Algérie

Réflexions sur l'avant-projet de révision de la nouvelle Constitution


Par Miloudi Boubaker(*)
Depuis les origines, l'homme a cherché à survivre non pas par des solutions individuelles, mais par des issues collectives. Quand le spectre de la famine ou de pandémies menace, la nécessité de survie suffit à forcer la société à coopérer pour surmonter les obstacles quotidiens de la vie.
La constitution physique de l'homme relativement faible, «c'est un roseau pensant» disait Rousseau, le pousse donc à rechercher la coopération et l'encouragement mutuel. Ce qui a permis, par la suite, aux sociétés modernistes de créer des lois qui fixent l'organisation et le fonctionnement des Etats et de les faire respecter par la majorité des citoyens.
Ces lois approfondissent l'organisation effective des différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), et protéger les droits et libertés des citoyens contre les abus de pouvoir, c'est ce qu'on appelle la Constitution ou la Loi fondamentale.
Encore faudrait-il mesurer le pouvoir des idées et des concepts existants dans une Constitution qui sont évoqués à travers l'histoire où des régimes politiques ont été, soit érodés, soit renforcés, non seulement par l'effet d'un complot ou de trafic d'influence politique mais surtout par la puissance extraordinaire des idées.
L'homme, poussé par sa passion et son comportement de domination et exploitant ces idées en sa faveur, cherche à atteindre le pouvoir. Il essaie de créer la richesse matérielle même en marchant sur les plates- bandes de son voisin pour accroître davantage sa fortune. S'il n'est pas tempéré par la raison, l'accumulation de la richesse et la puissance de la force lui permettent de s'emparer du pouvoir en bafouant les lois établies jusqu'à la Constitution.
Dans ces conditions, il s'agit de se demander comment éviter les abus des pouvoirs légaux conférés aux décideurs politiques pour respecter la Constitution.
Quelles sont les garanties pour empêcher l'utilisation des capacités des pouvoirs en dehors des lois '
Quels enseignements peut-on obtenir de l'étude de certaines Constitutions à travers le monde qui ont donné une stabilité politique à leurs pays '
Le projet de la nouvelle Constitution en Algérie répond-il aux attentes et aux revendications demandées par la population à travers le Hirak.
Les rédacteurs du projet de la révision de la Constitution ont-ils assez explicité certains articles et surtout ceux relatifs à l'économie qui demeurent ambigus. Cette révision est- elle adaptée au contexte de l'Etat de droit, de l'économie et de la société, car notre population a souffert du colonialisme barbare et sanguinaire, de l'obscurantisme de la décennie noire et du despotisme doublé de la corruption connue sous l'égide de l'ancien chef d'Etat déchu.
Une nation moderne ne peut être considérée stable qu'avec des institutions crédibles et une économie prospère. Donc ces institutions doivent traverser l'espace et le temps et les pratiques des dirigeants politiques doivent trouver des réponses aux différents problèmes posés.
Déjà, durant l'époque antique, Platon, dans son livre La République, disait que le pouvoir se soumet à la justice. Il ne devient légitime que s'il accepte de respecter la justice, les gouvernements sont dévoués à la Cité. Dès lors que ceux-ci suivent une cause juste, ils doivent être respectés. La République se caractérise par la souveraineté du peuple.
Montesquieu rejoint les idées de Platon dans la mesure où chaque gouvernement se fonde sur le principe de la république démocratique qui est une vertu. En exécutant les lois, le gouvernement démontre qu'il est soumis lui-même.
Il avertit, en même temps, que la démocratie peut se corrompre lorsque l'esprit d'autorité de la loi se perd ou s'il tend vers l'extrême et cesse d'être une vertu.
Cette situation, caractérisée par le vice, mène rapidement à l'anarchie puis à la tyrannie et le peuple perd de sa souveraineté. Dans ce cas, il ne subsiste dans la République que les privilégiés du système où le président de la République peut exercer désormais un pouvoir sans limites, ce qui entraîne un gouvernement corrompu jusqu'au sommet de l'Etat.
On peut citer certains pays qui ont évité ces abus de pouvoir.
La Constitution anglaise apparaît comme l'une des premières au monde dont les origines remontent à 1215.
Le pouvoir législatif est confié au peuple et aux nobles. Le peuple n'agit pas par lui-même mais par l'intermédiaire de représentants élus par les citoyens.
