Le choix du chef de l'Etat du président du Conseil de la Nation et de ses deux
assistants laisse penser que le pouvoir fonctionne sur la base d'un consensus
qui pourrait augurer de rebondissements politiques importants.
La Commission nationale de consultation politique n'est pas un fait du hasard. Elle
résulte de l'agitation politique qui s'est exprimée au lendemain des émeutes de
janvier dernier pour revendiquer un changement politique. «Il ne sera pas
radical, il est planifié par le système,» précisent des responsables.
Les consultations politiques engagées depuis samedi dernier, répondent à
cette dernière vision du changement. Vision qui démarre, faut-il l'avouer, de
la demande de Abdelhamid Mehri
de laisser s'exprimer la société dans ses diverses sphères sur ce qui doit
changer et ce qui ne le doit pas. Il semble que l'idée a bien plu au Président.
D'autant qu'elle a été fortement soutenue par le président du FFS, Hocine Aït Ahmed. (Voir le Quotidien d'Oran du 6 mars 2011 et
l'article «changement politique dans moins de trois mois ?». L'option d'un
changement pacifique a pris largement le dessus sur celle «par la rue et par
n'importe quel moyen.»
Bouteflika a commencé ainsi par faire recueillir les avis de tout le monde pour en
sortir d'une part des propositions susceptibles de calmer les citoyens et
convaincre les opposants de sa volonté pour le changement et d'autre part, lui
permettre de préserver les intérêts du pouvoir et rester maître du jeu le temps
qui lui est nécessaire pour se frayer une sortie honorable. «Le Président veut
que le calme soit rétabli dans le pays et que tout rentre dans l'ordre,» nous
dit un haut responsable. Ses décisions «sonnantes et trébuchantes» pour calmer
la contestation sociale est l'une des techniques.
Le peuple peut, en outre, donner son avis sur les réformes politiques sur
un site Web ouvert ces derniers jours par la présidence de la République à cet
effet.
Le trio de la consultation, «un choix consensuel»
Les consultations politiques brassent très large. Le président de
l'instance a reçu instruction de contacter «tout le monde, sans exception» sauf
comme il l'a eu à le préciser «les tenants de la violence.» Peu importe l'ordre
dans lesquels les personnalités politiques passent devant la commission. Les
observateurs pensent néanmoins qu'«au contraire, c'est fait peut-être exprès
pour brouiller les pistes qui pourraient être tracées au changement revendiqué.»
La Commission
doit mener ces consultations jusqu'à fin juin, les agencer par «accointance»
d'opinions et remettre le tout au Président. Peu importe le temps que ça
prendra. Bouteflika ne s'en est jamais soucié. «Le
malheur est qu'il ne donne pas de l'importance au temps alors qu'il peut lui
jouer des tours,» nous disait il y a quelques mois, un responsable au ministère
de l'Intérieur. Ça pourrait être vrai notamment depuis qu'il s'est adressé à la Nation sans enthousiasme
que ce soit dans le regard, le geste, le mot ou l'apparence. Mais ceci ne
semble l'empêcher ni de réfléchir ni de décider. «De la réflexion et de la
décision, il en a la totale maîtrise,» nous dit un responsable à la présidence
de la République.
Le choix du trio chargé des consultations politiques conforte bien cet
avis. «Bensalah lui a toujours été proche, fidèle et
sincère» note-t-on. Il a d'ailleurs ignoré le ronchonnement de Belkhadem contre le choix d'un Rndiste
pour gérer les premières consultations politiques sous l'ère Bouteflikienne. Et si on estime que les services y avaient
leur mot à dire, «ils ont été d'accord parce qu'ils jugent que Bensalah ne crée pas de problèmes ni ne fait de vagues, est
discret et honnête,» nous expliquent de hauts
responsables. Le général Mohamed Touati n'est pas non
plus une énigme aux yeux de ceux qui observent les rouages du pouvoir. «Il
représente l'armée même s'il ne porte pas la tenue,» disent-ils. Il fait
surtout partie «qu'on le veuille ou non» du clan des généraux qui ont été mis à
la retraite par Bouteflika.
