Algérie

Repenser la politique pour améliorer l'utilisation productive et durable de l'eau dans le secteur de l’agriculture



Repenser la politique pour améliorer l'utilisation productive et durable de l'eau dans le secteur de l’agriculture
Publié par Le Soir d’Algérie le 25.01.2022

Par Nadjib Drouiche(*)
C’est une réalité, l’Algérie consomme déjà plus que ses ressources en eau renouvelables, et à mesure que sa population et son économie augmentent, la nécessité d'économiser et de trouver de nouvelles sources d'eau pour son secteur agricole devient plus urgente. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (IPCC), ainsi que celui du réseau d'experts méditerranéens sur le changement climatique et environnemental (MedECC) prévoient que le pays sera probablement confronté à une diminution des précipitations et à une augmentation des températures, une combinaison dangereuse pour l’Algérie, qui est déjà pauvre en eau et exposée à un risque important de désertification.
Dans un contexte marqué, d’un côté, par la menace d’une réduction des rendements agricoles, et de l’autre, par une réduction inquiétante des ressources en eau disponibles dans un nombre croissant de pays, l’importance d’un usage économe de l’eau dans l’agriculture ou le recours à l’usage des eaux usées recyclées ou dessalées ne peut donc pas être surestimée.
Les systèmes alimentaires durables et résilients dépendent d'une gestion durable et résiliente de l'eau. La résilience se caractérise par un chevauchement des espaces et des échelles de décision et par des interdépendances entre les utilisateurs d'eau et les secteurs en concurrence.
La raréfaction de l'eau, due notamment à la pollution, au changement climatique, à la surpopulation et à la mauvaise utilisation des ressources, rend indispensable la limitation de la consommation des ressources en eau.
En outre, l’absence de ressources en eau suffisantes, des pénuries alimentaires seront inévitables. La mise en œuvre nécessite une compréhension des différents domaines, des acteurs et de leurs objectifs, ainsi que des moteurs et des obstacles au changement transformationnel.
L’ampleur et la complexité des phénomènes susmentionnés impliqueraient de repenser totalement les cadres de pensée traditionnels des décideurs et des scientifiques en matière de sécurité alimentaire, et en particulier de mettre davantage l’accent sur la gestion de la demande, c’est-à-dire une approche spécifique à l'échelle, dans laquelle l'utilisation de l'eau agricole est intégrée dans une approche systémique plus large. Cette approche est la base de la cohérence des politiques et de la conception de systèmes d'incitation efficaces pour modifier le comportement en matière d'utilisation de l'eau agricole, ses usages et sa conservation et, par conséquent, optimiser l'eau que nous consommons.
L'agriculture étant responsable d'environ 70% des prélèvements en Algérie, le statu quo ne sera pas possible à l'avenir. La combinaison de politiques inefficaces et l'absence d'approches coordonnées entre les acteurs et les échelles constituent des obstacles majeurs au changement systémique de l'utilisation de l'eau par l'agriculture. Cette situation exacerbe le défi de la pénurie d'eau mondiale et entrave la réalisation de la cible 2.4 des objectifs de développement durable (ODD), qui vise à doubler la productivité agricole et les revenus des petits producteurs alimentaires et renforcer les capacités d’adaptation aux changements climatiques.
Un vaste effort de modernisation de l’agriculture, sur la base de solutions technologiques comme les variétés végétales résistantes à la sécheresse dites «climate-ready», ou l’usage des technologies de l’information pour rationaliser l’irrigation fait également des progrès dans les exploitations industrielles, aussi bien pour le goutte-à-goutte que pour l’irrigation par aspersion (où les logiciels tiennent comptent par exemple de la direction et de la force du vent pour programmer les aspersions).
Cependant, si ces technologies ont clairement leur place dans l’adaptation au changement climatique, il convient donc de ne pas les adopter de manière aveugle, mais de privilégier des technologies appropriées compatibles avec des systèmes agricoles résilients ayant des objectifs sociaux et environnementaux afin d’endiguer le risque de mettre l’agriculture paysanne, dont le principe repose sur l’utilisation de variétés traditionnelles marginalisées par les «révolutions vertes» (semences paysannes, polyculture et biodiversité cultivée, etc.), mais bien plus résistantes aux aléas climatiques — pourtant mieux adaptée aux défis du dérèglement climatique — sous la coupe de l’agrobusiness.