La Constitution anglaise repose sur de savants équilibres interdisant la prééminence de l'un ou l'autre. Le roi (ou la reine) est inviolable et sacré.
Cette Constitution nous offre le modèle de tolérance et de paix publique. Ce modèle est appelé régime parlementaire.
La Constitution des Etats-Unis (1787 avant la révolution française de 1789 ) à l'origine est également caractérisée par un groupe homogène, par la langue, par la culture britannique et par leurs m?urs puritaines.
Donc, les immigrants anglais importent de leur pays d'origine les libertés politiques et religieuses. Ils défendent une société sans maître avec pour corollaire des libertés individuelles. Ils forgeront le caractère national américain car reposant sur le profit et la diffusion de l'instruction. Les Américains ont pu concilier la souveraineté du peuple, le sens de responsabilité collective et de liberté individuelle.
Ainsi, les Américains ont pu construire une démocratie stable qui est caractérisée par la souveraineté du peuple. Ce modèle est appelé : régime présidentiel.
En Algérie, les chefs d'Etat successifs ont élaboré, durant leurs mandats, deux ou plusieurs Constitutions.
L'ancien président déchu a changé et modifié trois fois la Constitution (celle de 1996 a été révisée en 2002, 2008 et 2016) en supprimant la limitation des mandats. Ce qui allait lui permettre de briguer à vie la magistrature suprême alors qu'il était malade et loin des affaires politiques.
Grâce au Hirak du 22 février 2019, tout le peuple, dans un élan spontané, s'est soulevé comme un seul homme afin de déjouer cette man?uvre machiavélique qui a été appuyée discrètement par certains dirigeants occidentaux.
Désormais, toutes les voies sont ouvertes pour que le peuple s'approprie son propre destin
Il faut signaler que l'ancien chef d'Etat, en quittant le pouvoir, a laissé une Constitution «piégée» sous-entendant «moi ou le chaos». On préfère le chaos provisoire que les dirigeants mafieux et corrompus. Ce qui eut pour effet la perte de temps d'une année ; cela suppose aussi la rapine, la surfacturation et le transfert illicite de nos dernières réserves de change.
Depuis, beaucoup d'évènements se sont succédé qui ont abouti à l'élection présidentielle du 19 décembre 2019.
Le nouveau président, M. Abdelmadjid Tebboune, a promis de satisfaire les différentes revendications du Hirak, parmi elles l'organisation d'un référendum populaire pour une nouvelle Constitution dont l'avant-projet a été publié devant permettre aux Algériens de débattre et de donner leurs avis.
À cet effet, nous avons étudié le projet de la révision de la Constitution et présentons nos réflexions personnelles en respectant l'avis des autres.
Nous allons essayer de l'enrichir en faisant des propositions constructives afin de préserver notre pays des crises politiques futures surtout celles que nous avons connues dans un passé récent.
Dans ces conditions, il s'agit de se demander comment élaborer une nouvelle Constitution pérenne qui ne puisse pas être modifiée au gré de chaque nouveau dirigeant politique.
Ainsi, l'avant-projet de révision de la Constitution prévoit des dispositions nouvelles revendiquées par le peuple que nous saluons, comme : le remplacement du poste de Premier ministre par celui de chef de gouvernement responsable devant l'Assemblée qui peut le renverser par une motion de censure.
Egalement, la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux consécutifs ou non et surtout la mise en place d'une autorité indépendante des élections à laquelle nous adhérons totalement si elle fait partie d'une institution qui puisse combattre la corruption et veiller sur la protection des deniers publics garantiront la transparence dans toutes les transactions. Comme on dit : «Il n'y a de corruption que du caché.»
L'Algérie a souffert plus que tout autre pays au monde des fléaux de la corruption et la surfacturation qui se chiffrent à des milliards de dollars dont une grande partie est perdue à jamais.
Néanmoins, il faut souligner que la nomination par le président de la République d'un vice-président est à écarter parce qu'en cas de vacance de pouvoir, il devient président du pays alors qu'il ne dispose d'aucune crédibilité électorale (ni parlementaire ni au suffrage universel).
