Le gouvernement a décidé de faciliter aux détenteurs de capitaux privés, l'exploitation des terres agricoles relevant du domaine privé de l'Etat.La visite, jeudi dernier, du 1er ministre dans la wilaya de Aïn Defla a laissé apparaître la gêne du gouvernement à devoir expliquer que l'exploitation voire le statut de la terre agricole devra désormais profiter aux grosses fortunes. Alors que Abdelmalek Sellal s'était abstenu, à la dernière minute, d'annoncer dans cette rencontre nationale de la profession, des décisions qu'il avait qualifiées «d'importantes» plusieurs jours avant, le secrétaire général de l'UNPA (Union nationale des paysans algériens) avait, lui, structuré son long discours autour d'une seule mais lourde problématique pour la présenter comme la revendication prioritaire des agriculteurs. Mohamed Allioui avait demandé «la constitutionnalisation des terres agricoles et leur protection contre les affres du béton et de l'émiettement».L'on apprend de sources sûres que le gouvernement a déjà sorti du pipe des réformes qu'il est en train d'engager pour créer une économie diversifiée, des textes réglementaires par lesquels il veut réorienter l'exploitation des terres agricoles vers des capitaux capables de transformer des exploitations classiques en «des fermes modernes intégrées». Les instructions ont déjà été données à cet effet. Il est attendu qu'un texte de codification de cette décision, soit ces jours-ci rendu public. Le premier responsable du secteur l'avait prévu pour la fin du mois de novembre dernier. Le ministre de l'Agriculture et de la Pêche avait mis les formes qu'il faut pour aborder ce sujet dans une interview parue sur ces mêmes colonnes le mardi 10 novembre 2015. Sid Ahmed Ferroukhi avait reconnu que «dans notre potentiel de terres agricoles, l'une des complexités, c'est que ceux qui sont détenteurs du droit de concession n'ont pas toujours les moyens et les capacités d'exploitation». Le ministre avait précisé que «la question du foncier agricole est la vraie question du secteur».LE GOUVERNEMENT VEUT REGLER « LES DECALAGES» DANS LE FONCIER AGRICOLEUne question qui ne trouve pas de réponse efficace tant qu'elle reste insérée dans «des inadéquations, des décalages et le manque de fluidité» dont il avait fait part. Le premier responsable du secteur pense qu'«il faut créer de la fluidité et des liens entre les parties (détenteurs du titre de concession et ceux des capitaux, ndlr), il faut que ce soit clair dans la réglementation, il faut qu'on crée ces ponts». Ferroukhi avait affirmé alors que «la loi 10-03 permet aux détenteurs du droit de concession de faire du partenariat avec les détenteurs de moyens. Réglementairement, on va le rendre opérationnel par la signature d'une circulaire d'ici à la fin du mois». Tout autant que les experts qui se sont prononcés sur la question de «la transformation de l'économie nationale en une économie productrice de richesses», le ministre de l'Agriculture a avoué que «l'une des difficultés que nous avons dans l'économie réelle, c'est qu'il n'y a pas de donneur d'ordre (…). Cela suppose une autre organisation du marché, on a des asymétries à corriger». Il a déclaré ainsi qu'«on est en train de chercher un choc de simplification et d'efficacité. Il faut simplifier notre mécanique, elle est trop compliquée».Il a fallu que le pays subit un choc pétrolier pour que le gouvernement se ressaisisse et prenne sous le coup de l'urgence, des décisions de «repêchage» des secteurs qui devaient pourtant depuis longtemps se substituer, par la création de richesses, au «dogme» de la rente des hydrocarbures.LES TERRES PRIVEES DE L'ETAT AUX MAINS DES GROSSES FORTUNESLe gouvernement refuse d'admettre qu'il dormait sur ses lauriers et qu'il a été brusquement réveillé pour chercher des ressources hors hydrocarbures et reconstituer les stocks financiers de l'Etat sérieusement diminués. Il se trouve même des circonstances atténuantes en soutenant que «si la crise nous oblige à transformer notre économie, eh bien vive la crise !».Son appel pressant aux grosses fortunes lui permet d'espérer des sursauts salvateurs au nom «d'un patriotisme économique» assez nouveau pour un pays qui s'est longuement tapi, tout autant que ses acteurs économiques, à l'ombre de la rente.En attendant que les capitaux de l'informel acceptent d'être régulés par un système financier et bancaire toujours en quête de performances et de modernisation, le gouvernement va lancer des appels d'offres aux grosses fortunes bien en vue dans le pays pour exploiter le million d'hectares, comme prévu dans le programme du président de la République. «On est déjà en train de catalyser et de mettre en place le mode opératoire et les procédures pour l'atteindre», nous avait dit le ministre.