On assiste aussi au développement de la réutilisation des eaux usées pour l’agriculture, notamment en Espagne, avec force subventions publiques. Dans ce pays, l’eau produite par le dessalement est également utilisée pour l’irrigation, en plus des usages d’alimentation en eau potable. Cependant, l’adoption progressive de ces sources d’eau non-conventionnelles, outre leur coût, ne suffit pas pour l’instant à alléger la pression sur les ressources en eau, du fait de la croissance continue de la demande en eau.
En ce qui concerne l’accès à l’eau pour l’irrigation en Algérie, l’accent est mis actuellement sur le développement des sources d’eaux souterraines, une solution qui repose, là encore, sur des investissements technologiques significatifs et un modèle agricole industriel. Pourtant, d’autres solutions, comme le développement de la récolte des eaux de pluie, seraient bien moins coûteuses et parfois mieux adaptées dans certaines régions du pays.
D’autres alternatives existent comme l’adoption d’une transformation alimentaire qui reposerait sur des régimes alimentaires sains, produits par un système alimentaire durable. Sinon, la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour la population peut être compromise à l’avenir. Les innovations dans les systèmes alimentaires conjuguées à la nécessité d’aller vers une transformation du mode de notre alimentation sont donc essentielles pour minimiser les impacts environnementaux tels que l'épuisement des ressources en eau. La gestion durable de l'eau joue un rôle essentiel dans ces processus et peut également faciliter la réalisation d'autres objectifs comme une croissance résiliente au climat et la création d'emplois.
En réponse à la pénurie d'eau, une grande variété d'interventions de gestion de l'eau en agriculture peut être envisagée pour augmenter les rendements. Parmi les mesures à adopter afin de prévenir la surexploitation des ressources en eau et améliorer l'efficacité de leur utilisation, le passage à une technologie d'irrigation plus efficace, dotée d’un contrôle strict du pompage pourrait contribuer à stopper l'augmentation de la consommation d'eau.
En effet, l'utilisation non durable (par exemple, le prélèvement excessif de l'eau souterraine) peut permettre des gains de production alimentaire à court terme mais être nuisible à long terme et limiter les opportunités pour les générations futures.
Par ailleurs, ces interventions peuvent comprendre d’autres solutions biophysiques et techniques qui sont basées, par exemple, sur des innovations en matière de sélection, de biotechnologie, de pratiques agronomiques et de meilleures infrastructures (par exemple, le stockage de l'eau). Les instruments économiques (par exemple, la tarification de l'eau et les subventions) et les mesures visant à améliorer la gouvernance de l'eau (par exemple, les associations d'utilisateurs d'eau, les politiques et le cadre juridique) sont également essentiels pour améliorer l'utilisation de l'eau.
Une autre approche dans laquelle les pompes solaires sont connectées au réseau électrique et les agriculteurs peuvent vendre l'énergie solaire qui n'est pas nécessaire pour leurs besoins d’irrigation (connue sous le nom d'énergie solaire comme culture rémunératrice) pourrait être adoptée. Cette mesure pourrait aboutir à la réduction de la surexploitation des eaux souterraines mais dépend aussi en œuvre d'un tarif de rachat de l'électricité approprié.
Les politiques inhérentes au secteur de l’agriculture ainsi que d'autres secteurs consommateurs d'eau comme l’exploitation minière, l’industrie, le tourisme et l’alimentation en eau ont tous un impact sur la gestion de l'eau à des fins agricoles au niveau national.
Par conséquent, pour s'attaquer aux complexités de la gestion de l'eau dans le secteur agricole, il est nécessaire d'adopter une approche multidisciplinaire afin de comprendre les compromis et les impacts d'interventions spécifiques et d'identifier les synergies intersectorielles. Un haut degré de réflexion intégrée et de coordination entre les différents secteurs et échelles est nécessaire. Ces défis sont à la fois techniques et politiques.
Les méthodes modernes d'observation de la Terre (télédétection des précipitations, de l'évaporation, etc.), soutenues par des approches de Big data (par exemple, l'internet des objets et l'intelligence artificielle), peuvent compléter les réseaux traditionnels de surveillance au sol. Ceci est particulièrement critique dans le contexte du changement climatique.
Les enjeux sont élevés et, sans aucun doute, une action accélérée est nécessaire. Les décideurs politiques devront faire des choix difficiles sur la manière de gérer les déficits croissants de ressources et de fixer les priorités.
N. D.
(*) CRTSE-Division CCPM- N°2, Bd Dr. Frantz-Fanon, P.O.Box 140, 16038 Alger Sept Merveilles, Algeria



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