Algérie

Réflexion sur l?architecture



Comme je ne pratique pas encore mon métier, et que je tente depuis quelques années de mener une réflexion sur l?architecture, j?ai voulu passer à l?acte, et me livrer à cette expérience qui m?est chère depuis mon plus jeune âge: celle de l?écriture.Je pense que les mots ont un effet presque magique, ils nous éclairent l?esprit par les sens multiples qu?ils comportent, ils nous montrent le chemin et je dirai même, qu?ils nous inspirent. Alors, je ne dirai pas ô combien de fois, j?ai esquissé des formes sur papiers à partir d?une intuition, d?une réflexion, d?une construction de phrases où les mots ont étrangement un rôle très suggestif. J?apprends même à découvrir à travers ma propre expérience, aussi modeste soit-elle, que le dessin comme le mot, fonctionne au tâtonnement, et que la force du tâtonnement est dans la liberté du geste, que la maladresse ne diminue pas l?importance du croquis. Au contraire, elle l?enrichit en emmenant la raison vers d?autres pistes de recherche.Le mot s?inscrit quasiment dans ce même état d?esprit de la liberté, il ne se suffit pas des définitions thésaurusiques et/ou académiques. Il se cherche dans notre désir d?échapper aux règles d?autres sens qui montrent que l?imaginaire ne se limite pas au conventionnel. Il tente d?aller au-delà des sens que les dictionnaires lui ont assignés. Alors, pour ceux qui prendront la peine de lire cet essai, vous comprendrez pour quelle raison je me complais de dire aux uns et aux autres que nous avons le droit d?inventer nos propres mots, de les déformer, de les transformer, pourvu qu?ils puissent dire, exprimer, voire révéler la profondeur de notre pensée.Plus que cela. Je ris à l?idée de me dire que les mots s?enchaînant, sont associés par notre raison, ou par ce qu?une certaine approche collective issue du sens commun a voulu qu?ils soient dans nos petites têtes, à des ?constructions? phrastiques. En d?autres termes, nous construisons des phrases, et selon notre aptitude à les construire, nous en faisons une matière saisissable ou le contraire. Cette recherche du sens, de la clarté, nous la retrouvons de la même manière dans la construction de l?espace architectural.Celui-ci n?est pas que structure ou squelette de l?édifice. Il est tout ce que la forme matérielle ne dit pas. Il est espace pratique dans le sens où il induit une approche anthropologique et sociologique du lieu, et esthétique dans la manière de le voir et de le vivre. Ainsi, autant nous trouvons que certaines phrases, ou certains mots sont agréables à dire et à répéter, autant nous jugeons certaines architectures plaisantes à regarder et à mirer. Les mots rayonnent des sens qu?ils regorgent, et les architectures révèlent les ambitions de ceux qui leur ont données formes.C?est en ce sens que je déplore que dans notre manière d?enseigner l?architecture dans nos départements - enseigner en architecture signifie en partie pour moi montrer, proposer des pistes au-delà de toute préférence particulière et de préjugé, comme j?aime ou je n?aime pas -, que nous n?insistons pas suffisamment sur le rapport de l?architecture à la syntaxe, de la forme exprimée à la forme matérialisée, que nous n?inculquons pas à nos étudiants cette culture philosophique du questionnement à travers la force du mot. Comme de nous interroger sur l?architecture parlée, ou l?architecture écrite, à l?instar des travaux de Paul RICOEUR qui s?interroge de façon très subtile, et avec beaucoup de finesse sur la mémoire du lieu et notre perception de l?espace dans le temps. Ou Jacques DERRIDA qui, n?ayant pas eu malheureusement l?hommage qu?il mérite dans notre pays, insistait sur l?importance du passage difficile pour beaucoup, du pensé et du dit à l?écrit comme étape primordiale de la cristallisation de la pensée. D?ailleurs, c?est grâce à ce grand philosophe de la déconstruction, que j?ai appris que toute la différence entre un écrivain et une personne qui n?éprouve pas le plaisir de l?usage de la plume, est que l?écrivain met les choses que nous pensons, aussi anodines soient-elles sur papier, et le second ne le fait pas. Et que c?est peut-être grâce à l?écrivain qui pense, qui creuse dans sa pensée et qui use du mot, que nous prenons conscience de cette part de l?inconscient qui compose notre esprit.J?ai même tendance à croire que la pensée est matière tout comme l?architecture, parce qu?elle est intentionnelle, et que seul un fil très fin sépare l?intentionnel du réel. J?avoue que cette idée taraude mon esprit depuis que j?ai lu le passage suivant d?Honoré de BALZAC : « Aussi est-ce une pensée qui tue, et non le pistolet. ». La force de la pensée y est imminente, particulièrement, quand elle a la possibilité d?