Mohamed Mechati et Ahmed Doum. Deux vieux de la vieille de la Révolution algérienne. L’un est âgé de 92 ans, l’autre de 81.
Ces deux grandes figures de la Révolution, à l’occasion d’un passage à Oran, jeudi dernier, ont gentiment accepté d’animer une rencontre, au siège de l’association patrimoniale Bel Horizon, où beaucoup de jeunes y ont pris part. Il s’agissait d’une rencontre qui s’est voulue sans concession, où aucune forme de censure ou d’autocensure n’a été de mise. Modérée par Nourredine Fethani, un de leurs amis, la rencontre, pour avoir fait un «plongeon dans l’histoire», a également beaucoup porté sur l’actualité du pays. Prenant la parole en premier, Mohamed Mechati, qui vient de publier aux éditions Chihab Mémoires d’un militant, un livre autobiographique, est revenu avec force détails sur la création du Groupe des 22.
«A cette époque, on invitait les gens à adhérer au MTLD. Le peuple, subissant une énorme répression, nous fuyait. Il ne voulait pas entendre parler de politique, il réclamait d’emblée le passage à l’action armée. Mais, malheureusement, dit-il encore, après le Congrès de 1953, il y a eu cette fameuse division, où l’équipe de Messali a été écartée de la direction, et je dis bien ‘écartée’, et non ‘exclue’, et cela, faute de compétence conséquente pour diriger le parti.» D’où le fait, selon lui, que Messali, prenant la mouche, réclama la présidence à vie, ce qui provoqua un tollé et entraîna la dissension. «Le secrétaire général du parti, à l’époque, ayant constaté que les tentatives de raisonner Messali étaient vaines et que ce dernier était intraitable, a décidé d’appeler Mohamed Boudiaf, qui était alors le chef de l’OS. Et c’est ainsi, poursuit-il, que naîtra un comité révolutionnaire pour l’unité et le passage à l’action armée.» «Ils ont décidé de créer une commission de 4 personnes, mais Boudiaf, ne s’étant pas entendu avec deux d’entre eux, a appelé Alger, pour en convoquer vingt et une», et prenant la salle à témoin, Mechati persiste et signe : «On parle de 22, mais en fait, le chiffre exacte est 21 ! On dit 22 par erreur ! » Donc, selon lui, il s’agit du Groupe des 21, et non des 22… Ce fut par la suite au tour d’Ahmed Doum de prendre la parole. Lui aussi vient d’écrire un ouvrage, dont la parution coïncidera avec le prochain Salon international du livre d’Alger.
Son intervention débuta en déclarant être agréablement surpris de voir parmi l’assistance, une majorité de jeunes. «Généralement, dit-il avec sourire, quand je fais des conférences, je ne vois que des têtes blanches !» Puis, il revient sur le grand apport des émigrés algériens, principalement ceux installés en France, dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. «Les émigrés ont beaucoup fait pour la Révolution algérienne, dit-il. Les gens sautent en l’air quand on leur dit que la Fédération a participé à 80% du budget du gouvernement provisoire ; mais c’est la vérité !» Hélas, a-t-il poursuivi, en 1962, à l’indépendance, les émigrés algériens ont été pour le moins marginalisés en Algérie. La raison ? «Parce que Ben Bella a voulu que ce soit ainsi, tonne-t-il, sans mâcher ses mots. Parce que tout simplement, nous n’avons pas voulu le suivre !» Allant encore plus loin, il dira : «C’est quand même grâce à la Fédération de France, qui a participé à 80% du budget, que notre gouvernement provisoire a tenu et qu’il n’a pas été soumis à certains pays, comme on l’a vu par le passé, et même actuellement, avec d’autres pays.»
