Il y a ceux qui
réforment par conviction ; ceux qui le font sous la contrainte ; et les autres,
les pays d'Afrique du Nord, qui font semblant de réformer.
Pendant que la Tunisie condamnait son
ancien président Zine El-Abidine
Ben Ali à une lourde peine de prison, l'Egypte se demandait si elle pourra
jamais juger son Raïs Hosni Moubarak. Dans une atmosphère moins frénétique, le
Maroc s'apprête à voter une timide réforme politique proposée par un Roi qui
tente de garder la main, alors que la
Libye, immense désert institutionnel, se prépare à faire ses
premiers pas dans la modernité en payant le prix fort, celui du sang.
Tout ceci se
passe sur la rive sud de la Méditerranée, une zone qui n'a pas su aller au
changement quand il était temps, et qui se trouve aujourd'hui en pleine effervescence.Dès lors, sous la pression et dans l'urgence,
tout le monde fait semblant de vouloir réformer, mais personne ne semble savoir
où mènera cette transition, tant ses acteurs semblent dispersés, éparpillés,
soumis à des intérêts contradictoires impossibles à concilier.
Dans l'immédiat, la Tunisie semble d'abord
soucieuse de donner des gages à la rue. En sacrifiant un président déchu,
humilié, et en lui faisant porter, seul, la responsabilité d'une dérive qui a
duré un quart de siècle. C'est de bonne guerre, si cela permet de calmer
momentanément la rue, et de signifier qu'il y a quelque chose d'irréversible.
En Egypte, on
sacrifie les dignitaires de l'ancien régime par paquets. Parents de Hosni
Moubarak et anciens dignitaires sont condamnés à tour de bras, mais le Raïs est
jusque-là épargné. Le nouveau pouvoir égyptien semble hésiter à s'acharner
contre un homme âgé et gravement malade.
Mais ces actions,
peut-être souhaitées par la rue, peut-être aussi nécessaires pour apaiser la
colère d'une opinion impossible à satisfaire autrement, ces actions, donc, ne
peuvent servir de projet politique. A peine pourront-elles servir à faire
patienter des peuples emportés par un formidable élan d'enthousiasme et nourris
d'un immense espoir. Ceci peut durer un temps, mais la réalité reprendra
rapidement le dessus. Avec cette vérité : les pouvoirs en place, naturellement
conservateurs, tentent de gérer le temps pour éviter une dynamique qu'ils ne
pourraient contrôler. Les puissances étrangères, dont l'influence reste
décisive, plaident publiquement pour le changement,mais
travaillent en sous-mainà préserver leurs intérêts,
qui sont objectivement contre le changement.
Quant au peuple,
il est d'abord prisonnier de son propre désarroi : comment prendre le pouvoir
sans détruire une économie aussi fragile ? Comment s'imposer sans hypothéquer
gravement la période de transition, très délicate à gérer ?
Au Maroc, le Roi
s'estime plus chanceux. Il n'a pas eu à faire face à une révolution qui
pourrait l'emporter, et il cherche précisément à l'éviter, en prenant les
devants. Il propose une réforme sans impact significatif sur le fonctionnement
institutionnel du royaume, ni sur la société. Mais son initiative reçoit,
curieusement, un écho très favorable en Europe.
A l'inverse, quoi
qu'il fasse, Maammar Kadhafi sera condamné par les
pays occidentaux, qui ne semblent pas disposés à admettre davantage sa présence
au pouvoir. Mais il est vrai que le dirigeant libyen réunit tout ce qu'il est
possible de détester : autoritarisme, arrogance, mauvaise gestion, violation de
la loi et des Droits de l'Homme, etc. indéfendable, même pour ses amis, il joue
ses dernières cartes, en sachant que s'il perd, il perd tout : fortune,
pouvoir, et probablement la vie.
Aucun de ces pays
du sud de la
Méditerranée n'a pris l'initiative d'engager le changement
avant d'y être acculé. Les réformes n'ont été évoquées que lorsque la tempête
les imposées, ou lorsque la menace est devenue si pressante qu'il fallait
offrir quelque chose à la rue pour ne pas être emporté. Ce qui suscite
forcément une forte méfiance de la part de l'opinion : aucun dirigeant dans
tous ces pays n'est sincère. Ils ne font de concessions que sous la pression.
Mais si le rapport de forces leur est de nouveau favorable, ils reviendront sur
les concessions qu'ils auront faites.
Dans chacun de
ces pays, le raisonnement aurait pourtant dû être inversé. Au lieu de la
question : que faire pour ne pas être emporté ? Les dirigeants de tous ces pays
auraient dû se poser d'autres questions : de quelles réformes le pays a besoin
pour entrer et s'installer dans la modernité ? Quels changements politiques,
économiques et institutionnels sont nécessaires pour garantir au pays les
meilleures chances dans le monde de demain ? quels
moyens, quelles institutions, quels acteurs doivent être mobilisés pour mener
la réforme dans les meilleures conditions ?
L'Algérie s'est
posée ces questions il y a plus de vingt ans. Cela a donné des réformes
particulièrement ambitieuses, avortées au milieu du gué. Depuis, le pays tourne
en rond, en parlant de réformes sans jamais avancer. A défaut de réussir son
changement, l'Algérie peut servir de contre-modèle.
Elle peut montrer aux autres pays d'Afrique du Nord ce qu'il ne faut pas faire.
Et leur montrer, surtout, où aboutit le refus d'évoluer.
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Posté Le : 23/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com