Pour l'opposition, la révision de la Constitution n'est qu'un subterfuge utilisé par le Président pour conserver le pouvoir. Depuis mi-octobre, la mobilisation anti-Condé donne lieu à des manifestations massives à travers le pays. Au moins 30 civils et un gendarme ont été tués jusque-là.Les Guinéens sont appelés demain aux urnes pour se prononcer sur une nouvelle Constitution par référendum couplé avec des législatives reportées depuis des mois.
Pour l'opposition, le projet de Constitution est une man?uvre du président Alpha Condé, un ancien opposant, bientôt 82 ans, pour briguer un troisième mandat à la fin de l'année.
Ce dernier a qualifié le nouveau texte fondamental de «moderne». La Constitution codifierait l'égalité des sexes, interdirait la circoncision féminine et le mariage des mineurs. Elle veillerait à une plus juste répartition des richesses en faveur des jeunes et des pauvres.
Depuis mi-octobre, la mobilisation anti-Condé donne lieu à des manifestations massives à travers le pays, à des journées villes mortes. Au moins 30 civils et un gendarme ont été tués jusque-là. Le projet soumis à référendum dimanche limite à deux le nombre de mandats présidentiels.
Le Président sortant en est à son deuxième. Ancienne colonie française, située en Afrique occidentale, la Guinée a proclamé en 1958 son indépendance. Le pays a été dirigé par Ahmed Sékou Touré jusqu'à sa mort, en mars 1984.
Le 3 avril de la même année, un Comité militaire de redressement national (CMRN) prend le pouvoir en Guinée. Les militaires annoncent la dissolution du Parti démocratique de Guinée (PDG) ainsi que de l'Assemblée nationale, la suspension de la Constitution et s'engagent à créer «les bases d'une véritable démocratie évitant à l'avenir toute dictature personnelle».
Le colonel Lansana Conté, qui préside le CMRM, est nommé chef de l'Etat. Ce dernier est élu Président en décembre 1993 avec 51,70% des voix.
Il s'agit de la première élection présidentielle multipartite. Elle s'est tenue néanmoins dans un climat de violences. Rentré d'exil en mai 1991, Alpha Condé, candidat du Rassemblement du peuple de Guinée, obtient 19,55% des voix.
Il conteste la victoire au premier tour du Président sortant. Le 2 février 1996, des centaines de militaires manifestent, dans les rues de Conakry, pour obtenir l'augmentation de leur solde et le départ du ministre de la Défense, le colonel Abdourahamane Diallo.
La mutinerie se transforme en tentative de putsch. Les militaires attaquent le palais présidentiel et constituent un Comité de salut national. Le 4 février, le président Lansana Conté confirme le limogeage du colonel Diallo et l'augmentation de la solde annoncés dès le début des troubles.
De l'opposition à l'autocratie
En décembre 1998, le général Lansana Conté remporte l'élection présidentielle dès le premier tour, avec 56,1% des suffrages. Mamadou Bâ, du Parti du renouveau et du progrès, obtient 24,6% des voix et Alpha Condé, chef du Rassemblement du peuple, 16,9%.
L'opposition, qui a conclu un accord pour empêcher le Président sortant d'être élu au premier tour, dénonce des fraudes. Le 15 décembre, Alpha Condé est arrêté alors qu'il aurait tenté de fuir le pays. Des manifestations éclatent réclamant sa libération, à Conakry et dans d'autres villes du pays.
En septembre 2000, la Cour de sûreté de l'Etat annonce la condamnation de l'opposant Alpha Condé à cinq ans de prison pour «atteinte à l'autorité de l'Etat», au terme d'un procès entamé en avril. Il est jugé pour avoir tenté d'organiser un putsch contre le régime du président Lansana Conté.
En novembre 2003, la révision constitutionnelle visant à permettre au président Lansana Conté de briguer un troisième mandat est approuvée par référendum par 98,4% des suffrages. Ainsi, la limitation du nombre des mandats présidentiels est supprimée, ainsi que la limite d'âge du candidat. Aussi, la réforme accroît le pouvoir du chef de l'Etat face à l'Assemblée nationale.
En février 2007, le président Lansana Conté, qui a accepté en janvier de céder une partie de ses pouvoirs à un Premier ministre, nomme à ce poste un de ses proches, Eugène Camara. Face à cette décision qu'ils considèrent comme une «insulte», les syndicats réclament pour la première fois la démission du président Conté. Le Président proclame l'état de siège, qui interdit notamment toute manifestation.
