Algérie

René Vautier et Abdallah Belhouchet


Le ratage « historique » A marche forcée, un bataillon de la Six arpentait le sentier d?un rythme lent au sud des Aurès. Les hommes scrutent le ciel bleu d?un midi printanier. Dans cet univers minéral et de nudité végétale, l?ennemi redouté vient toujours d?en haut. Et voici qu?un chasseur T6 pointe comme une tâche sombre en position à « dix heures dix », c?est-à-dire en face et légèrement sur la gauche de la colonne. Le bataillon est repéré. Les hommes ont tout juste le temps de se trouver des abris dans les failles des rochers. Le redoutable chasseur, reconnaissable à sa couleur jaune et le bruit assourdissant de son moteur central, se positionne à basse altitude. Il entame l?arrosage avec ses deux mitrailleuses flanquées sous ses ailes crachant des projectiles de 12. L?effet de surprise profite au pilote qui ne laisse pas le temps aux djounoud de pointer l?unique pièce de 24 dans la direction de la cible en mouvement. Il pique et lâche son premier obus qui soulève un nuage de poussière et de roches pulvérisées. C?est la panique. René Vautier ne perd pas le Nord. Caméra au poing, il filme la scène. Juste à côté, le sous-officier, Abdallah Belhouchet retrouve ses esprits et son instinct de tireur d?élite. Il cale son fusil avec douceur sur le rocher et vise l?habitacle transparent du chasseur qui passe à l?horizontal sur une distance de 400 m. Ancien d?Indochine, Si Abdallah fut aussi un excellent ailier gauche dans l?équipe de football de M?daourouch. Et dans la circonstance, il a besoin de mettre à profit ses deux qualités pour tenter l?impossible. Au deuxième passage du T6, Si Abdallah fait feu de son vieux 36. Il tire une seule balle et atteint le pilote dans la seule partie visible du corps, à savoir la tête. L?avion jaune pique alors droit sur la falaise et explose dans une gigantesque boule de feu. Même pour un tireur de sa catégorie, cette performance est rare. Soulagés, les djounoud poussent un cri de victoire et le bataillon poursuit sa route jusqu?à la tombée de la nuit. Belhouchet épaule son fusil et se fige dans son sombre regard coutumier. Mais à la première halte, c?est la stupeur. René Vautier découvre qu?il n?avait pas chargé sa caméra ! Il a filmé dans le vide. Un ratage historique. Devenu général major, Abdallah Belhouchet n?oubliera jamais « le coup de René ». Sa colère va durer plus de 36 ans. En 1995, le général est admis dans un hôpital parisien. René Vautier ose la rencontre au chevet du malade. Si Abdallah accueille son vieil ami d?un regard faussement sévère : « Tu as de la chance, j?aurais dû t?enfoncer ta caméra dans la tête. » Et Vautier de répondre : « Mais tu sais bien Abdallah, j?ai déjà un fragment d?une caméra 16mm dans le crâne qu?aucun chirurgien ne peut extraire, tu te rappelles? » De loin, on pouvait entendre l?éclat de leurs rires.
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