Algérie

Reflet culturel à Cherif Kheddam' Comment un simple bruit a fait jaillir un monument de la musique


Reflet culturel à Cherif Kheddam' Comment un simple bruit a fait jaillir un monument de la musique
En juillet 2006 l'association culturelle Cherif-Kheddam du village d'Aït Boumessaoud avait organisé un vibrant hommage au maître de la musique kabyle. Le retour de l'enfant prodige à son village natal avait été fêté d'une manière exceptionnelle. C'était pour moi une heureuse occasion de revoir Dda Cherif Kheddam mais dans une ambiance différente aux précédentes car typiquement villageoise et au milieu des siens. Nous avons sillonné ensemble la belle rue centrale du village pour aller visiter sa maison natale. Aux portes de chaque domicile se tenaient debout ces femmes qui jetaient des regards furtifs mais joyeux, admiratifs et pleins de reconnaissance envers cette icone. Des youyous fusaient de partout. À un petit détour, la maison, surmontée d'un toit verdi par une mince couche de mousse, s'offrait à nous. Le grincement de la porte semblait souhaiter la bienvenue à l'homme qu'elle a vu naître. Nous entrâmes et découvrîmes un intérieur humble, intact et typique de la maison kabyle d'antan. Les jeunes de l'association avaient auparavant pris soin d'éclairer l'intérieur mais la lampe me semblait comme une intruse dans cette ambiance traditionnelle. Nous prîmes place sur l'adekkwan surmontant le petit adaynin qui faisait office de petite étable pour animaux de fortune. Dda Cherif fixait un coin, plongea dans ses souvenirs d'enfant et se mit à me confessait un événement majeur. Il me dit : 'Un soir d'hiver alors que "dehors la neige avait habité le nuit" et imposait un silence de cathédrale, je revois encore ma mère assise là-bas autour du kanoun en train de carder la laine avec un geste faisant un va-et-vient ordonné. Par moments, elle retirait des cardes, sur des précautions infinies, de petites couettes de laine détendues et rendues encore plus blanches. Avec beaucoup de prudence, elle empilait une à une les nattes de duvet. De petits tas se formaient alors au fur et à mesure qu'elle cardait. De ses deux cardes (iqerdachen) sortait au début un simple frottement plus ou moins régulier. Soudain le bruit est emporté par des ondes qui emplissaient la maison pour devenir comme une romance. Sans me rendre compte et de ma voix intérieure affleurait un air qui suivait la mélodie des cardes. Aux intervalles où continuaient de se former les petits tas de couettes, ma voix continuait de fredonner. C'est alors que ma mère me dit "yezha wul-ik a mmi" (ton c'ur est gai mon fils). Je crois que ces moments charnels ont été initiatiques pour ma carrière de musicien.' Un silence pesa puis Dda Cherif reprend : 'J'ai comme l'impression que j'entends encore la mélodie des cardes.' Je ne dis pas un mot. Je l'ai laissé pendant un long moment en soliloque avec ses souvenirs. Il dissimulait difficilement quelques perles de larmes. C'est terrible qu'un simple bruit ait fait jaillir un monument de la musique !
A. A.
kocilnour@yahoo.fr
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