Algérie

Réflexion à propos de l'exposition de l'ANP à la Safex



Au début, j'étais récalcitrant, je ne voulais aller à aucune exposition. D'abord, j'avais mon idée sur la valeur de l'ANP, digne héritière de l'ALN. Je ne crois pas que beaucoup de pays puissent se targuer de s'être dotés d'une armée populaire aussi moderne, aussi efficiente et efficace en dix lustres. Ensuite, il faut prendre le temps d'y aller. Avec la fin de l'année scolaire et avec l'approche du Ramadan, ce n'est pas si évident.
Ajouter l'éloignement et le problème de circulation ! Mon ami Aggoune Youcef m'avait promis un catalogue sur une exposition de la presse française des origines à aujourd'hui et qui se tient actuellement à la Bibliothèque nationale française. En allant à Media Marketing récupérer ce catalogue, sa collaboratrice me remet par erreur un autre catalogue «Algérie 1830-1962» de l'exposition du Musée de l'armée française qui se tient, comme par hasard, du 16 mai au 29 juillet 2012 à Paris. J'ai passé une bonne partie de la nuit à le lire. Je ne pense pas qu'on puisse faire mieux en matière de désinformation. Sous couvert d'objectivité, beaucoup de faits sont passés sous silence ou présentés de façon à encenser la colonisation, en prenant soin d'avertir le lecteur que les écrits n'engageaient que leurs auteurs. Si les notices biographiques en disent long sur les auteurs, la liste bibliographique ne pouvait qu'être très sélective ! J'ai pris sur moi de remettre à plus tard quelques engagements et me suis fait une obligation de visiter l'exposition de l'ANP et surtout d'avoir un échange avec ses responsables. J'ai été très très cordialement reçu. On m'a invité à consigner mes remarques et mes suggestions dans un des livres de doléances à la disposition du public. L'exposition est riche et magnifique. Mais je voulais prendre du recul et me faire une idée après lecture d'un hors série du Djeïch «ANP, histoire et mémoire du cinquantenaire ». Dans les années 1960-1970, la presse nationale avait de très bonnes relations avec le Commissariat politique et particulièrement avec les regrettés commandant Hachemi Hadjerès et le capitaine Hamouda. J'ai posé la question de la reconversion de l'ALN en ANP à un jeune capitaine, il a été honnête en me disant qu'il n'en savait rien. L'ANP n'est pas une génération spontanée, elle est bel et bien l'héritière de la glorieuse ALN. Que la reconversion de cette dernière soit sujet à discussion importe peut. Pour certains, ce serait le commandant Ali Mendjeli, en août 1962, à Bou Saâda, qui aurait dit que l'armée était populaire à une question de la presse étrangère en présence du colonel Houari Boumediène, chef de l'état-major général, c'est possible, que le Bureau politique constitué le 22 juillet 1962 à Tlemcen s'est déclaré dans sa proclamation «habilité à assurer la direction du pays, la reconversion du FLN et de l'ALN...» à laquelle auraient adhéré les Wilayas I, II, V et VI alors que les Wilayas III et IV et la Fédération de France auraient subordonné leur accord à condition que cette reconversion se fasse dans le cadre de la constitution d'un Etat algérien élu légalement ; que Ben Bella se soit rendu le 6 août 1962 à Constantine pour procéder à la reconversion de l'ALN ; que Khider ait, au nom du BP, affirmé le 10 août 1962 l'urgence de la reconversion de l'ALN et du FLN. Tout cela fait partie du domaine de la recherche historique. Il n'en demeure pas moins que légalement, juridiquement, constitutionnellement, la popularité de l'armée est consacrée par l'article 8 «l'Armée nationale et populaire» de la Constitution du 28 août 1963. Je reviens à notre sujet, j'ai lu, j'ai bien lu les deux cent vingt-cinq pages du hors série du Djeïch. D'abord, dès la page de garde, j'ai tiqué. A notre humble avis, la flamme du dévouement à la patrie, du don de soi, de l'esprit du sacrifice a été allumée, il y a 58 ans et non 50, par l'ALN et dignement entretenue par son héritière l'ANP. Les articles 8 de la Constitution du 28 août 1963 et 82 de la Constitution du 22 novembre 1976 font référence tous deux à la participation de l'ANP aux activités économiques et sociales du pays qui était dans un piteux état. A ma grande surprise, aucune ligne sur ces activités vitales pour le pays au cours de ses premières années d'indépendance. Sur recommandation du CNRA réuni à Tripoli fin 1959, début 1960, le GPRA crée un Comité interministériel de la guerre (CIG), composé de Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal, qui avait sous ses ordres l'Etat-major général (EMG) confié au colonel