Toute nouvelle constitution qui ne tirerait pas les leçons de près de cinquante ans de vie constitutionnelle serait vouée à l’échec. À questions simples, essayons d’y apporter les réponses aussi claires que possible et, surtout, accessibles, compréhensibles, mesurables et contrôlables par tous.
Pourquoi toutes les constitutions connues à ce jour par l’Algérie ont toutes donné lieu à des dérives qu’on peut résumer et formuler de la manière suivante :
I- l’omnipotence du président de la République ;
II- la longévité au pouvoir ou le nombre de mandats ;
III- l’absence d’élections libres et honnêtes ou la question de la fraude électorale ;
IV- l’absence de contrepoids ou la question de l’équilibre des pouvoirs ;
V- l’absence d’un arbitre constitutionnel neutre et respecté.
I- L’omnipotence du président de la République
Il y a quelque chose de particulier et d’opaque dans le système politique algérien : les textes ne suffisent pas à mesurer la puissance du président de la République. Quelle que soit leur clarté. La grille de lecture, variable et invisible, tient surtout aux rapports, eux-mêmes indéchiffrables, voire ésotériques, qui existent entre le chef de l'État et l’armée. Tous les présidents algériens ont été faits et défaits par elle ; sauf mort naturelle, dans le cas de Boumediene.
Bien sûr, on peut imaginer sans peine des dispositions constitutionnelles qui limiteraient la toute-puissance du chef de l’État algérien comme, par exemple, un régime parlementaire, au sens strict du terme, un régime d’assemblée, ou tout autre limitation de ses prérogatives au profit de celles du Premier ministre, Chef du gouvernement, qui serait non pas désigné par lui, mais élu par l’Assemblée nationale, l’autorité nulle de ce président ne serait pas pour autant entamée aussi longtemps qu’il sera choisi et protégé par l’armée.
A-t-on jamais vu un tel candidat perdre l’élection ? Jusqu’ici, tous les présidents de la République ont tiré leur forte autorité de leur proximité avec l’armée, soit parce qu’ils en sont issus, soit qu’ils aient été adoubés par elle. D’instinct, les Algériens ont fini par croire que l’ombre tutélaire de l’armée plane sur chaque président.
Le constat est évident : même les personnalités supposées au départ assez effacées, ternes, voire même faibles ou d’apparence pépère ont fini par être attirées dans le despotisme et versées dans le pouvoir personnel comme l’aimant attrape irrésistiblement la limaille.
Alors, que faire ? Tout en souhaitant que l’armée, qui doit faire l’objet d’unanimité et même de fierté nationale, se désengage enfin du “bourbier politique”, il conviendrait de dessiner aussi clairement que possible la sphère de compétence du chef de l’État dans la nouvelle Constitution sans, bien entendu, déprécier sa juste autorité indispensable à la stabilité du pays.
II- La longévité au pouvoir ou le nombre de mandats
Quelle que soit la valeur d’un chef d’État, y compris s’il devait apparaître, par simple hypothèse, inégalable sur le plan de la sagesse politique, du respect des lois et de la bonne gouvernance en général, il vaut mieux que son mandat soit de courte durée plutôt qu’inamovible ou reconductible à vie dans ses fonctions.
On sait qu’un mal est toujours plus facile à guérir à ses débuts, plutôt que dans un stade avancé qui peut être fatal.
C’est ici que les futurs “constituants” ou rédacteurs de la nouvelle constitution peuvent et doivent faire le saut qualitatif indispensable pour redonner une vie politique à la société algérienne.
Des quatre Constitutions consommées en peu de temps par l’Algérie, une seule seulement — celle de 1996 — (du président Zeroual) s’est imposée, dans son article 74, la limitation des mandats.
En vertu de cet article, le président de la République n’était rééligible qu’une seule fois, c’est-à-dire qu’il ne pouvait faire que deux mandats de cinq ans chacun, soit dix ans au total, à condition, bien sûr, de se représenter après le premier mandat et d’obtenir la majorité des suffrages.
Cette disposition de l’article 74 qu’on doit au président Zeroual est “insurpassable” de bon sens, de sagesse et même de patriotisme. On sait ce qu’il en est advenu ! L’article 74 a été modifié en décembre 2008 par le biais d’une révision constitutionnelle adoptée par un Parlement totalement acquis, pour ne pas dire soumis.
Si, donc, un quelconque progrès doit être inscrit dans la nouvelle constitution, il doit l’être dans la limitation des mandats qui ne doivent en aucune façon et pour quelque raison que ce soit être supérieurs à deux.
L’idée même de cette limitation des mandats à deux est venue du premier président des États-Unis d’Amérique, qui n’est autre que Washington, pourtant adulé et si populaire pour avoir été considéré, à juste raison, comme le plus prestigieux des pères de la nation américaine et qui a refusé, en 1797, de faire un troisième mandat, ce que la constitution permettait d’ailleurs, parce qu’il avait tout simplement considéré qu’il était “dangereux de garder trop longtemps tout homme au pouvoir”.
