Les consultations politiques qu'a menées Abdelkader Bensalah
durant un mois ont permis de faire résonner dans les arcanes du pouvoir des
propositions qu'il a toujours feint d'ignorer.
Entre ceux qui ont accepté l'invitation de la commission nationale chargée
des consultations politiques et ceux qui l'ont refusée, il y a
incontestablement cet écart d'un épisode de l'histoire du pays qui s'est joué
par la consignation de propositions et d'avis sur la refondation de l'Etat dans
un contexte national et international profondément bouleversé. Il est vrai que
le fait de voir Abdelkader Bensalah présider ces
consultations, avec l'aide de Mohamed Touati et
Mohamed Ali Boughazi, était loin de rassurer les plus
téméraires des observateurs sur la bonne foi du pouvoir à vouloir engager un
véritable changement politique. Les trois responsables étant, faut-il le
rappeler, des subordonnés du premier degré du pouvoir dans toute sa suprématie,
même si Boughazi l'est bien moins en raison de son
âge et de son parcours totalement différent de ceux des deux premiers. Mais il
serait quelque peu hasardeux de penser qu'il n'en resterait rien de ces
propositions qui ont été exprimées sur la nécessité de redéfinir l'exercice des
pouvoirs tant le système politique actuel est en parfaite déconfiture. Finissant
qu'il est, il doit certainement remarquer qu'il n'a plus le droit à l'erreur, ni
de faire la sourde oreille, encore moins d'être prétentieux.
Qu'il ait joué pour gagner du temps en faisant semblant d'accepter le
changement ou qu'il ait cherché une sorte de consensus sur ce qui doit changer
pour lui imprimer un semblant de légitimité, le président de la République –
puisque c'est à lui que revient le dernier mot – a aujourd'hui entre les mains
des propositions qui l'obligeraient à réfléchir longtemps avant de les mettre
dans les tiroirs. Les choses sont allées tellement vite et mal pour les
pouvoirs voisins et régionaux qu'il ne peut se permettre de se fermer à ce qui
se dit autour de lui et sur ses territoires sur fond d'effroyables manipulations.
L'histoire retiendra que la majorité des invités de Bensalah
ont fondé leur requête sur l'instauration de la démocratie précisément
participative et au respect des libertés individuelles et collectives que seule
une séparation effective des pouvoirs, une alternance au pouvoir et une
véritable justice indépendante peuvent garantir. Un régime semi-présidentiel, la
limitation du nombre de mandats présidentiels à deux seulement, le respect des
constantes nationales (l'identité, la religion et la langue) et un partage
équitable des richesses du pays ont aussi fait pratiquement l'unanimité à ce
niveau. Si ces propositions ont été exprimées à maintes reprises par de
nombreux politiques nationaux dans des meetings ou des communiqués, il faut
admettre que, pour cette fois, le pouvoir a été obligé de les consigner à sa
demande dans son agenda.
Le fédéralisme, une solution à la crise politique ?
La situation est trop délicate pour qu'il pense à en faire un simple jeu
de cartes. Il sera tenu de s'y conformer en réfléchissant, bien sûr en
parallèle, à la mise en place de garde-fous qui lui garantiraient un départ
serein loin des turbulences. Parce que s'il y a changement, il ne pourra se
faire que par le départ de tous ses tenants. C'est ce qu'hommes politiques, académiciens,
universitaires et théologiens appellent le changement du régime d'une manière
pacifique.
Bouteflika est connu pour être quelqu'un qui déteste perdre ou être forcé d'agir
sous la pression. Il se devra alors de se donner l'air d'en faire qu'à sa tête
tout en cherchant à plaire et à être considéré au-dessus de la mêlée qui
l'entoure. Et pour cela, des sources qui lui sont proches attestent de son
intention d'innover en matière de configuration des pouvoirs. Mais ce qui n'est
pas dit ouvertement et surtout officiellement à propos de cette démarche, c'est
sa volonté de régionaliser le pays. L'idée n'est certes pas nouvelle. Le FFS de
Hocine Aït Ahmed en est le doyen. Elle est aussi
explicitement consacrée dans le rapport de la commission Sbih
que le président avait chargée en 2000 de réfléchir sur la réforme des
structures et des missions de l'Etat. Si le président n'en a pas fait cas à
cette occasion pour des raisons de conception du pouvoir qui lui sont propres, aujourd'hui,
dit-on, il pense qu'elle s'impose en raison des évolutions que vit le monde
arabe sous la pression des Américains. L'on dit en premier, qu'il est conscient
de la gravité de la demande d'autonomie affichée ici et en France par des
séparatistes kabyles. Les tragiques événements qui secouent la Libye tout près du grand Sud
algérien lui commandent aussi de profondes inquiétudes. Deux problématiques
majeures et complexes qui, si elles ne sont pas prises en charge avec toute la
dextérité, la sérénité, le recul, la sagesse et l'efficacité qui se doivent, seraient
synonymes de chaos pour le pays. Beaucoup d'entre les invités de la commission Bensalah, qu'ils soient partis politiques, personnalités
nationales, organisations ou associations de la société civile, l'ont, eux, exprimée
en général sous le vocable de «décentralisation».
