, nous confie, Saliha, enseignante en retraite, âgée de 65 ans, mère de 3 enfants. « J'ai pris la proposition d'une amie d'adhérer à un groupe de peinture, très à la légère et avec ironie même. C'était en 2014, je me disais, moi qui suis nulle en dessin et peinture qu'est- ce que je vais faire dans cet atelier ? J'avais un doute sur mes capacités d'apprendre cet art à mon âge ». Mais avec l'encouragement de ses amies du groupe, Saliha a décidé de tenter l'expérience et de se lancer dans le bain. « Mon premier tableau était une casbah d'Alger.

Une première tentative réussie qui m'a poussée à poursuivre l'aventure », nous dira, d'une voix douce Saliha, bien équipée en matériel de peinture, assise devant sa toile en train de contempler comment mélanger les couleurs et les adapter à son dessin. Durant quatre heures, tout le monde est concentré sur son œuvre d'art. Un horaire qui nous a semblé très long au début, mais vite nous avons pris du plaisir et de la joie à passer tout ce temps ensemble. Pour Saliha, la semaine est bien chargée puisqu'en plus de la peinture, elle a choisi d'apprendre le Coran et de l'enseigner en parallèle aux enfants dans une mosquée, le mardi, le samedi et le vendredi. « Je n'ai pas une minute de libre. Toute la semaine je suis occupée à faire ce qui me fait plaisir et me réconforte. Le stress et l'angoisse sont loin depuis que j'ai tracé ma feuille de route et je la suis à la lettre », conclut Saliha.

C'est l'avis aussi de Karima, retraitée également de l'Education, âgée de 63 ans. Sortie en retraite en 2014. Elle a intégré le groupe en 2015. Mère de quatre enfants, deux filles et deux garçons, tous mariés, Karima, discrète et conviviale, n'a pas voulu rester inactive après sa vie professionnelle.

Elle a commencé par s'inscrire dans le centre de formation professionnelle de Hassi Bounif pour une formation de jardinage, d'apiculture et d'arbres fruitiers. « Je voulais occuper mon temps libre et faire des activités autres que l'enseignement. J'ai obtenu trois diplômes pour les trois spécialités. En même temps, des amies m'avaient proposé de faire de la peinture dans cet atelier. J'ai hésité la première fois, du fait que je n'avais aucune notion sur le dessin et puis j'ai dit pourquoi pas ? Pour son premier tableau, Karima a tenté une œuvre de Baya. Une première expérience encourageante, dira-t-elle, qui m'a motivée à rester dans ce groupe.

Cette activité l'a poussé, en effet, à prendre conscience qu'il faut prendre du temps pour soi et faire dont on a envie. « Cette expérience a été très bénéfique pour moi. Avant, je n'avais pas du temps pour moi. Comme, j'ai une maman malade, atteinte de la maladie d'Alzheimer, je lui consacre beaucoup de temps en plus des tâches ménagères. Pour décompresser et souffler un peu, j'ai décidé de diviser mon temps en deux, la matinée est réservée pour ma famille, l'après -midi est réservé pour mes loisirs ».

Le rendez-vous du mercredi une thérapie de groupe

Pour toutes ces femmes, le mercredi est devenu le rendez-vous de la semaine qu'aucune ne rate sauf extrême urgence. C'est tout le monde qui se réunit dans cet atelier pour accomplir une activité juste pour le plaisir et rien d'autre et aussi pour offrir ces tableaux aux proches et aux amis. Amina, médecin spécialiste ORL, âgée de 73 ans, mère de trois enfants, tous mariés, se sent fière, chaque fois qu'elle réalise un tableau. Pour elle, la peinture était un monde complètement inconnu mais qui est vite devenue une passion après avoir pris le pinceau et la palette. « La première fois, j'ai été émerveillée par les tableaux de mes sœurs qui avaient intégré le premier groupe avant moi. C'était une découverte. Comment elles arrivent à faire ça, alors qu'elles n'ont aucune notion sur cet art. Si elles peuvent arriver, moi aussi je peux y arriver », s'est dit Amina, très dynamique et joyeuse, debout devant sa grande toile qu'elle n'a pas encore terminée.

Pour ce médecin spécialiste qui avait son cabinet à Mostaganem et aussi ses patients, auxquels elle était très attachée, a dû prendre une dure décision, celle de tout quitter et de s'installer à Oran. « Comme mes enfants étaient tous mariés, je me suis retrouvée, mon mari et moi dans une grande maison, seuls. Nous avons, alors décidé, avec un pincement au cœur, de vendre et d'acheter un appartement à Oran. Un pincement au cœur par rapport à mes patients avec qui j'ai tissé des liens étroits, avec leurs enfants et leurs petits-enfants aussi. Et pour joindre l'utile à l'agréable, j'ai intégré le groupe de peinture », nous a confié Amina qui pratique également le yoga pour le moral et la forme.