Houari Boumediène assisté des commandants Slimane (Kaïd Ahmed), Ali Mendjeli et Azzedine (Rabah Zerari) et qui, dès fin janvier 1960, va prendre une série de mesures qui vont booster la discipline, la combativité et l'engagement des djounoud du haut au bas de l'échelle. Dans le cadre de ces mesures, le capitaine Moussa fut chargé de l'intendance. Sous ses ordres, fut créé le Foyer central du moudjahid (FCM), ancêtre de la DNC-ANP, créé décembre 1963, qui seront tous deux dirigés par le futur colonel Abdelmadjid Aouchiche. Le Foyer central du moudjahid avait, entre autres, sous sa coupe 141 foyers qui avaient un double but : un de service ; offrir aux djounoud des articles de bazar et de cantine aux meilleurs prix et l'autre, surtout de sécurité, éviter aux djounoud la fréquentation des boutiques à l'extérieur de la clientèle cosmopolite. Fin 1966, la Direction nationale des coopératives de l'ANP (DNC-ANP) compte 850 éléments et 5 unités de production : menuiserie, ébénisterie, les éditions populaires de l'armée, l'usine de chaussures d'Oran et l'Entreprise du bâtiment d'Alger. Dès l'année 1967, l'Entreprise du bâtiment «explose». Elle devient un ensemble intégré tous corps d'état avec à sa disposition une série d'entreprises de matériaux de construction. Pour ne pas être à la merci de l'étranger, la DNC-ANP va se doter d'un bureau d'engineering de recherche et d'études générales (BEREG) qui lui permet d'envisager toute opération de réalisation clés en main. Le 31 décembre 1968, une première convention est signée avec le ministère de l'Education nationale pour la réalisation de constructions scolaires et universitaires. La DNC-ANP va collaborer avec de grands architectes tels qu'Oscar Niemeyer, Kenzo Tangé, Ricardo Bofil, Mustapha Moussa... Débutera alors la saga des grands projets tous corps d'état : les Universités des sciences techniques d'Alger (USTA Houari-Boumediène) et d'Oran (USTO), l'Institut supérieur maritime de Bou Ismaïl, la mosquée Emir Abdelkader et l'Institut des sciences islamiques de Constantine, le ministère du Commerce... dans le cadre d'une opération spéciale 118 lycées et CEM ainsi que 15 APC seront construits à Alger et sa région. La plupart des gendarmeries et tribunaux, particulièrement dans le Sud, sont l'œuvre de la DNCANP qui compte à son actif les 1 000 bureaux initialement prévus pour le Premier ministère et qui occupe aujourd'hui le ministère des Finances, sans oublier la Coupole du complexe olympique Mohamed-Boudiaf et un nombre important de réalisations à caractères stratégique. Vers la fin de 1978, la DNC-ANP va compter plus de 50 000 travailleurs civils. Un stand avec de belles photos, un petit dépliant aurait suffi ! La première fournée du service national sera mise à la disposition de la DNC-ANP qui va étoffer son encadrement. Certains jeunes seront chargés de grandes responsabilités dans divers domaines de l'économie nationale. A titre d'exemples, deux d'entre eux prendront les rênes du ministère de l'Habitat : Nadir Ben Mati sous le gouvernement Merbah en 1988 et Farouk Tebbal sous le 2e gouvernement Ghozali en 1992. Aujourd'hui, le ministre de l'Habitat déplore le manque de grandes entreprises de réalisation. Faut-il lui rappeler que «l'Eischman» de l'économie nationale Abdelhamid Brahimi dit Abdelhamid «la Science» a démantelé sous le règne de Chadli Ben Djedid la DNC-ANP en 26 entreprises sans compter le démantèlement de nombreuses entreprises qui ont aujourd'hui disparu. La DNC-ANP aura vécu. Pour revenir à notre exposition de l'ANP, il aurait été plus judicieux de la laisser pour la fin de la commémoration du Cinquantenaire, par exemple pour juillet-août 2013. Elle aurait alors fêté un double cinquantenaire : celui de l'indépendance et celui de sa reconversion d'ALN en ANP. Elle aurait drainé un plus grand nombre de visiteurs si elle avait été organisée sur l'esplanade de Riad-El-Feth entre le Musée de l'armée et celui du moudjahid et sur une période de 2 mois plutôt que 12 jours. Les responsables de l'exposition m'ont laissé entendre qu'ils étaient tenus par un calendrier mis au point par le ministère des Anciens moudjahidine, dont acte. Les ministères programmés en même temps que celui de la Défense nationale ont compté leurs visiteurs sur les doigts de la main. La vedette était incontestablement l'ANP.
Y. F.
* A participé à la création d' Al Chaâb en 1962, Alger Soiren 1964 et a fondé Algérie Actualitéen 1965.
- Cadre supérieur à la DNC-ANP et au ministère de l'Habitat de 1973 à 1989.


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