Le rndiste, le janviériste
et l'islamiste modéré
Touati devait d'ailleurs partir en même temps qu'eux au milieu des années 2000.
Mais il était revenu comme conseiller à la présidence «on ne sait par quel
miracle,» nous dit-on. Aujourd'hui, il a repris le rôle qu'il avait au temps de
Zeroual dans l'instance du dialogue. Il l'a par réflexe «historique» pour
représenter les Janviéristes, (les généraux
actuellement à la retraite en plus de Mohamed Médiène
seul à être resté en poste), qui ont arrêté le processus électoral en 92 et qui
refusent depuis, d'être laissés en rade quand il s'agit des grandes décisions.
(Voir le Quotidien d'Oran du 13 mars 2011 et l'article «Des manÅ“uvres et des
lectures.» Le temps a prouvé qu'il n'était pas question qu'ils restent en
dehors de ce qui pouvait se décider en haut lieu. Mohamed Ali Boughazi n'est pas non plus étranger au pouvoir et à ses
coulisses. En 2002, il a été ministre délégué chargé de la recherche dans le
gouvernement Benflis. Il a été membre influent dans
le parti Ennahdha. D'obédience islamiste modérée, jeune,
intellectuel, il est issu de ce conglomérat d'Algériens qui tient aux
constances nationales, pratique l'Islam et rejette la violence sous toutes ses
formes. Boughazi représente le Président et parle en
son nom dans les grandes occasions. Il a été accepté en tant que tel par
l'entourage le plus proche de Bouteflika «pour sa
discrétion et son honnêteté.»
Les trois personnages réunis représentent «trois processus décisionnels
mais consensuels (Bouteflika en constitue le premier,
son entourage avec à sa tête son frère Saïd représente le deuxième et le DRS
Mohamed Mediene (Tewfik) le
troisième) et symbolisent une face du changement politique que le Président
veut opérer. L'on parle avec insistance d'une importante réforme «finalisée»
des services de sécurité dans leur volet «renseignements» que Bouteflika veut mettre en Å“uvre. «Le Président décide du
moment en prenant en compte les réflexions de ceux qui l'entourent pour freiner
les dérapages dans un contexte de grandes manipulations dans diverses sphères. Il
faut faire en sorte de ne pas permettre le désordre à n'importe quel prix,» disent nos interlocuteurs. Le ministre de l'Intérieur a été
chargé de «répondre aux préoccupations techniques» des partis, le tout converge
vers «un changement pacifique sur lequel le Président veut consulter un maximum
de monde possible» A ceux qui pensent que «c'est toujours le même monde
politique», nos interlocuteurs répondent «on ne change pas un personnel du jour
au lendemain même dans les grandes démocraties, on voit défiler les mêmes
personnes à quelques exceptions près.» Mieux «les partis politiques sont comme
le pouvoir malades de zaïmisme, leurs chefs ne
laissent jamais émerger des militants capables de les remplacer, le système
n'est pas seulement le pouvoir, il se répercute sur le fonctionnement de
l'ensemble du pays,» expliquent-ils.
L'amnistie générale,un projet de campagne
La saisine du CNES par le président de la République pour la tenue des
états généraux de la société civile du 14 au 16 juin prochain plaide dans ce sens
«dans un contexte reflétant intensément une demande expresse de changement dans
la société et par la société (…).» Autre concertation, la tripartite de samedi
prochain et celle à venir en septembre. D'autres rencontres sont programmées
comme celle du secteur du commerce au début du mois de juin. Encore une fois, la
démarche retenue par Bouteflika s'inspire fortement
de la lettre de Mehri et de son idée d'organisation
d'un congrès national général dont la composante émergera de l'ensemble de ces
séminaires. L'idée d'une conférence nationale n'est pas exclue «même si elle
doit avoir une autre appellation.»