«L'AGRICULTURE LATIFUNDIAIRE» COMME RESSORT FINANCIER 'Le gouvernement a retenu dans ce cadre, les fermes pilotes comme premier potentiel agricole, et ce conformément à sa nouvelle vision d'aller vers des modèles intensifs, notamment dans la céréaliculture et la création de complexes agricoles modernes. Le secteur comptabilise 174 fermes pilotes réparties à travers l'ensemble du territoire national et qui s'étendent sur plus de 150.000 hectares. Elles sont gérées pour une partie, par la SGP PRODA et pour l'autre par la SGPA. Les unes sont spécialisées dans le développement de semences et de plants et les autres dans les différents élevages. «Ce sont les plus belles terres du pays, elles permettent de produire les plus belles cultures», soutiennent des professionnels. Des partenariats devront être «montés» entre publics et privés et aussi entre des privés seuls pour en faire des exploitations intensives. Les spécialistes des questions agricoles appellent ce modèle de production «l'agriculture latifundiaire», très répandu en Amérique latine avec tout ce que cela suppose comme transformation des relations de travail du public vers le privé. Les détracteurs du gouvernement prennent le raccourci le plus simple et rappellent sans hésiter «le temps des khamassa». Au début des années 90, l'Etat avait décidé de privatiser les terres agricoles pour les rendre, avait-il soutenu, plus productives. Face à la levée de boucliers du FLN et de ses organisations satellites, le ministre du secteur de l'époque avait défendu l'idée en assurant qu'il ne sera jamais question de permettre la création de latifundia. «On n'est plus dans la même configuration de l'Algérie rurale et agricole de l'indépendance (…), cela suppose une autre organisation du marché», affirme aujourd'hui le premier responsable du secteur.La simplification de la mécanique agricole doit désormais permettre l'exploitation des terres agricoles par les détenteurs de gros moyens financiers. En retenant les fermes pilotes comme terres prêtes à «l'emploi capitaliste», le gouvernement leur a ainsi identifié les meilleures zones pour la réalisation de leurs projets «expansionnistes».«ACCELERER LE PARTENARIAT PRIVE-PUBLIC ET LE DROIT DE CESSION DES TERRES PRIVEES DE L'ETAT»Le gouvernement pense en même temps à convaincre les EAC et EAI (exploitations agricoles collectives et individuelles), à se transformer en «capteurs» de capitaux pour créer des partenariats nationaux et même étrangers. La loi de finances 2016 a toute latitude de le leur permettre et le faciliter. Le pays compte 30.298 EAC et 66.522 EAI, comptabilisant ensemble 2,3 millions d'hectares, issues, tout autant que les fermes pilotes, du domaine privé de l'Etat. Pour l'heure, le 1er ministre a annoncé que l'Etat a déjà attribué 176.000 actes de concession aux exploitants qui évoluent dans ces structures et dont le nombre est de 219.406. «L'opération continue», avait-il noté. L'idée de Sellal semble avoir été synthétisée dans un document rédigé par les soins de la wilaya de Aïn Defla. «Il faut accélérer la mise en ?uvre du partenariat privé-public et les droits de cession des terres du domaine privé de l'Etat», lit-on à propos du développement de la filière lait.L'on se demande pour quelles raisons le gouvernement garde bien au secret cette importante mutation qu'il veut opérer au statut des terres privées de l'Etat quand on sait que les EAC exploitent seulement de 20 à 100 hectares et les EAI de 4 à 15 hectares, un mode d'émiettement avéré des terres arables les plus productives du pays. L'objectif de les regrouper pour les faire fructifier est noble en soi. Mais les tergiversations du gouvernement en compliquent les mécanismes et ouvrent les voies de toutes les surenchères et les encans. Un état d'esprit qui risque de bloquer encore plus la mécanique et de rendre les tentatives de son redéploiement inefficaces avant même qu'elles ne prennent forme pour se mettre en place. A moins que le gouvernement veut surtout reconduire le système de gestion de la rente pétrolière pour le reproduire et le constituer dans d'autres secteurs comme l'agriculture. Cela ne sera alors qu'une preuve supplémentaire pour obliger les décideurs à revoir l'exercice des pouvoirs et la gouvernance dans leur profondeur.
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Posté Le : 03/12/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com