Algérie

«Réduire l'importation de services passe par l'émergence d'un équivalent localement»


«Réduire l'importation de services passe par l'émergence d'un équivalent localement»
- Jusqu'en 2008, Ernst and Young n'avait en Algérie qu'un bureau de représentation. Qu'est-ce qui a changé depuis jusqu'à vous amener à  vous y installer '
D'abord le potentiel de ce marché qui est une réalité. Tout investisseur qui décide de s'implanter quelque part, ne le fait pas sur une simple idée ; il regarde d'abord le potentiel de ce marché et cela existe réellement en Algérie. C'est un pays où nous travaillons depuis 25 ans au travers de certains grands groupes et ce mode d'intervenir depuis l'étranger, notamment depuis la France, a montré ses limites, que ce soit en termes économiques ou en termes de ressources humaines. Il est tout de même mieux d'avoir des gens qui travaillent directement sur leur marché et qui sont dans leur contexte. Aujourd'hui, on ne peut pas àªtre absent du marché algérien, mais il faut que ce dernier aussi accepte, simplifie et aide ce type d'investissement. Pas simplement l'investissement étranger, mais aussi le développement d'entreprises locales.

- Vous estimez que le marché n'aide pas suffisamment, mais cela ne vous a pas empêché de passer d'une simple représentation à  un bureau installé localement…
La première nécessité c'est la confiance. Il faut faire confiance à  ceux qui investissent et aux entreprises en général, notamment privées, qu'elles soient algériennes ou non. Le développement de l'Algérie passera, quoi qu'on dise et quoi qu'on veuille, par le développement d'entreprises privées. Je crois que ce dont on a le plus besoin, c'est la confiance et le dialogue qui va avec. Ce n'est pas dans la vocation des entrepreneurs d'aller remettre en cause telle ou telle législation ou loi, c'est plutôt la responsabilité des autorités. Par contre, ce qu'on demande, c'est qu'il y ait une véritable lisibilité et une certaine stabilité. A la limite, on peut dire qu'importe les lois, mais au moins qu'on sache sur combien de temps elles vont s'appliquer et que cette application soit claire. Ensuite, je pense qu'il faut sortir un petit peu des caricatures et d'un certain nombre de rumeurs qui caractérisent parfois la place d'Alger. On a entendu dire des choses sur les marges qu'on pouvait réaliser. Ce qui est une énorme bêtise. Ce qu'il faut voir, c'est que l'investissement qu'on peut mener profite d'abord à  l'Algérie. Je prends notre exemple. Quand on a démarré ce bureau, il n'y avait personne, alors qu'aujourd'hui on est 70 collaborateurs, tous Algériens et tous formés par le bureau qui fait qu'ils sont au même niveau que n'importe quel collaborateur de Ernest and Young dans le monde et c'est un investissement qui n'a pas de prix. On sait qu'un certain nombre de ces collaborateurs vont repartir dans l'économie algérienne pour àªtre dans les entreprises quelles qu'elles soient. On aura la chance d'avoir des collaborateurs formés aux techniques les plus évoluées dans un contexte de management que vous allez trouver dans n'importe quelle économie.

- Mais il y a sur le marché une profusion de bureaux-conseils dont on n'arrive pas toujours à  percevoir l'apport en matière de valeur ajoutée pour l'économie nationale…
D'abord parce que l'Algérie, comme beaucoup d'autres pays, a du mal à  voir l'intérêt d'un investissement immatériel ou si l'on peut dire intellectuel. Pour autant, dans les économies modernes, c'est plus ce type d'investissement qui est le moteur de l'économie. Je crois donc qu'il faut qu'on revalorise d'une manière générale cet investissement. C'est important d'avoir des usines et des autoroutes, mais ça l'est tout autant d'avoir un développement des connaissances et des services en général, parce qu'on ne peut pas avoir une économie moderne sans ça.
Ensuite, si vous me demandez ce que ça donne concrètement, quand on prend au sortir des différentes écoles des jeunes qui ont un emploi très qualifié et qui arrivent dans un réseau comme le nôtre et ils vont bénéficier de nos outils, ils auront la possibilité d'intervenir à  l'étranger sur un certain nombre de projets. Pour l'économie algérienne, c'est un investissement qui est très important, car ces gens vont avoir demain le même niveau que leurs homologues et concurrents étrangers. Il faut donc qu'on revalorise cet investissement-là et toutes ces prestations de conseil, d'audit... On a tous à  faire de la pédagogie pour montrer que ce sont des investissements réels.