être libre de toute contrainte. Comme le pense Yousef CHAHINE, « la pensée à des ailes, et nul ne peut arrêter son envol. ». Cette liberté du ?penser?, c?est-à-dire de la manière de penser, parmi ce qu?elle a de plus subtil, c?est de remettre en cause les acquis séculaires, les convictions sacralisées, et surtout de ne pas se suffire d?elle-même. A ce titre, il n?y a pas pire pour la pensée que la conviction, du fait que je ne pense pas quand je suis convaincu. Et quand je suis con-vaincu, je me donne une raison ?de plus? de ne pas avancer, de ne pas fournir d?efforts, et de laisser l?état de fait tel qu?il est, de ne pas le perturber parce qu?il est justement interdit de troubler, d?embrouiller, de déranger un ordre établi. L?histoire a maintes fois montré que la conviction est le propre des sociétés symétriques, des religions, des dictatures, des pouvoirs absolus qui attisent leurs idéologies sur la nécessité de se ressembler, de s?emprisonner dans une même et seule pensée, une pensée unique, afin d?assurer l?homogénéité du groupes et sa stabilité, et par là, de garantir l?exercice d?un meilleur control sur ce groupe.De la même façon, le propre des courants d?architecture et des styles a quelque chose de cette approche de la symétrie. L?académisation de l?architecture a voulu que nous plombions l?histoire de cette discipline sur des critères de conformisme, qui nous font croire que si nous respectons la règle, nous sommes gardiens de traditions qu?il ne faut absolument pas perdre, autrement dit, des enfants sages, et que si nous les ignorons, nous sommes réfractaires, voire producteurs de l?arbitraire. En d?autres termes, nous avons opté pour le pastiche ?inavoué?, parce que reprendre telle ou telle architecture nous donne l?illusion d?appartenir, et d?être légitime dans le regard de l?autre, et qu?inventer, créer, effraie parce qu?il induit la nouveauté, et dans la nouveauté, il y a l?étrangeté et le risque de perturber un ordre établi. Cette peur de l?étrange, et de l?inconnu est de notre temps soutenue par la prolifération frénétique des lois, qui empêchent beaucoup d?artistes, d?architectes de créer librement. Ce discours s?appuie en partie sur toute une construction idéologique, et le plus souvent politiquement stratégique. Ainsi, il n?est pas inédit de voir un dirigeant décider, et imposer une architecture qui répond parfaitement aux paramètres de son propre état psychique, et généralement à son attachement pathologiquement maladif au pouvoir. Ces personnages vivent dans le culte de leurs personnes et la perpétuation des pouvoirs qu?ils ont usurpé aux citoyens, comme les pharaons qui construisaient des pyramides, les califes qui édifiaient des palais qui les coupaient de la vie des peuples qu?ils gouvernaient, où les somptueux mausolées qui étaient sensées éterniser leurs passages dans ce bas monde. Hitler a mis un terme à la liberté des architectes et de la liberté de penser à travers la suppression du Bauhaus, et a obligé les architectes conservateurs à ne produire que du monumental comme signe d?allégeance à la grandeur de la nation germanique.Ces monuments étaient au service de l?ordre qu?imposaient ces fous de l?histoire et du pouvoir, et de l?idéologie criminelle qui animait leur crainte de le perdre. Elles ne sont d?ailleurs que l?expression du mépris qu?ils avaient pour les peuples qu?ils soumettaient aux coups des cravaches et des baguettes, et les décennies de faim qu?ils leur infligeaient. Cela fut aussi le cas des courants politiques, comme le communisme, le socialisme dont le propre des idéologies qu?ils contenaient fut détourné aux services des intérêts des oligarchies. L?Algérie en a bien sûr payé le prix en monopolisant à ce jour des sommes colossales, à coup de milliards pour la construction de grandes universités, de grandes mosquées, la réalisation de grands projets d?habitat qui ne visent au fonds, qu?à éloigner les populations de l?essentiel, qu?à faire croire aux Algériens que le pays est au meilleur de ses jours, alors que dans la réalité, le citoyen peine à joindre les deux bouts de ses mois. L?architecture est mobilisée au service de l?insaisissable.Toutefois, quelques idéologies semblent entamer leur mea culpa dans certains pays. Elles sont en phase d?