Une amnistie générale au profit des terroristes dont il est fait écho ici
et là a été évoquée par le Président candidat en 2009. Il l'a fait le dimanche 29
mars 2009 à Tamanrasset. Interrompu comme par hasard par un citoyen qui lui
avait demandé «elaâfou echamel
ya sid erraïs
! (L'amnistie générale, Mr le Président !)», Bouteflika
hausse le ton et répond «jamais ! Jamais ! Jamais ! A condition que tous les
terroristes déposent les armes, le champ politique change totalement et le
peuple accepte, pour que ceux qui ont perdu leurs proches et leurs biens, les
veuves et les orphelins ne pensent pas qu'ils ont été trahis.» Mardi 7 avril 2009,
dans son meeting électoral à Alger et tout en promettant que «l''armée et les services de sécurité vont vaincre les
groupes terroristes qui refusent la réconciliation nationale,» il évoque
l'approfondissement de cette même réconciliation et déclare «Je réaffirme mon
choix pour l'amnistie générale à condition que les groupes terroristes se
rendent tous. Il faut qu'on aille vers un référendum, pas d'amnistie qui serait
contre l'intérêt du peuple et sa dignité. C'est le peuple qui doit pardonner !»
Il pense que «ce n'est que par ces conditions que les âmes s'apaiseront.» Des
observateurs relèvent qu' «il faut bien qu'il y ait règlement de ce problème. Il
y a des islamistes qui sont en prison depuis plus de 20 ans.» L'amnistie
générale pourrait, disent des responsables «s'étendre au secteur économique et
ce par le règlement définitif des pertes de change, l'effacement des dettes
ainsi que l'allégement de certaines grosses charges fiscales des entreprises
privées comme ça été le cas pour celles publiques et pour les agriculteurs.»
Mais là, on prévient que «ça pourrait prendre beaucoup de temps.»
«Bouteflika veut partir dans la sérénité»
Le Président veut faire table rase de tous les problèmes qui sont posés
depuis sa prise du pouvoir et même avant. «De loin, je pensais que je pouvais
tout régler, mais je me rends compte que ce n'est pas du tout facile de
gouverner l'Algérie,» a-t-il avoué à un de ses proches. Des échos de son
entourage affirment qu'il se sent blasé, fatigué, «quelque part trahi.» Il est
évident qu'il n'avait pas prévu d'être contesté par la rue, «par le peuple, ça
lui a fait très mal,» disent ceux qui le connaissent. «Il reconnaît qu'il a
fait un mandat de trop, c'était sous une forte pression de ceux qui ont besoin
de lui,» nous répond-on simplement sans autres précisions. Ce qui est sûr, selon
nos sources, c'est que le Président veut partir, «quitter le pouvoir même avant
2014.» Il veut que le pays (re) devienne stable. L'on
s'interroge d'ailleurs s'il veut aller avant vers une élection législative
anticipée ou présidentielle. «Au plus tard 2012» serait retenue comme date
éventuelle. «Bensalah pourrait en être le candidat du
consensus,» répondent nos sources. L'information a été colportée l'année
dernière. La polémique lancée récemment par Ziari sur
l'utilité du Conseil de la
Nation semble répondre à des velléités de dissoudre
l'instance par voie constitutionnelle. L'on pense d'ailleurs qu'elle sera
supprimée de la
Constitution une fois révisée et les mandats présidentiels
seront fixés à deux uniquement. «C'est la seule manière de libérer Bensalah pour qu'il puisse se porter candidat à la
présidentielle anticipée ou pas,» nous dit un responsable. Mais l'on susurre
d'ores et déjà que cette candidature risque de buter contre d'autres velléités
qui commencent à enfler, «celles de dénigrer les origines de Bensalah,» avancent nos sources.
C'est à qui, quand et comment léguer le pouvoir présidentiel qu'El Mouradia réfléchit. «Le projet sera réajusté au fur et
mesure que les langues se délient durant les consultations et les positions
s'affichent ou se réajustent,» est-il souligné. Le reste n'est que simple
agitation pour animer la scène. «Ce qui se passe au FLN, le mouvement contre l'UGTA ou autres prises de bec entre annexes du pouvoir sont
pour donner l'impression qu'il y a confrontation d'idées voire de projets,»
disent nous sources. Le seul projet en sérieuse cogitation est celui qui
permettra à Bouteflika de quitter le pouvoir dans la
sérénité. «C'est pour ça qu'il veut aplanir tous les problèmes,» assure-t-on.
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Posté Le : 29/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com