Algérie

Réponses alambiquées



Il faut que le peuple bouge...? C?est cette petite phrase lâchée par le chef de l?Etat, lourde de sens mais empreinte d?ambiguïté, qui aura constitué le fait télévisuel notable de cette semaine marquée par ailleurs tragiquement, comme tout le monde le sait, par deux attentats meurtriers perpétrés par des kamikazes contre le palais du gouvernement et le commissariat de Bab Ezzouar. Quatre jours après cet acte terroriste lâche et ignoble qui a fait de nombreuses victimes innocentes, le Président de la République a tenu à briser le silence en se rendant à l?hôpital Mustapha, au chevet des blessés pour les réconforter et les assurer de la solidarité du pouvoir politique. Rituel au demeurant tout à fait normal dans des circonstances aussi tragiques, sauf qu?il s?est opéré avec un retard qui a donné lieu à de tas de spéculations. Au passage il a donc prononcé ces quelques mots qui ont résonné dans les oreilles des Algériens comme un signe d?impuissance qui contredit le discours officiel par lequel on laissait croire que l?Etat maîtrisait la situation sécuritaire et que la fin du terrorisme n?était plus tellement lointaine. En se remettant devant les caméras de l?Unique et dans un moment de forte affliction à la vigilance des citoyens qu?il trouve trop ?relâchée? tout en les incitant ?à bouger...?, Bouteflika a visiblement subi le même effet de la perte du self-control que Zeroual lequel, dans une ambiance analogue et à une femme désespérée sur son lit d?hôpital qui lui demandait de faire quelque chose (pour arrêter le terrorisme), eut à peu près cette réponse qui lui collera à la peau : ?Qu?est-ce qu?il y a lieu de faire Madame...? Les deux présidents ont réagi à chaud dans une atmosphère émotionnelle intense, mais sans prendre garde à la signification et surtout à la portée des mots qui peuvent dériver de leur expression première. Si pour Zeroual, les Algériens se sont longtemps interrogés sur une réponse singulièrement alambiquée qui laissait sous-entendre par la voix du premier magistrat du pays que l?Etat n?avait lui même pas de solution pour combattre la bête immonde, ils retombent aujourd?hui dans une imcompréhension identique avec Bouteflika en ne sachant pas par quel bout il faut prendre cette appel en détresse. Comment en effet ?bouger...? pour faire face au terrorisme qui n?a pas de visage et qui de surcroît en se mettant sous le couvert d?El Qaida a pris une tournure encore plus féroce avec le phénomène de la bombe humaine. Etre vigilant est une chose, ?bouger? en est une autre... Tout est donc dans la manière de communiquer pour faire passer le message qu?il faut dans les pires instants de panique ou de psychose et pour, naturellement, agir dans la plus grande efficacité possible. De ce point de vue, autant dire que la parade a été vite trouvée pour aller dans le sens d?une large mobilisation populaire qui aiderait les citoyens à exorciser leurs angoisses. Le rempart pour arrêter le terrorisme, c?est de continuer à soutenir le projet de Bouteflika portant sur la réconciliation nationale, même si celui-ci n?a pas connu les résultats qu?on lui prédisait. C?est de nouveau la panacée, le slogan de l?offensive, le leitmotiv idéologique dans lequel la télévision nationale s?est impliquée avec toute sa logistique pour montrer que dans notre pays le rejet du terrorisme est une réalité partagée par tous les Algériens. Il faut dire que l?Unique retrouve toute sa percutance dans une situation de propagande pour frapper les esprits des téléspectateurs. Mais une percutance qui nous renvoie aux années de plomb dominées alors par le parti unique. Tout l?attirail du discours sentimentalo-populiste est remis au goût du jour, avec une forte propension à exacerber les fibres patriotiques des Algériens pour une cause qui coule en fait de source et qui donc ne pourra jamais rencontrer de contradicteur. Quel est l?Algérien aimant son pays, la paix et la concorde nationale qui ne se déclarerait pas contre le terrorisme barbare ? Qu?à cela ne tienne, la télé est là pour prendre en charge toutes les réactions nationalistes en allant solliciter les interventions et recueillir les avis des citoyens là où il faut et à condition qu?ils soient sur la même ligne. Faut-il s?étonner de voir l?Unique s?investir dans ce rôle qui l?éloigne de sa véritable mission d?information d?abord et d?analyse ensuite pour nous faire mieux comprendre ce qui nous arrive ? Evidemment non, car organe lié au pouvoir politique, le petit écran n?a aucune marge de man?uvre pour éviter cela. Ce qui fait dire à des spécialistes de l?audiovisuel que la télévision algérienne n?a pas évolué depuis des lustres et ne peut pas évoluer dans le sens d?une télé qui doit fonctionner avec une mentalité plus moderniste et plus ouverte sur le monde médiatique contemporain. Rendre compte des meetings et des manifestations populaires à travers le pays qui livrent la même résonance patriotique, c?est bon pour le moral et sûrement productif pour la mobilisation et la prise de conscience, mais aller au fond des choses pour expliquer les tenants et les aboutissants du terrorisme intégriste est encore plus nécessaire aux Algériens dans leur quête de la vérité sur un fléau qui a laissé déjà derrière lui des traumatismes irréparables.


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