La prudence du FLN
Le président veut ainsi, selon des sources qui lui sont proches, quelque
peu prendre de l'avance sur ce qui pourrait advenir des conséquences des
révoltes dans la région.
Qu'elle soit appelée décentralisation, déconcentration des pouvoirs, régionalisation
ou fédéralisme, le redécoupage des territoires en pôles distincts les uns des
autres est désormais admis comme mode de regroupement des collectivités locales
selon leurs spécificités et leurs particularismes.
Le premier à l'avoir inscrit dans son projet de révision de la Constitution est le
FLN dont Bouteflika en est le président d'honneur. L'on
dit même qu'avant de le faire, Abdelaziz Belkhadem
l'a consulté à propos de l'appellation qui doit lui être donnée. Le chef de
l'Etat aurait, dit-on, refusé que l'idée soit révélée sous le fédéralisme parce
que, aurait-il estimé, «il faut être prudent, le terme est trop fort pour la
conjoncture, il faut aller doucement». L'idée est retenue dans le 1er chapitre
du projet de révision constitutionnelle du FLN sous le titre «Principes
généraux de gestion de la société civile». Projet qu'il a présenté, pour rappel,
lors de son dernier comité central au même titre que les autres textes de lois
devant être soumis à amendements. Il y est inscrit, entre autres principes, la
séparation des pouvoirs, le refus de créer des partis ou associations dont le
but est de changer le fonctionnement du régime constitutionnel par la violence,
l'atteinte à la sécurité de l'Etat, par la désobéissance civile, ethnique, régionaliste
ou de langue. L'Etat, souligne le texte, est défini par «un premier centre ou
degré de collectivités régionales dont le point nodal est la commune, suivie de
la wilaya». Le FLN s'entoure de prudence pour ajouter, tout de suite après, qu'«il
est possible en cas de besoin, de créer un 3ème centre à l'administration
locale, constitué de circonscriptions administratives. Il est attribué à ce
centre des prérogatives économiques dont la gestion revient à un groupement de
wilayas (madjmouâate wilayate)».
Bien qu'il l'ait noyée au point qu'aucun de ses militants n'en a parlé durant
les travaux de son CC, la réflexion du FLN s'inspire fortement du rapport Sbih où la régionalisation du pays est retenue comme mode
de gouvernance économique. Elle impose, à cet effet, un regroupement de wilayas
selon des spécificités qui doivent permettre une collecte conséquente de la
fiscalité locale et assurer l'égalité des chances aux populations dans tous les
domaines.
Réflexion sur la naissance de «la 2ème République»
Ce qui appelle à la prédominance d'un schéma territorial basé sur des
équilibres bien réels entre les différentes régions. Il faut alors connecter
entre elles des wilayas riches et d'autres pas, mais assurant une
complémentarité sociale ou culturelle, ou les deux à la fois. C'est là que doit
intervenir «le génie» politique pour éviter de causer des fractures qui
enfonceraient davantage la nation dans sa détresse. Certains politiques
estiment qu'il est possible de reprendre la configuration régionale qui a
prévalu avant le déclenchement de la guerre de libération nationale. Configuration
retenue tout au long du temps qu'aura duré la guerre. Mieux ou plutôt pire, le
pouvoir décisionnel l'a, depuis, adoptée comme formule de prescription de ses
ordres et instrument de règlement de comptes entre ses clans. Ce qui lui a
permis d'asseoir sa puissance et pérenniser son système. Bouteflika
réfléchit aujourd'hui, selon son entourage, sur la manière, les moyens et les
modes de retourner cette problématique pour en tirer des solutions aux
multiples problèmes qu'elle a engendrés. Il la voit comme réponse à toutes les
doléances passées, présentes et à venir. La reconfiguration régionale du pays
impose inévitablement une redéfinition du pouvoir, de son exercice et de son
alternance. «En créant des fédérations ou des groupements de wilayas, le
pouvoir central sera obligé de céder de ses prérogatives au profit d'une
nouvelle race de gouvernants qui seront chargés de gérer les nouvelles
institutions régionales», nous dit un haut responsable. Pour lui, «il n'y a pas
meilleure alternance au pouvoir que celle de pousser les régions à la
compétitivité et à une concurrence loyale entre elles dans tous les domaines». Du
coup, la demande d'une assemblée constitutive formulée par certains milieux
deviendra caduque, selon notre interlocuteur. «Le président ne veut pas en
entendre parler… pour l'instant», nous est-il dit parce que «reprendre à zéro
risque d'effriter l'Etat jusqu'aux fondements historiques de Novembre et plus
loin encore». Une fois révisé, le texte constitutionnel sera, en principe, soumis
à référendum pour s'assurer que la nouvelle refondation de l'Etat ne prêtera à
aucune contestation populaire. Avant ou après les élections législatives et
locales de 2012, la période importe peu pour ceux qui y réfléchissent. L'essentiel
est qu'ils sachent que Bouteflika refuse de perdre la
partie et la face. Ça prendra le temps qu'il faudra, et tout retard sera
justifié par le caractère complexe et délicat de la démarche. Il tient, selon
eux, à initier un nouveau modèle de gouvernance et d'exercice du pouvoir que
l'histoire se devra de lui attribuer éternellement. C'est ce que les politiques
appellent «la 2ème République».
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Posté Le : 26/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com