Autre revendication demandée par le peuple, l'indépendance de la justice, qui souhaite un maximum de garanties pour éviter d'éventuels abus. Si les pouvoirs législatif et judiciaire sont entre les mains de l'Exécutif, le despotisme régnera en maître et la liberté est bafouée.
En effet, il est prévu dans la réorganisation de la composante du Conseil de la magistrature que le ministère de la Justice et le procureur général près de la Cour suprême n'ont fassent pas partie. Cela montre que c'est un acquis vers la voie de l'indépendance de la justice. C'est également un gage de bonne volonté de la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
L'autre abus à éviter est de confondre le pouvoir des lois et le pouvoir du peuple. Les lois fixant les droits et les devoirs et constituant ainsi les dépositaires de la liberté. Donc, la liberté politique ne peut exister que dans un gouvernement légitime qui ne peut abuser du pouvoir.
Dans le législatif, le bicaméralisme est un système d'organisation politique dual, qui divise le Parlement en deux chambres distinctes : l'APN et le Sénat. Ce système est justifié dans des Etats fédéraux. Il permet une harmonie entre centralisation gouvernementale et une véritable décentralisation administrative.
Dans notre pays, le Sénat apparaît comme une simple copie et se trouve, en effet, structurellement dans l'incapacité de justifier son utilité et son existence apparaît comme un frein pour légiférer rapidement. Revenir à la Constitution de 1989 avec un Parlement mono-caméral est justifié. À cet effet, une seule Chambre de l'Assemblée nationale suffit, car élue au suffrage universel et seule détentrice du pouvoir législatif.
À moins que le Sénat ou Chambre du Parlement justifie son utilité et son adaptation aux mutations de la société algérienne afin de retrouver son pouvoir législatif de représentant des collectivités territoriales.
Dans ces conditions, il faut revoir son mode d'élection par wilaya en supprimant celui de la désignation. Egalement, il faut réviser son mode d'organisation politique qui doit se moderniser aux exigences du pays. L'une des solutions consiste à introduire dans la nouvelle Constitution des dispositions permettant la généralisation du mode de scrutin électif. La Cour suprême représente le seul et unique tribunal de la Nation, cependant, la désignation des juges s'avère une entreprise particulièrement difficile à laquelle il faudra répondre.
L'APN, le Sénat modifié et la Cour suprême garantissent un certain équilibre des pouvoirs, évitant une mainmise de l'Exécutif sur les autres pouvoirs.
Beaucoup d'abus ont été surmontés mais il subsiste d'autres écueils qui doivent être identifiés et dont il faut prévoir des contre- pouvoirs pour éviter des dérives. À titre indicatif, il faut mentionner l'existence de la presse et la consécration de la liberté d'expression peut constituer un réel contre-pouvoir. Ainsi, l'avant-projet de révision de la Constitution consolide les différentes formes de liberté collective et individuelle.
Autre fléau qu'il faut mentionner : la bureaucratie et ses méfaits sur la vie des citoyens. Son origine remonte à la période coloniale. Depuis, aucune réforme sérieuse n'a été entreprise.
L'excès de la réglementation engendre la bureaucratie, la prétention et la paresse de certains agents rendent intolérables les relations des citoyens avec leur administration. Par ces abus, elle contribue à raviver l'instabilité sociale. C'est pourquoi dans la nouvelle Constitution, il y a lieu de prévoir un observatoire de lutte contre la bureaucratie et ouvrir le champ à une véritable décentralisation administrative qui doit être répartie judicieusement entre l'Etat, la wilaya et la commune.
Sur le plan économique, il y a lieu de revoir complètement les articles 61, 62 et 63 qui présentent une forme générale imprécise parce qu'ils dénaturent les principes fondamentaux d'une économie de marché.
En effet, l'Etat doit s'approprier le rôle de régulateur et de stabilisateur dans une économie de marché à caractère social afin de protéger les couches sociales les plus fragiles. L'Etat limite son domaine aux fonctions régaliennes comme la défense, la sécurité et les affaires primordiales du pays. Il doit laisser le marché jouer son rôle à travers les entreprises économiques créatrices de richesses, de valeurs et d'emplois sans aucune discrimination.
L'Etat doit garantir la concurrence et la liberté d'entreprendre. Si le marché ne fonctionne pas d'une manière optimale, l'Etat est tenu d'intervenir dans les structures de l'économie afin d'assurer le progrès et le bien-être de la population.