Il faudra attendre 1951 pour constitutionnaliser une telle conduite politique, enfreinte seulement par Franklin Roosevelt avec le vote du 22e amendement à la Constitution américaine.
Une telle disposition est si empreinte de raison et de sagesse politique qu’elle a été insérée récemment (2008) dans la Constitution française de 1958, connue pourtant pour autoriser plusieurs mandats d’une durée septennale chacun.
Désormais, la vie constitutionnelle des États démocratiques épouse le rythme des temps modernes : alternance et courte durée au pouvoir.
Que faire dans le cas de l’Algérie ? Deux choses pour ne pas répéter les erreurs du passé :
- d’abord, revenir aux deux mandats, écourtés si possible à quatre années chacun, pour, à la fois, permettre une meilleure respiration politique, une alternance au pouvoir, limiter les dégâts d’une présidence qui tournerait mal, c’est-à-dire qui ne répondrait pas aux préoccupations légitimes des citoyens, et, enfin, éviter la concomitance de l’élection présidentielle avec celle des députés.
- ensuite, entourer des meilleures précautions possibles le non-dépassement du nombre de deux mandats. Concrètement et juridiquement, il faudrait que la prestation de serment du président de la République contienne une phrase du genre : “Je jure sur Allah de ne pas solliciter plus de deux mandats”, renforcée par une autre disposition finale qui rendrait impossible toute révision constitutionnelle sur le nombre de mandats fixés à deux, au même titre que ce qui s’est fait jusqu’à présent dans les constitutions algériennes à propos, par exemple, du “caractère républicain de l’État ou de l’intégrité et de l’unité du territoire national...” déclarés non susceptibles de révision constitutionnelle.
Ce luxe de précautions est nécessaire pour prémunir contre le désir irrépressible des hommes à rester le plus longtemps possible au pouvoir.
III- L’absence d’élections libres ou la question de la fraude électorale
Il n’existe pas de remède ou de parade absolus contre la fraude électorale qui est la gangrène de la vie politique dans certaines sociétés. Pas même la surveillance internationale. L’honnêteté est, en toute chose, plus une affaire d’éducation, de morale et de conscience que de textes juridiques.
Pourtant, on peut, sur le long terme, inculquer au citoyen algérien, dès l’école primaire, l’exigence morale d’être, en tous lieux et en tous temps, honnête dans tous ses actes ; surtout s’il devenait un jour, à quelque niveau que ce soit, un agent de l’État où il aurait, si faible que soit son pouvoir, à s’occuper des autres citoyens ou de la chose publique ; l’argent et l’élection étant, peut-être, les questions les plus sensibles auxquelles il aura à faire face.
Au-delà des valeurs morales impossibles à faire partager à tous les hommes, il faut, bien sûr, imaginer des mécanismes juridiques qui rendraient toute fraude électorale sinon totalement irréalisable, du moins difficile et très risquée pour des agents ou des dirigeants indélicats, en attendant qu’une culture démocratique, civique et citoyenne s’étende et s’enracine dans tous les rouages administratifs appelés à organiser les élections.
Je dirai plus loin comment le Conseil constitutionnel pourrait jouer un rôle novateur et déterminant dans les élections nationales.
IV- L’absence de contrepoids ou la question de l’équilibre des pouvoirs
L’Algérie a plus souffert de l’excès, voire des abus de pouvoir de ses présidents successifs que de ses assemblées.
Tout Algérien sait, d’évidence, que nos assemblées — de l’APC à l’APN en passant par l’APW — n’ont pas de pouvoirs réels ; quelles ne peuvent, par conséquent, en abuser. D’où la nécessité absolue d’un rééquilibrage des pouvoirs. Je n’entre pas ici dans la comparaison entre les différents régimes (présidentiel, parlementaire...) développés dans mes livres. Je me contente de dire qu’il n’y a pas de régime parfait. Chacun d’eux a ses avantages et ses inconvénients, ses faiblesses et ses forces.
Je ne reviens pas, non plus, sur le trait dominant et permanent du régime algérien qui se caractérise, aux yeux de tous, depuis toujours, par l’extrême faiblesse du pouvoir législatif qui n’a de réel que l’apparence, par rapport au pouvoir exécutif, que je n’hésite pas à qualifier d’exclusif.
La voie du changement et du progrès est toute tracée si on veut que l’Algérie entre, enfin, même à petits pas, dans l’ère de la démocratie.
Il faut, à la fois, donner plus de pouvoir aux assemblées et, surtout, je le dis avec une force presque désespérée, respecter leurs prérogatives et ne pas passer son temps à les grignoter ou à les harceler pour les vider de toute compétence et, du coup, de toute crédibilité.
Deux ou trois choses qui me paraissent essentielles sans pour autant aller trop loin dans les nouveautés.
Que le Premier ministre soit respecté dans ses prérogatives, qu’il soit responsable, aussi, devant l’Assemblée qui pourrait l’interroger, lui refuser les crédits demandés et même le renverser par une motion de confiance ou de censure.
Que chaque semaine des questions d’actualité (vie de tous les jours des citoyens, y compris la politique extérieure) soient posées à tous les membres du gouvernement, Premier ministre inclus, que ceux-ci soient tenus d’y répondre sur-le-champ et publiquement à travers une chaîne parlementaire de télévision.
