Algérie

Refus de l'état civil Un décret comme alibi, l'idéologie comme motivation



Cinq décennies après l'Indépendance nationale, des Algériens se retrouvent toujours à faire les cent pas dans les couloirs de l'administration et de la justice, qui pour inscrire un prénom, qui pour faire rectifier un nom...
À l'aube de l'Indépendance, l'Etat algérien s'est donné comme objectif d'instaurer un nouveau système de dénomination en remplacement du système colonial qui a détruit le patrimoine anthroponymique et toponymique national. Le rêve des Algériens de se réconcilier, enfin, avec leur passé, leur culture ancestrale et leur glorieuse histoire, était trahi. L'Etat algérien naissant a repris les mêmes procédés que ceux utilisés par le colonisateur, à savoir : effacer toute trace et repère identitaire des Algériens.
Ainsi, il a remplacé par une nouvelle onomastique basée sur l'exclusive arabité et islamité de l'Algérie toutes les appellations et noms, en imposant aussi un lexique de prénoms confectionné pour les besoins de l'idéologie prônée par les tenants du pouvoir, et ce, en dehors de tout cadre social, historique et identitaire qui fondent réellement la personnalité de l'Algérien. Tous ces noms et prénoms, noms de lieu, appellations... ne sont pas de simples 'mots", pour ainsi dire, le résultat sur le plan social, identitaire, culturel et économique de cette entreprise s'avérera chaotique pour le pays. Cinq décennies après l'Indépendance nationale, des Algériens se retrouvent toujours à faire les cent pas dans les couloirs de l'administration et de la justice, qui pour inscrire un prénom, qui pour faire rectifier un nom...
Les décrets de mars 1981
Les événements qui ont secoué la Kabylie au printemps 1980 ont beaucoup apporté à la revendication identitaire amazighe, mais avaient provoqué, aussi, une réaction négative du pouvoir politique de l'époque, qui allait s'exprimer par un déni administratif et politique institutionnalisé. Un nouveau tour de vis est imposé. En dépit de ce vent de liberté qui avait alors soufflé sur le pays, les tenants du pouvoir avaient vite fait de serrer un peu plus l'étau en procédant à la censure de toute expression amazighe et, ensuite, à introduire dans l'école et l'administration, notamment, de nouvelles lois scélérates. C'est ainsi qu'en mars 1981, le décret n°81-36 du 14 mars 1981 relatif à 'l'arabisation de l'environnement", le décret n°81-28 du 7 mars 1981, portant transcription en langue nationale de noms patronymiques, le décret n°81-27 du 7 mars 1981 portant établissement d'un lexique national des noms des villes, villages et autres lieux et le décret n°81-26 du 7 mars 1981 portant établissement d'un lexique national des prénoms, sont entrés en vigueur pour couper court à toute velléité de changement.
Ce complot institutionnel ourdi contre la revendication identitaire était une réponse claire aux militants d'avril 1980.
Sous d'autres cieux, la législation portant création de ce genre de lexique est sujette à débats, colloques et, surtout, à une large concertation entre l'administration, les institutions et les intellectuels.
En Algérie, la procédure s'est faite sous forme de directives auxquelles les responsables des administrations locales étaient soumis. Le décret prévoit une réactualisation tous les trois ans, mais depuis rien n'est fait. Ni l'avènement des nouveaux moyens de télécommunication, ni les bouleversements survenus dans les m'urs des Algériens, ni les progrès et les acquis de la revendication identitaire n'ont engendré d'évolution dans l'attitude du pouvoir. Les choses sont restées en l'état, et le pouvoir figé dans ses positions.
La responsabilité des pouvoirs successifs
Aucun homme politique algérien porté à la tête de l'Etat n'a songé à réparer cette injustice faite aux Algériens. Tous les présidents ont gardé intacte la loi. Ce détournement et cette manipulation du système nominatif traditionnel par les pouvoirs successifs demeurent le dominateur commun de tous les pouvoirs politiques. Ceci dit, même si une volonté tend à désigner le pouvoir de Ben Bella, Boumediene et Chadli comme étant 'des ennemis intimes" du fait amazigh, il n'en demeure pas moins que tous les autres pouvoirs qui se sont succédé, ont utilisé et utilisent toujours les textes de loi sur lesquels se fond le déni identitaire. Cela étant, le décret de mars 1981 portant création d'un lexique national des prénoms est toujours en vigueur, et ce, malgré la reconnaissance de tamazight en tant que langue nationale depuis 2002.
Cette reconnaissance survenue, faut-il le préciser, sous la pression de la rue et surtout après l'assassinat d'une centaine de jeunes en Kabylie durant le Printemps noir, n'a rien apporté de nouveau à ce lexique. Plus grave encore, cette reconnaissance confrontée à des réactions linguicides de l'état civil, créent un dysfonctionnement institutionnel dont seul le pouvoir algérien en détient le secret.
Les motivations idéologiques
Les témoignages recueillis auprès de citoyens confrontés à ce refus sont éloquents. Tous s'accordent à dire qu'il suffit d'avoir 'la malchance de tomber sur un agent ne partageant pas les mêmes valeurs culturelles avec vous pour que le prénom proposé soit refusé". Mahmoud a eu la malchance en cette journée du 10 octobre 2009 de voir le prénom de Syphax, choisi pour son fils, refusé par un agent de l'état civil d'une commune à Alger. Le jeune papa est catégorique : 'C'est un barbu qui voulait que je prénomme mon fils Imad Eddine", a-t-il raconté. 'Par désespoir de cause, je l'ai nommé Sofiane, car l'agent m'a dit qu'il avait le droit de choisir un prénom pour mon fils, ce qui est révoltant".
Le refus répond à une motivation idéologique et une prise de position politique. Néanmoins, les décrets de mars 1981 servent d'alibi institutionnel 'aux ennemis de l'amazighité" pour bien masquer leur besogne.
La situation ne peut pas perdurer devant la détermination des citoyens à assainir la nomenclature et faire valoir leur droit de donner les prénoms souhaités à leur progéniture. Cela nécessite une réappropriation du patrimoine anthroponymique avec lequel le pays doit se réconcilier. Les spécialistes de la question évoquent à l'unanimité, l'urgence d'engager cette entreprise de réappropriation de ce patrimoine.
M. M.


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