être favorables à la création et à l?invention. Marc MIMRAM déclarait dans une émission récente sur France Culture (2005), Métropolitain, que n?ayant pas la liberté de créer en France à cause de la sclérose qui résulte du trop grand nombre de lois, des architectes comme Paul ANDREU ont la liberté de s?adonner à fonds au propre de leur imagination dans des pays comme la Chine. Cette dernière n?hésite pas à mettre à leur service les moyens que les pays soi-disant développés ne leur permettent plus. La Chine n?a pas hésité à mettre une industrie spéciale à la disposition de Paul ANDREU pour la réalisation de l?Opéra de Pékin à forme ovoïde. Ces grands moyens ne sont plus possibles, selon Marc MIMRAM, dans les pays développés de l?Occident.Mais peut-être que la décadence commence par là. Quand on se prive des moyens au nom de la règle en surplus, et que, par exemple, on sur légifère et que l?on invente excessivement des lois, pensant justement qu?avec des lois créées partout, on peut avoir le dessus sur les situations qui nous font peur. Et qu?au nom de la protection ?exagérée?, la liberté de penser et de créer de l?architecte artiste est enfin censurée. Ainsi, en Chine, bien qu?il ait beaucoup de choses à dire selon les occidentaux, en ce qui concerne les droits de l?homme, la machine de l?expérimentation est en pleine marche.Dans le cas de l?Algérie, les raisons qui empêchent l?architecture d?évoluer, de poser la question architecturale à ce jour, sont multiples. Elles sont pour l?essentiel politiques, du fait que les décideurs nationaux, dès l?indépendance ont choisi d?occuper la scène et par là, de ne pas faire à ce jour confiance à leur cadres en la matière. L?imminence de la crise de logement à cause des destructions que de nombreuses villes algériennes ont connues vers la fin de la colonisation, et l?héritage immobilier français que les pouvoirs publics ont considéré comme un stock pendant de nombreuses années, en plus du privilège accordée à la création d?entreprises productives jusqu?aux années 1980, sont des raisons souvent invoquées par les spécialistes afin de justifier l?échec de l?Etat dans le domaine de l?habitat.Je pense qu?une partie de la faille se situe à ce niveau : l?habitat. Tous les efforts de l?Etat sont depuis l?indépendance concentrés sur l?habitat en tant que produit économique, ensuite sociale, si bien que l?on ne puisse pas envisager la possibilité de le faire à grande échelle en dehors des rouages et des entraves de l?appareil politico administratif. Et même si le particulier est pour quelque chose dans l?anarchie qui règne dans nos périphéries que nous appelons par erreur étymologique et historique, voire par analogie avec ce qui se passe dans certaines parties de la périphéries des villes françaises, ?banlieues?, il nous semble que le modèle dominant dans la tête des gens est celui des ensembles qui marquent de manière très grave par leur pauvreté architecturale et leur éloignement de l?esprit du code de l?urbanisme, notre représentation des espaces architectural et urbain. Sans oublier que les sièges des institutions publiques, implantés de façon très ponctuelle et désordonnée dans la périphérie, ne sont pas architecturalement exceptionnels et ne peuvent pas dicter un modèle qualitatif, à la mesure des besoins et des possibilités du citoyen.En fait, le mot d?ordre de la politique algérienne en matière d?habitat est depuis l?indépendance de construire, et de donner tous les droits de pouvoir aux technocrates. Il est sûr qu?en fonctionnant en termes de priorité comme nous avons eu l?occasion de nous l?entendre dire par un responsable de l?urbanisme d?Oran, et d?urgence pour résoudre une crise de logements qui ne fait que se perpétuer au point d?être qualifiée par certains de traditionnelle, le tout régi sur fond d?économie des moyens, la question architecturale tarde à être soulevée de manière vraie. Je n?ignore pas, personnellement, que d?autres pays comme la France ont connu la même situation, et que celle-ci n?a fait que trop durer. Cependant, au point où l?Algérie en est, et son désir officiel de dépasser l?archaïsme de certains réflexes du socialisme boumediéniste et du laxisme chadliste, il est quand même triste de voir comment nos députés légifèrent sans être trop regardant sur la réalité du terrain, et que nos dirigeants et nos pouvoirs publics optent pour des solutions qui ont dans de nombreux cas fait leurs épreuves et montré leurs limites ailleurs.Cette politique à laquelle nous faisons allusion, se base fondamentalement sur la logique des chiffres qui caractérisent nos cités. Son impact sur les orientations de l?architecte algérien fut lourd, du fait