Algérie

Rencontre avec l'auteur : Entre le fantastique littéraire et l'humaine condition



On vous a lu il y a une vingtaine d'années, il semble que votre production littéraire ne soit pas soutenue ...En quittant l’Algérie, pour des raisons professionnelles, je me suis coupé de ma source d’inspiration première, mon humus littéraire, mais je n’ai pas pour autant cessé d’écrire. La plupart des textes de «La troisième moitié de soi» sont parus dans des journaux ou des magazines, au cours des dernières années, avant d’être édités sous forme de recueil. J’ai également d’autres textes qui sont en attente de publication. Il ne s’agit donc pas pour moi de production littéraire, en tant que telle, mais d’abord de finalité de la chose littéraire puis de publication. Qu’écrire et pourquoi le faire, sans pour autant se conformer aux diktats du moment ' Échapper au trismégiste canon littéraire qui règne de nos jours, et hors duquel il n’y a point de voie médiane que l’on puisse emprunter, relève de l’exploit. Le triptyque des thèmes qui ont cours et qui sont susceptibles d’assurer une audience (se dénigrer, soi-même et ses origines, à l’envie, battre sa coulpe quant à la condition de la femme, et tomber à bras raccourcis sur la religion de ses pères, elle-même mère de tous les maux !) sont loin de mes préoccupations littéraires. Non, l’auto-odi littéraire n’est pour le moment pas mon fort.  Votre dernier ouvrage, «La troisième moitié de soi» est empreint de pessimisme et de tragique, est-ce la décennie des turbulences en Algérie qui déteint dans votre style 'Je suis tenté de vous répondre qu’il ne s’agit pas de pessimisme, mais de lucidité et de réalisme, mais ce serait une réponse bateau, battue par des vents mous sur un océan sans rivage de banalités. En fait, je ne crois pas être plus pessimiste, littérairement parlant, que qui que ce soit. Il s’agit plutôt pour moi de choix, si tant est que le choix en littérature est réellement possible. Aussi bien le malheur que le bonheur font partie de la vie de tout un chacun, mais la nature humaine est ainsi faite que l’on soit  plus attiré par le tragique que par le ludique lorsqu’ils s’agit de narration. Une question de catharsis peut-être : on aime bien être à l’abri des coups du sort qui frappent des personnages de fiction, mais on se soucie bien peu de leur bonheur. Les gens heureux ont beaucoup à vivre ; ceux qui ne le sont pas ont beaucoup à raconter.Pour ce qui est de la décennie des turbulences que vous évoquez, je ne crois pas qu’il y ait, du moins directement et consciemment, un lien entre cette période et le style de mes textes. Je crois qu’une tragédie de cette ampleur se situe bien au-delà des mots. Ce que j’ai essayé d’exprimer, c’est un aspect de l’humaine condition que chacun porte en soi, l’homme face au destin, telle que s’exprime cette relation dans le quotidien le plus banal qui soudain peut se muer en situation archétypale. Il ne s’est pas agi pour moi de décrire «l’originale originalité» des lieux et des personnages pour leur donner une coloration spécifiquement locale qui serait leur signe distinctif, mais bien de les situer en fonction des événements : ainsi un accident de voiture, qu’il ait lieu à Alger, Tokyo ou Berlin, dans un véhicule de luxe ou dans un tacot, n’a rien d’original en soi ; mais si, dans son insignifiance matérielle, il met le protagoniste, physiquement, face à son destin sous les traits d’un personnage étrange, surgi du fin fond du désert du temps, la donne change du tout au tout et prend une dimension qui touche au métaphysique. Sur un autre registre, je me suis amusé à reprendre les mêmes personnages dans certains textes à différents moments de leur vie pour donner une certaine continuité à l’ensemble. Cependant, si les textes eux-mêmes ont souvent été écrits à des années de distance, la thématique, elle, a surgi, semblable en sa différence. Indépendamment des années de turbulences.   Pessimisme, tragique de l’existence, réalisme ou autre chose,  quoi qu’il en soit, il faut une grande dose d’optimisme et de résilience pour faire face aux problèmes quotidiens et ce, jusqu’à la fin de sa vie - dont l’issue est la même pour tous et, par conséquent, est la seule manifestation de justice absolue sur terre. Et, paradoxalement, cette inéluctable fin peut également être une source inextinguible d’optimisme - ou même d’hédonisme.      Votre CV indique une spécialisation  en  linguistique anglaise, expliquez votre choix pour la langue française s'agissant de votre travail d'écrivain.Il ne s’agit pas de choix ici, mais de fatalité. Le français s’est imposé à nous, et nous en tirons partie du mieux que nous pouvons, y compris littérairement. L’anglais est pour moi un outil de travail avant tout. J’ai bien fait une ou deux tentatives littéraires dans cette langue mais, pour des raisons multiples, elles n’ont pas été concluantes. Je ne désespère cependant pas d’arriver à produire quelque chose qui en vaut la peine en anglais.   L'univers quasi étrange  que vous décrivez dans ce dernier ouvrage ne laisse pas sans penser à celui de Maupassant avec lequel il y a une certaine  ressemblance dans le fantastique.Ce côté fantastique existe dans l’ensemble de mes textes, y compris les tout premiers, «Ombres dans le désordre de la nuit» et «Fièvre d’été», et j’espère qu’il en fait justement l’originalité. Et ce d’autant plus qu’il n’existe pas, du moins à ma connaissance, de genre fantastique, à proprement parler, dans la littérature maghrébine et arabe moderne. Cette indigence est pour le moins incompréhensible pour les héritiers aussi bien d’Apulée de Madaure, qui décrit de biens étranges événements dans son «Âne d’or», que  des «Mille et une nuits» qui regorgent de récits à dresser les cheveux sur la tête, mais dont on se plaît, aujourd’hui, à n’évoquer que le côté érotique où la «duplicité» des femmes a raison de la stupidité des hommes. Explorer l’univers du fantastique littéraire, même indirectement, dans une aire culturelle et géographique où il n’a pas d’existence autre qu’orale et traditionnelle est, me semble-t-il, quelque chose de relativement nouveau qui permet de libérer l’imagination tout autant que le style qui peut, dès lors, être étalé, trituré, haché, syncopé, sans avoir à en souffrir.    Le genre fantastique a de grands maîtres et je ne pense pas que Maupassant en fasse partie. Si l’on excepte le Horla, sa contribution au genre est, je crois, minime. Personnellement, je revendique plutôt le parrainage d’Egard Poe, dont les textes, poèmes compris, sont de véritables bijoux, et ont longtemps fait partie de mes lectures préférées. Il y a aussi H. P. Lovecraft, qui malgré son racisme à fleur de texte, a été pour moi le compagnon de maintes nuits blanches-néon dans des trains de nuit roulant, à tombeau ouvert, sous le regard millénaire des monts de l’Ouarsenis.  On connaît peu de choses sur Mustapha Bouchareb, voulez-vous vous présenter au lecteur 'Très franchement, je serais très mal à l’aise pour parler de moi. Je préfèrerais que les lecteurs qui le veulent bien me découvrent à travers mes textes et y trouvent quelque plaisir. Tout le reste n’est que littérature.


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