Quatre spécialistes se sont employés, le temps d'une table ronde, à
relever les similitudes et les différences des systèmes de santé en vigueur
dans les trois pays du Maghreb. Il s'agit du professeur Mohamed Mebtoul,
directeur du GRAS, hôte de la rencontre, Mohamed Chahed, médecin et chercheur
tunisien, Vincent de Browwere, exerçant au Maroc, et Marc Eric Gréunais,
anthropologue installé au Maroc et chercheur à l'IRD (Institut de Recherche sur
le Développement).
Tous les intervenants ont appréhendé la question à partir de la figure du
médecin généraliste, chaînon central de ce système. Dans sa présentation de la
table ronde, Mebtoul a avancé des explications sur la nécessité de croiser le
regard du praticien et celui du sociologue pour appréhender le système de santé
publique. Il soulignera en premier lieu la hiérarchisation sociale et
professionnelle du champ médical, qui oblige l'observateur à considérer le
médecin généraliste en fonction de son positionnement dans ce champ.
Conséquence de cette hiérarchisation sur l'étudiant en médecine : le modèle
d'identification est le spécialiste et la culture hégémonique est celle de la
spécialisation. Du moment que le CHU est le terrain de déploiement du
spécialiste, les stages d'internat se déroulent dans cet espace et non dans les
structures périphériques où sont affectés les médecins généralistes. Dans ce
cadre, Mebtoul rappellera qu'en France, ce sont les médecins hygiénistes qui
ont produit les premières études sur les familles, le quartier, un siècle avant
l'école sociologique de Chicago par exemple.
Cette dichotomie entre une centralité et une périphérie débouche
inéluctablement, selon les propos de l'intervenant, sur l'ambiguïté de la
relation thérapeutique qu'on peut décerner dans la volonté moralisatrice et
l'étiquetage en négatif de la société de la part des médecins généralistes
exerçant dans des quartiers, au sein des structures jugées secondaires. Il
expliquera la moralisation par la propension de conférer à l'ordre médical la
mission de transformer les comportements des usagers et patients. Lors de son
intervention, Mebtoul notera les résistances et le refus d'introduire
l'enseignement de la sociologie et de l'anthropologie dans le cursus de
formation des médecins.
Appréhendant la question d'un autre angle, Mohamed Chahed, médecin et
chercheur tunisien, commencera par relater les mutations socio-économiques de
la société tunisienne. Il rappellera la révolution démographique dans ce pays
où le taux de fécondité ne dépasse pas 1,2%, ce qui a débouché sur une autre
configuration de la pyramide des âges. Selon les prévisions, la population âgée
de 60 ans et plus représentera dans l'avenir 18% de la population globale. Il
rappellera aussi que la Tunisie a adopté dès 1986 un plan de réajustement
structurel ; et suite à son adhésion à l'OMC, elle a achevé le démantèlement
des barrières douanières en 2008. Ces mutations se sont évidemment répercutées
sur le plan sanitaire, note-t-il. La rupture des maladies transmissibles a fait
place à d'autres atteintes ayant un lien avec le tabagisme, l'obésité, le
cholestérol et le diabète. Dans cet ordre d'idée, il lancera qu'un patient sur
7 est atteint du cancer du poumon et 1 patiente sur 9 est atteinte du cancer du
sein. Cette mutation a permis au secteur privé de s'ériger en véritable
concurrent du système public. L'on apprendra qu'il existe 66 cliniques privées
en Tunisie, contre 54 centres hospitaliers, alors que le nombre des centres de
base a atteint 2.200 unités. Mais pour mieux illustrer la dévalorisation du
médecin généraliste, il indiquera que cette année, 80 médecins généralistes ont
été recrutés alors que 1.200 ont pris part au concours de recrutement. Il
ajoutera que sur les 15.000 médecins généralistes inscrits, 5.000 sont en
chômage. Or, en Tunisie, on relève 70 médecins pour 100.000 habitants, contre
85 pour l'Algérie et 48 pour le Maroc. Il terminera en affirmant que la
cohabitation entre le système public et le système privé se réalise en faveur
de ce dernier. Pour preuve, la dépense du Tunisien pour sa santé est passée de
70 dinars tunisiens auparavant à 160 dinars actuellement. Il finira par
souligner que suite à la réforme engagée en 1992 et qui a bénéficié de l'appui
de la Banque mondiale, tous les hôpitaux se trouvent actuellement endettés.
S'agissant du Maroc, Vincent de Browwere, chercheur à l'IRD, relèvera dès
le départ la charge des maladies non transmissibles qui représente 55,8%. Il
notera la pénurie du personnel médical en avançant un chiffre se passant de
tout commentaire : 7.000 habitants pour une structure de soins de base.
D'ailleurs, ajoutera-t-il, 30.000 femmes accouchent au foyer chaque année.
Cette situation fait que les trois quarts des patients sollicitent les
cliniques privées. D'ailleurs, ce secteur totalise 6.795 médecins contre 2.753
exerçant dans le secteur public. La question de la formation des médecins se
pose avec acuité dans ce pays, relève-t-il. Chaque année, 800 personnes
accèdent à ce statut mais à partir de 2020, le Maroc sera obligé d'atteindre la
formation de 3.300 médecins par an. Comparant la situation du médecin
généraliste au Maroc avec celle de l'Algérie sur le plan de la dévalorisation
et du déclassement, il dira que cette situation influe sur la qualité des soins
dispensés.
Synthétisant les trois interventions, Marc-Eric Gréunais appréhendera la
situation du médecin généraliste au Maghreb comme suit : « Je suis médecin
généraliste par défaut alors que le discours officiel le présente comme étant
le pivot du système de santé. Il fait du social au lieu de prodiguer des soins
et s'interroge sur l'exercice de son métier ». En fin de compte, il tombe dans
la « routinisation » de sa pratique, tente ou il est attiré par le secteur
privé ou le CHU et finit souvent dans la confusion et l'épuisement
professionnel.
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Posté Le : 09/03/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ziad Salah
Source : www.lequotidien-oran.com