- Vous avez le sentiment qu'il y a une défiance vis-à-vis de tout ce qui est investissements étrangers en général...
Oui, mais on sait que c'est parce qu'il y a une certaine déception.
On s'attendait côté algérien à  plus d'impact sur l'économie locale en termes d'emplois, etc. Je crois qu'il faut savoir dépasser cette déception et ne pas basculer à  l'inverse vers une défiance vis-à-vis de ces investissements qui sont nécessaires parce qu'il n'y a aucune économie au monde aujourd'hui qui n'a pas besoin de faire appel aux investissements étrangers. Il faut aussi distinguer les types d'investissement. Evidemment, si ces investissements ne font qu'importer des biens et des services, alors oui c'est une déception. Mais quand vous avez 70 personnes qui sont formées, payées et qui vivent à  Alger, vous ne pouvez pas nier l'impact direct de cela. Il faut qu'il y ait un petit peu de recul et probablement aussi un peu de sérénité et qu'on fasse la part des choses. Qu'on soit déçu par rapport à  un certain nombre d'attentes des investissements, certes, mais ne mélangeons pas tout. Et pour nous comme pour d'autres sociétés étrangères, il y a eu un investissement direct avec un impact direct sur l'économie algérienne.

- On vous reproche de faire trop de bénéfices, sans percevoir justement cet impact sur l'économie. Qu'en pensez-vous '
On ne comprend pas encore précisément qui nous sommes et ce que nous faisons. Parfois, on a juste pris le montant des contrats que nous avions pour dire qu'on génère derrière tout ça des bénéfices très importants. Mais c'est une erreur de raisonnement. Il ne faut pas avoir peur de voir des contrats de prestations intellectuelles qui soient très importants parce que quand on fait de la transformation de groupe partout dans le monde, compte tenu des changements très importants de nos économies, vous allez devoir mettre en œuvre des équipes importantes, ainsi que des outils et de la formation. Si vous regardez le temps passer et le salaire de toutes ces personnes, vous vous rendrez compte que ces montants n'ont rien d'exorbitant. Personne ne se poserait la question s'il s'agissait de payer un générateur pour un investissement matériel. Il faut sortir de certains raisonnements et oublier les craintes qui peuvent accompagner de ce type de contrat.

- En même temps, on ne peut pas dire que les affaires ne vont pas bien '
Evidemment, mais un entrepreneur quel qu'il soit, c'est quelqu'un qui va prendre des risques et qui devra à  un moment donné àªtre rémunéré par rapport à  cette prise de risque. Par ailleurs, quand on investit, à  un moment donné, il faut qu'on dégage des bénéfices. On est dans un monde qui est concurrentiel, il est normal et même nécessaire de dégager des bénéfices qui doivent àªtre réinvestis dans l'économie et dans le développement de nos entreprises. Aucun entrepreneur digne de ce nom ne nierait cela.

- Quelle est la part de vos bénéfices que vous réinvestissez '
Quasiment la totalité. Dans les premières années de notre présence, sans le soutien du réseau, nous n'aurions pas pu continuer et c'est normal. On consacre chaque année 30% de nos résultats à  la formation de nos collaborateurs, mais pour ça, il faut quand même qu'on nous permette de le faire. Il faut qu'on puisse rémunérer les gens qui vont encadrer les jeunes qui seront formés. Il y a des contraintes sur contrôle des changes, ainsi qu'un certain nombre de règles qu'il y a eu sur la limitation à  la sous-traitance. Je ne dis pas qu'il faut qu'il y ait des règles, mais c'est parfois un peu dangereux de prendre la même règle applicable à  tous les secteurs et à  tous les contextes et parfois nos prestations doivent àªtre regardées différemment par rapport à  d'autres biens ou services. Il faut adapter un certain nombre de réglementations et non pas les changer.

- Mais l'Algérie importe chaque année environ 11 à  12 milliards de dollars de services, il est donc normal qu'on resserre un peu les choses…
Bien sûr, mais on va trop loin. C'est-à-dire que si demain l'Algérie veut réduire l'importation de ce type de services, il faut qu'elle fasse émerger l'équivalent localement. Or, on ne rattrape pas le retard en refusant de mener certains investissements. Il faut se dire que ce n'est pas acceptable d'importer autant, mais il faut qu'on passe par cette phase là pour que petit à  petit la part étrangère s'efface par rapport à  la part algérienne.   
            
- Quelles sont vos perspectives en Algérie et dans la région en général, en ces temps de bouillonnements tous azimuts '  
Nous sommes présents au Maghreb, mais en Tunisie et au Maroc, on est installés depuis plus longtemps qu'en Algérie parce qu'il y avait un contexte de stabilité qui faisait défaut en Algérie. A moyen et long termes, ces marchés seront toujours des marchés d'avenir sur lesquels il faudra àªtre. Si on veut parler du Printemps arabe, il faut faire attention à  la généralisation. Les situations entre Tunisie, Egypte et Libye sont très différentes les unes des autres et je ne me risquerai donc pas à  faire une analyse globale. Quant au risque de contagion à  l'Algérie, je n'y crois pas trop, car les contextes sont différents. L'Algérie a déjà vécu une période difficile de la décennie noire qui a probablement amené un certain recul et une maturité par rapport à  ces bouleversements. Evitons de vouloir transposer une situation différente à  chaque pays. Souhaitons que l'Algérie continue sur sa voie de développement.             
 
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