qu?elle en a fait un chef de chantier qui ne soucie pas de la qualité du produit. Comme le disent certains d?entre nous, le poteau poutre a fait des ravages dans nos tête et dans notre perception même de l?architecture, laquelle est rescapée de chantiers sales, mal gérés et indignes de l?idée que nous nous faisons de notre métier. Dans cet ordre d?idées, je n?hésite pas à dire que nous avons oublié que la construction n?est que l?expression primaire, une variante parmi tant d?autres d?un long processus de réflexion. Ainsi, si on pense que construire qui n?est qu?une possibilité de faisabilité, est toute l?architecture, qu?en est-il alors du long travail de recherche de la solution optimum mené avant l?édification de l?objet, et le devenir de ce dernier, quand on sait qu?il est appelé à connaître éventuellement des mutations, des transformations et des marques de vieillissement après sa réalisation. C?est ce que Paul RICOEUR appelle la refiguration. C?est-à-dire qu?il est impensable pour moi de concevoir que l?architecture n?est pas au-delà de la technique, quand même celle-ci est nécessaire pour l?accomplissement de l?effet de la contemporanéité. Toutefois, une technique doit être maîtrisée et adaptée, parfois, à un savoir faire local. C?est en ce sens que j?ai tendance à croire que l?administration exagérée du secteur de l?habitat en particulier, et par là, la domination d?un modèle officiel du produit construit dans le paysage, est allé carrément à contre sens de la socialisation d?un projet d?architecture qui aurait pu être l?espace de l?entre deux : de l?administrateur et de l?administré. Néanmoins, il est nécessaire aussi de réfléchir sur l?habitat privé, dit individuel qui n?a connu une expansion importante, disons remarquée, qu?à partir de la deuxième moitié de la décennie 1980. Sa problématique peut se résumer dans la question suivante : Est-il possible de lui incomber la responsabilité de la détérioration de l?environnement de la même manière que l?habitat du secteur public ? Cette question puise sa légitimité dans le fait que l?habitant trouve dans l?habitat individuel une autonomie et une tranquillité que l?habitat collectif ne lui permet pas tout à fait. Il est dans certains cas une réponse hostile au modèle d?habitat officiel. La dégradation des copropriétés face à une mixité précoce qui a dépêché le départ d?une classe habitante moyennement aisée des ZHUN, en plus de l?incompétence de l?Etat dans les domaines de l?aménagement et de la gestion urbains, sont à notre avis les axes principaux qu?il faut absolument explorer pour comprendre l?histoire urbaine de la grande ville : coloniale et périphérique. Cette situation, selon certains chercheurs du Département d?Architecture d?Oran, résulte d?une conjoncture économique confuse et d?un désordre étatique. Ces deux éléments, durant les années 1990, ont contribué à la prolifération des quartiers ?mal lotis?. Nous empruntons cette expression au cas des banlieues françaises qui ont connu, au début du siècle dernier, une affluence importante de la classe ouvrière, et cela, sous les encouragements des pouvoirs publics qui tendaient à lui faciliter l?accessibilité à la propriété privée.Aussi, depuis quelques années, nous entendons des responsables locaux dire qu?ils n?ont pas été à une certaines période, celle du terrorisme des années 1990, suffisamment regardants sur les affaires du foncier et de sa gestion. Nous ne cachons pas notre indignation face à ce type d?argumentaire, notamment quand nous savons que ce sont bien les pouvoirs publics qui fonctionnaient normalement, et nous pesons nos mots, qui ont dilapidé les réserves foncières selon des mesures tout à fait légales, comme par l?attribution des permis de construire pour des domaines agricoles qui ont été déchiquetés, morcelés sans foi ni loi, avec une grande complicité de responsables locaux et nationaux.Ainsi donc, suite à cette réflexion très modeste, nous constatons que les choix politico administratifs déterminent les processus de développement des domaines, architectural et urbain. Toutefois, ce qu?il y a de plus grave dans l?histoire de nos villes, comme Oran, est l?inexistence d?une véritable structure d?enseignement de l?architecture, adaptées aux demandes locales par leurs missions pédagogiques. Sans oublier que les départements existants actuellement, ne sont jamais associés de manière transparente à la réalisation des projets, que les pouvoirs publics choisissent.  * Architecte et docteur en urbanisme. 
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