Le 25 février, l'Assemblée nationale refuse de prolonger l'état de siège, Lansana Conté accepte de nommer un nouveau Premier ministre de consensus parmi quatre candidats proposés par les syndicats, selon un accord conclu sous l'égide de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest.
La grève générale est suspendue. Le 26, l'annonce de la nomination comme Premier ministre de Lansana Kouyaté, un diplomate de carrière, est accueillie par la rue comme une victoire sur le président Conté. Ce dernier meurt d'une maladie en décembre 2008.
Le président de l'Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, doit assurer l'intérim du pouvoir. Cependant, le capitaine Moussa Dadis Camara annonce sur les ondes la dissolution du gouvernement, la suspension des institutions et la mise en place d'un Conseil national pour la démocratie et le développement, composé de civils et de militaires.
Le chef d'état-major, le général Diarra Camara, assure que les mutins sont minoritaires. Le 24 décembre alors que les putschistes promettent l'organisation d'élections libres en décembre 2010, le capitaine Camara se proclame président de la République.
En décembre 2009, à Conakry, le chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, échappe à une tentative d'assassinat. Le 7 novembre 2010, l'opposant Alpha Condé remporte la présidentielle face à l'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo, devenant le premier Président démocratiquement élu du pays.
En juillet 2011, il sort indemne d'une attaque menée par des militaires contre sa résidence. Il accuse plusieurs personnalités, et met en cause le Sénégal et la Gambie, qui démentent.
En 2012, de nombreuses manifestations violentes éclatent à cause du délabrement des services publics, la corruption et la brutalité des forces de l'ordre.
L'opposition multiplie les manifestations pour exiger des législatives transparentes, reportées depuis 2011. En 2013, plusieurs manifestations dégénèrent en affrontements avec les forces de l'ordre, faisant une cinquantaine de morts.
Le 11 octobre 2015, Alpha Condé est réélu président, au terme d'un scrutin marqué de violences. En février 2018, le parti au pouvoir remporte les premières élections locales organisées depuis 2005. Résultat contesté par l'opposition et donnant lieu à plusieurs manifestations et journées «ville morte».
Une nouvelle pratique en Afrique
Le président A. Condé n'est pas le seul dirigeant africain à recourir au changement de la Constitution pour conserver le pouvoir. Quelques exemples illustrent l'ancrage de ce subterfuge devenu ainsi une tradition. Tradition qui remplace une pratique courante sur le continent : les coups d'Etat.
Au Togo, un amendement à la Constitution a aboli en 2002 la limite de deux mandats présidentiels, permettant à Gnassingbé Eyadéma, au pouvoir depuis 1967, de briguer un nouveau mandat en 2003. Son fils, Faure Gnassingbé, qui lui a succédé après son décès en 2005, a été depuis réélu.
Une réforme de la Constitution en Ouganda a supprimé en 2005 toute restriction du nombre de mandats pour le chef de l'Etat. En 2019, la Cour suprême valide la suppression de la limite d'âge pour la présidence, permettant à Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, de se représenter en 2021.
La limitation à deux quinquennats présidentiels est abrogée au Tchad par la nouvelle Constitution en 2005. Ainsi, Idriss Deby, au pouvoir depuis 1990 est réélu en 2016 pour un cinquième mandat. En Algérie, le Parlement a adopté en 2008 une révision de la Constitution supprimant la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels.
Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, est réélu en 2009 puis en 2014. Il est contraint à la démission en avril 2019 sous la pression d'une contestation populaire. La même année, une révision constitutionnelle au Cameroun a supprimé la limitation des mandats présidentiels.
Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, est réélu pour un septième mandat en 2018. Fin 2015, une réforme de la Constitution adoptée fin 2015 a permis au président rwandais Paul Kagame de se présenter pour un nouveau mandat en 2017 et de potentiellement diriger le pays jusqu'en 2034.
Au Congo une nouvelle Constitution adoptée par référendum en 2015 fait sauter les verrous qui interdisent à Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat: la limite d'âge et celle du nombre des mandats. Il est réélu en 2016.
Au Burundi, la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat plonge le pays en 2015 dans une grave crise politique. Au pouvoir depuis 2005, il a annoncé en 2018 qu'il ne se présenterait pas à sa succession en 2020, alors que la nouvelle Constitution adoptée par référendum le lui permet. A. I.
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Posté Le : 29/02/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Amnay Idir
Source : www.elwatan.com