A côté d'elle, était assise, Soumia, chirurgien- dentiste, âgée de 61 ans, mère de quatre enfants, en train de contempler sa toile. Contrairement à ses copines, Soumia a fait dans la prévention puisqu'elle a décidé d'intégrer le groupe avant sa sortie en retraite qui ne va pas tarder à venir. Ayant à sa charge des parents malades, Soumia a trouvé dans cette activité un moyen de décompresser et de se détendre un jour par semaine en rencontrant ses amis et en discutant de tout et de rien autour d'une collation que le groupe organise lors de la pause. Souriante et apaisée, Soumia ne se soucie plus de sa retraite. Elle semble avoir trouvé une échappatoire avec la peinture, d'ailleurs, nous dit-elle, « ma plus jeune fille ne cesse de s'inquiéter pour moi et je la rassure, chaque fois, que mon temps libre est déjà rempli avec la peinture ». En plus de cette passion, elle a déjà fait une formation sur la poterie et peinture sur verre et compte s'initier au tricot une fois sortie en retraite. En face d'elle, Fatma, âgée de 71 ans, retraitée d'une entreprise publique, très joviale, hésite sur le choix des couleurs pour sa toile représentant une casbah. Ayant intégré le groupe en 2015, Fatma, mère de quatre enfants est toujours impatiente de retrouver le groupe le mercredi. « Avant, nous dit-elle, la peinture était un art éloigné de mes compétences. Je ne me voyais même pas réaliser le plus simple des dessins. Je n'avais ni le don, ni la passion, mais mes amis m'ont rassuré qu'une fois dedans, c'est la découverte de cet art ». Son premier tableau était sur l'art africain. Une fierté pour Fatma qui ne voit plus sa vie sans la peinture. Même sentiment pour Nora, timide et gentille. Agée de 63 ans, mère de trois enfants qui, elle, se dit retraitée du statut « mère au foyer ». « J'ai commencé avec la broderie, c'était en 2019, ensuite j'ai entendu parler de ce groupe. L'idée m'a plus et j'ai décidé de faire cette expérience que j'ai trouvée ensuite très bénéfique pour les femmes de notre âge ».

Thérapie, bouffée d'oxygène, réconfort, plaisir, échappatoire, des qualificatifs qui résument, selon ces femmes le bien-être que procure cette passion, pourtant méconnue au départ.

« Nous venons pour la peinture, mais nous nous retrouvons à faire des débats sur les sujets d'actualité, à partager des recettes et astuces, à proposer des plans de voyage ensemble, à rire et se taquiner, à se consoler et se soutenir entre elles en cas de décès ou un évènement tragique, à s'inviter dans des occasions. Bref, « cet atelier est devenu ce cocon qui nous donne du réconfort que la plupart des femmes recherchent une fois sortie en retraite », ont insisté ces femmes, artistes malgré elles.

Des expositions et pourquoi pas ?

Ce groupe est chapeauté par Rachid, artiste plasticien, âgé de 45 ans. Sorti de l'Ecole des beaux-arts d'Oran, il a commencé à donner des cours de peinture aux particuliers en 2004 avant de constituer, en 2011, un premier groupe de femmes voulant faire de la peinture. Ceci après échec de toutes ses tentatives de recrutement et des concours passés. « L'annonce au départ », a indiqué cet artiste plasticien, « n'était pas destinée que pour les femmes, mais surprise, c'est le sexe féminin qui l'emporte puisque toutes les demandes d'intégrer le groupe venaient des femmes dont 95% de femmes retraitées. J'ai constitué le groupe du lundi, puis le groupe du mercredi, puis un 3ème atelier du fait que beaucoup ont voulu découvrir cet art dont elles ignoraient tout ». Toujours souriant et dynamique, Rachid a préféré sortir des cours académiques en enseignant cet art et laisser les candidats libres dans le choix des sujets à peindre. « Avec un cours académique, tout candidat risque de se lasser et se décourager très vite, mais lorsque, il se sent libérer dans son apprentissage, il peut percer. C'est cette méthode que j'ai appliquée avec toutes ces femmes, retraitées ou encore en activité », nous a expliqué cet artiste plasticien, présent à cet atelier pour orienter, cadrer, corriger les erreurs et conseiller toutes ces femmes sur le choix des sujets, des couleurs et du support sur lequel sera réalisé le travail. Il est là aussi pour évaluer le niveau de chacune et les motiver à tenter l'image et le réel. Se sentant bien dans leur peau pour aborder n'importe quel sujet, toutes ces femmes se disent satisfaites de la méthode enseignée et ne sont pas prêtes à quitter le groupe. Si aucune d'elles ne se voyait participer à des expositions de peinture ou des salons, elles ont pu, pour certaines, atteindre ce but qui semblait si lointain. Selon Rachid, plusieurs femmes retraitées ont participé à des expositions au Palais de la Culture et ailleurs. « Une de mes élèves a même exposé à Alger, deux autres, une pédiatre retraitée et l'autre chirurgien- dentiste ont exposé en Italie. Pour une autre femme retraitée, à faible revenu, elle a décidé de vendre ses tableaux pour élever son niveau de vie. Cet atelier est donc gagnant pour toutes », nous dira cet artiste qui a indiqué que cet atelier ne regroupe pas uniquement des femmes d'Oran, mais d'autres wilaya, Mostaganem, Sidi-Bel Abbès, Nedroma...Elles font les déplacements juste pour un cours de peinture, c'est preuve qu'elles sont bien motivées.

Inventer son printemps après sa retraite, c'est ce que toutes ces femmes ont décidé de faire loin de tous les clichés.



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