Après leurs interventions respectives, place ensuite au débat, durant lequel de nombreux jeunes, pour la plupart étudiants, leur ont posé nombre de questions, ayant trait notamment sur l’actualité. Mohamed Mechati lancera face à l’assistance médusée : «Mon livre est composé de deux parties : la première est consacrée à la lutte contre l’occupation coloniale, la deuxième, où je condamne le pouvoir dictatorial et où je réclame l’instauration de la démocratie !» Il dira ensuite, tout en sourire : «Un jour, j’ai demandé à voir Bouteflika ; ce dernier m’avait envoyé Benflis pour savoir ce que je voulais. Il pensait sans doute que j’avais besoin d’une villa, et cela afin de me mettre dans sa poche ! Moi, c’était pour réclamer l’instauration de la démocratie dans ce pays !» Son regard sur la situation actuelle du pays est quelque peu sarcastique : «Avant, on avait droit à l’Algérie du patriotisme, et aujourd’hui, ce qu’on voit, c’est l’Algérie du khobzisme.» En ce qui concerne le mal-être, qui ronge la société algérienne, il lancera à la salle : «Quand j’entends le mot harraga ou quand je vois des gens qui essayent de s’immoler par le feu, cela me révulse, mais, hélas, je n’ai plus les moyens de me révolter !» Prenant pour exemple le Vietnam, il affirmera que ce pays, «bien qu’il ait subit vingt années de guerre, et contre pratiquement le même ennemi colonialiste, il exporte aujourd’hui pour 153 milliards de dollars, alors que nous, on n’exporte pratiquement rien !»
De son côté, Ahmed Doum dira : «On nous reproche souvent de n’avoir pas fait grand-chose après l’indépendance. Ce n’est pas aujourd’hui, à 80 et à 90ans, qu’on va reprendre le fusil, c’est à vous, les jeunes, de poursuivre la révolution !» En revanche, en ce qui concerne la repentance de la France, il se contentera de dire : «Je suis convaincu qu’ils nous ont fait du mal et je suis convaincu qu’on les a battus.» A une question sur le parti du FLN à la période postindépendance, Mohamed Mechati ne prendra pas des pincettes pour déclarer : «Le FLN aurait dû se retirer dès 1962 !» Quand, enfin, un étudiant lui demandera s’il aurait accepté de se rendre à la commission Bensallah, si ce dernier l’avait invité… Après s’être esclaffé, Mechati aura cette réponse emplie d’ironie : «Pour lui dire quoi ?» Une rencontre, somme toute, riche et pleine d’émotion, qui s’est inscrite en préambule au cycle de conférences sur la Révolution algérienne, qui auront lieu à partir de la rentrée prochaine, et cela dans le cadre de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance.
Portraits :
- Mohamed Mechati
Mohamed Mechati est un militant de la première heure. Il a débuté son militantisme au PPA, ensuite dans l’organisation paramilitaire clandestine du MTLD, dans la région de Constantine. Il a ensuite intégré l’OS (l’Organisation spéciale), où il y a exercé plusieurs activités, avant de prendre en charge la région du sud de l’Oranie.
Quand la crise du MTLD a éclaté, il a intégré le Comité révolutionnaire pour l’unité et le passage à l’action armée, avant d’être membre du Groupe des 22, pour l’insurrection nationale. Plus tard, il s’est retrouvé en France, où il a participé activement à la mise en place du premier noyau de l’organisation du FLN dans l’Hexagone. Il a été arrêté après quelques années d’activité et a séjourné dans différentes prisons de France, avant d’être libéré quelques semaines avant l’indépendance, pour des raisons médicales. Il vient de publier un livre autobiographique aux éditions Chihab, qui s’intitule Parcours d’un militant.
- Ahmed Doum
Ahmed Doum est un Algérois pure souche, né dans l’emblématique quartier de La Casbah. Ce vieux militant de la cause nationale a été très actif au sein du PPA à Alger, avant de devoir se rendre en France, où il a milité au niveau de la Fédération de France. Quand la crise entre Messalistes et Centralistes a éclaté en 1953, il a observé, dans un premier temps, une position de «wait and see», pour comprendre les tenants et les aboutissants de l’affaire.
Ensuite, à la création du Comité révolutionnaire pour l’unité et le passage à l’action armée, il a intégré le FLN et a joué un très grand rôle dans la mobilisation des travailleurs de la zone ouvrière de Sochaux, où étaient implantées les usines Peugeot. Il a été en somme une des chevilles ouvrières du Comité fédéral, devenu ensuite Fédération de France. Il a été arrêté en 1956, avant d’être libéré à l’indépendance de l’Algérie.
salam - qui est CHADLI el Mekki ? merci
Bederry Norine - Retraité - Oran, Algérie
09/08/2012 - 37570
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Posté Le : 06/08/2011
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Akram El Kébir