Il faut également mentionner dans la nouvelle Constitution le principe d'égalité des chances entre les citoyens en modifiant le système des impôts qui est injuste. Ne faut-il pas créer un impôt redistributif proportionnel aux ressources, c'est-à-dire créer les conditions pour favoriser le succès des individus les plus méritants et non pas les plus chanceux et les mieux lotis. Cela permet de diminuer l'écart de richesse entre les citoyens. Exemple, l'écart entre un salarié rémunéré au SNMG et un haut fonctionnaire, sans compter son accès à d'autres privilèges, est de 1 à 30. En Europe, il est de 1 à 10. L'une des solutions consiste à simplifier la multiplication des impôts existants en instaurant un impôt unique sur le revenu ou le chiffre d'affaires des entreprises. Même le secteur informel va participer à la vie économique en s'acquittant de ses impôts au profit des recettes de l'Etat.
En outre, la propriété constitue le fondement de la société. La propriété est reconnue comme le système le plus légitime et le plus raisonnable, parce qu'elle est, dans une certaine mesure, comme la récompense du travail et de l'épargne.
Dans la même filiation à la possession individuelle doit s'adjoindre la liberté de succession et transmission d'héritage. Donc, la continuité des biens est assurée par la famille et la fécondité peut se développer, la liberté individuelle est respectée.
Concernant la gestion des biens publics, l'introduction de l'outil managérial et l'instauration de la transparence sont des éléments encourageants pour accéder à l'émergence de rentabilité de manière efficience.
D'ailleurs, la Cour des comptes est tenue de renforcer son rôle de contrôle et de surveillance de la gestion des biens publics pour protéger les biens de la collectivité. Nous proposons la fondation d'un «Center of Strategy and Prospective» qui est un centre opérationnel et non pas un centre consultatif comme le Cnes. Il aide le gouvernement à tracer une stratégie de développement, anticipe à la demande des autorités politiques, les réformes nécessaires et aide à la décision en matière économique, sociale et environnementale. Sur le plan politique, le parti du FLN doit faire l'objet d'une réflexion sérieuse. En effet, la Constitution de 1989 a mis fin au monopole du FLN. Celle de 2020 doit stipuler qu'il est le symbole de la lutte de libération et appartient au peuple algérien. Par onséquent, le FLN doit être inscrit dans la Constitution comme patrimoine national et ne doit pas être utilisé à des fins partisanes. Toute organisation politique a le droit de défendre ses idéaux dans son programme mais ne peut, en aucun cas, se servir de son sigle et en avoir le monopole. Toutefois, pour permettre à ce parti légal de revoir son statut dans le prolongement de l'établissement de cette révision de la Constitution, il est donc nécessaire de trouver une marge de man?uvre calendaire dans la conciliation du sigle FLN dans son appellation proprement dite et l'appartenance aux idéaux de Novembre de ce parti.
En résumé, nous pouvons souligner que l'étude de l'avant-projet de révision de la Constitution comporte beaucoup de nouveautés par rapport à la précédente et ceci en conformité avec les revendications légitimes du peuple.
Nous avons fait ces propositions en tant que citoyen soucieux de l'intérêt du pays dans lesquelles nous avons livré nos réflexions personnelles ciblant les abus, les vices de forme et de fond qui peuvent apparaître dans la pratique de la Loi fondamentale.
Aussi, l'existence de contre-pouvoirs et de principes immuables, pour sauvegarder la République des dérives, est nécessaire. Ces dérives, si elles ne sont pas contenues, peuvent entraîner des répressions sous l'effet de courants politiques contraires aux intérêts du pays.
D'ailleurs, notre jeunesse (plus de 65% de la population), pleine de fougue et d'espoir, aspire à participer à la vie politique. N'est-il pas temps de s'approprier des concepts comme : liberté et démocratie, s'ils sont bien compris, ils permettront de libérer des initiatives au profit de l'économie nationale. Ce n'est nullement de la naïveté politique pour les dirigeants avertis. Cette révision de la Constitution sera soumise au suffrage universel, en espérant qu'elle sera pérenne pour l'unité du pays. Comme l'évoque l'homme politique avisé : «Avec l'unité, on aura la paix et avec la paix on aura la prospérité.»
M. B.
(*) Professeur à l'Université d'Alger 3.
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