Que des commissions d’enquête deviennent une pratique courante, ordinaire pour faire la chasse à la corruption, à la mauvaise gouvernance au lieu d’être quasiment interdites, ce qui est contraire à la Constitution.
D’autres contrepoids extraconstitutionnels — presse, université, monde de la culture, associations, société civile — sont des must (obligations). Des journaux, comme le Canard enchaîné, Le Monde, etc. en France, le Washington Post ou le New York Times aux États-Unis, contribuent, à un degré insoupçonné, à la vitalité politique de ces pays. C’est grâce à ces journaux que certains présidents des premières puissances du monde ont été obligés de démissionner.
Ils veillent constamment au respect des lois et des citoyens. Ce quatrième pouvoir ne coûte rien aux États où la presse et la parole sont libres, alors qu’il constitue une arme redoutable et redoutée contre la corruption et toutes les infractions aux lois.
V- L’absence d’un arbitre constitutionnel neutre et respecté
Si je fais preuve d’une audace juridique qui me sera peut-être reprochée, c’est tout simplement parce que l’Algérie n’est pas encore un État de droit et que j’ai écrit souvent que ce sont ses dirigeants qui violent ses lois alors que les citoyens sont harcelés, soumis et, souvent, désespérés.
Je propose formellement que le Conseil constitutionnel soit érigé en arbitre neutre, indépendant, irréprochable et incorruptible de la vie politique algérienne dans ses grandes élections nationales. Comment ? Même si les “hommes ne sont pas des saints” pour faire appel à Rousseau, sinon, disait-il : “Ils se gouverneraient démocratiquement.”
D’abord, en revoyant totalement sa composition et le mode de désignation. Jusqu’à ce jour, les membres sont désignés par le président de la République qui se taille la part du lion avec trois membres dont le président du Conseil et les deux assemblées du Parlement, avec chacune deux membres plus deux autres par les deux hautes juridictions que sont la Cour suprême et le Conseil d’État.
Autant dire, sans irrespect pour personne, que tous les membres du Conseil constitutionnel sont acquis au président de la République.
Je ne veux pas être cruel en rappelant que le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire, où j’ai servi pendant trois ans comme ambassadeur, a proclamé Gbagbo, élu, juste retour d’ascenceur pour avoir choisi les membres du Conseil, alors que la commission nationale électorale et la communauté internationale, y compris l’Union africaine, ont confirmé l’élection de Ouattara, sorti vainqueur des urnes. C’est presque humain !
Le nouveau Conseil constitutionnel ne serait composé que par des membres de droit : tous les anciens présidents de la République (je ne dis pas chef d’État) plus les anciens Premiers ministres, ce qui fait au total onze membres. Je n’y vois, pour ma part, que des avantages : expérience, invulnérabilité matérielle, insensibilité aux pressions, menaces et aux peurs ; surtout et, pourquoi pas, peut-être, aux remords de conscience pour ne pas avoir fait ce qui aurait dû l’être et, même, lavement des fautes commises comme on cherche à se laver des péchés ou à implorer le ciel lors des pèlerinages.
Les onze membres, dont certains, je le sais, sont diminués par l’âge ou la maladie (et à qui je m’autorise à adresser mes voeux), éliraient en leur sein leur propre président et, armés collectivement et individuellement du trop-plein de juristes et d’économistes formés par nos universités, ils pourraient fort bien, lors des élections présidentielle et législatives (tous les quatre ou cinq ans), devenir les arbitres intraitables du jeu politique algérien (au sens noble du terme) et vider tout le contentieux électoral.
On ne lésinera pas sur les moyens à mettre à la disposition de ce Conseil (ce qui doit être déjà le cas), surtout si, comme je l’ai proposé maintes fois mais sans résultat :
- le Conseil de la nation qui ne répond à aucun besoin historique ou actuel de l’Algérie est purement et simplement supprimé au profit d’un Cnes (Conseil national économique et social) renforcé mais non législatif ;
- le nombre des députés est ramené à une proposition raisonnable (autour de 250 au lieu de près de 400 actuellement) en contrepartie de quoi, chacun d’eux aurait, en personnel et en bureaux, de quoi faire face à une lourde charge qui n’autorise plus ni bricolage ni improvisation.
Si hardie soit-elle, la nouvelle constitution ne suffira pas à restaurer la confiance dans l’État et surtout dans la politique. D’autres propositions qui ne coûteraient rien à l’État viendraient, en peu de mois, voire immédiatement, j’en prends l’engagement, redonner au peuple algérien la confiance usurpée, la volonté d’entreprendre et le goût de réussir. L’occasion est trop proche, trop belle pour être, une fois de plus, gâchée ! Aux décideurs de décider ; face à l’histoire impitoyable et au peuple qui les attend ; affaibli par 50 ans d’attente, de déceptions et de malheur.
Alger, le 20 avril 2011
K. M. (*) Auteur et ancien maître de conférences
liberté
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 03/06/2011
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : KHALFA MAMERI
Source : www.assala-dz.net