Algérie

regards : la liberté sur les planches !


Dans cette optique, le MTLD favorise l’activité théâtrale amateur. En 1947, lors d’une représentation d’une troupe amateur, un comédien brandit une mitraillette, clamant «B’haddi nekharejou Fafa !» (avec ça, nous sortirons la France). Chebbah El Mekki, un des fondateurs de l’Etoile Nord-Africaine, communiste et membre de l’association des oulémas, homme de théâtre par nécessité, est le plus illustre représentant de cette mouvance au sein de l’émigration. A partir de 1949, le théâtre algérien bénéficia du droit à une saison théâtrale à l’Opéra d’Alger. Le MTLD, siégeant à la municipalité, y fut pour beaucoup.

Par ailleurs, outre le travail de propagande qui n’empêche pas le divertissement, les tournées des troupes constituaient une source de financement du mouvement pour l’indépendance. Mahieddine Bachetarzi donnait des représentations au bénéfice du PPA comme du MTLD en France. A Alger, il versait au MTLD une partie de la subvention qu’il recevait de la municipalité au titre de la saison de théâtre arabe. Le système était si parfaitement entré dans les mœurs que lorsque l’orchestre Ababsa choisit de se produire en 1953 en France, le refus des artistes de verser un pourcentage de leurs cachets au MTLD, les condamna à jouer dans des salles vides. Le mouvement avait fait passer le mot d’ordre de boycott du spectacle. L’activité théâtrale était chose si importante, au regard de son impact, en une période où les mass-médias actuels n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Ainsi, lorsque le FLN ordonna la cessation des représentations théâtrales, l’administration coloniale occupa le terrain laissé vacant.

Dans la perspective de son projet assimilationniste, elle instrumentalise le théâtre dans l’encadrement des populations. Une action est engagée par le biais du Centre régional d’art dramatique d’Alger. Cependant, pour aussi paradoxal que cela soit, Mustapha Gribi, Raymond Hermantier et son Groupe d’action culturelle ainsi que Henri Cordreaux, des hommes sur l’action desquels la suspicion avait été jetée, sont ceux-là qui ont permis d’ouvrir au théâtre algérien une autre voie que celle du théâtre bachetarzien et qui ont formé l’essentiel de ceux qui donnèrent au théâtre algérien ses plus belles œuvres après l’indépendance.

En contrepoint de cette action, le GPRA, pour sa part, réagit en fondant la troupe artistique du FLN qui va porter la voix de la révolution à l’étranger. Néanmoins, ses membres n’ont pas été les seuls artistes à avoir pris fait et cause pour l’indépendance. Les autres, pour certains, sont même passés de l’art à l’arme. Les mémoires de Yacef Saâdi, chef de la zone autonome d’Alger, sont très instructives quant à l’engagement des artistes tant dans le soutien logistique à la lutte de libération nationale que dans le fida (combat armé). Et pour ne citer que quelques-uns, nommons le regretté Mohamed Zinet, qui fut officier de l’ALN, Mohamed Touri qui mourut suite aux tortures infligées par la soldatesque coloniale, Madjid Réda mort au combat dans les Aurès, Habib Réda, son aîné, qui fut celui qui organisa le réseau de poseuses et de poseurs de bombe – il en était un lui-même – lors de la bataille d’Alger. D’autres engagèrent des tentatives de sensibilisation en direction de l’opinion française. Mais, il n’y a eu qu’une seule pièce de théâtre qui trouva une traduction scénique avant 1962. Il s’agit de Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine, mise en scène par Jean-Marie Serreau et jouée en 1958, clandestinement, à Bruxelles et à Paris.

Citons aussi Des voix dans La Casbah de Hocine Bouzaher (1960), Séisme d’Henri Kréa (1958) et Les Paravents de Jean Genet (1961). Cette dernière devait être montée par Roger Blin, mais il en avait été dissuadé de le faire. Enfin, il y a Naissances et L’Olivier de Mohamed Boudia écrites en 1958 alors que celui-ci était en prison en France. Naissances sera jouée en prison, sous la direction de Boudia, avec pour distribution des détenus, des «frères» de combat au profit des compagnons emprisonnés. Un autre homme de théâtre, Hassan El Hassani, avait également poussé aussi loin la pénétration du théâtre dans les camps de concentration en Algérie. Lui avait monté des spectacles sans passer par l’écriture, autour d’un personnage-pivot appelé Naïnaa qui deviendra, à l’indépendance, Boubagra.

Cependant, une fois l’indépendance acquise, plutôt que de revenir à la norme universelle, le théâtre algérien s’engagea à continuer à produire un théâtre de combat, voire à être un théâtre «organique». Le cordon ombilical n’est pas coupé. En raison de l’air du temps et du fait des conditions historiques et des auspices politiques sous lesquels il était né et il avait vécu, il fit tant et «si mal» qu’il perpétua le malentendu qui présida à sa genèse. Il s’organisa sous le règne d’un monopole étatique au sein duquel il corseta son fonctionnement. Il ne commença à s’en hisser qu’après 1988, en prenant conscience de son aliénation, particulièrement durant la décennie 1990, celle de la tragédie nationale. Ce malentendu ne s’est pas encore totalement dissipé, le théâtre algérien attend toujours une salutaire réforme.
Mohamed Kali

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