Algérie

Redistribution de cartes en Méditerranée


Le processus de Barcelone est mort. Vive l'Union méditerranéenne. Pendant que l'Europe s'inquiète, Nicolas Sarkozy agit. Ou s'agite, selon ses adversaires. Face à l'immobilisme des uns et à l'impuissance des autres, notamment après les échecs avérés des tentatives antérieures de construire quelque chose autour de la Méditerranée, il a lancé son initiative d'Union méditerranéenne. Une initiative vague, sans contours précis, peut-être pour offrir la souplesse nécessaire quand il s'agira de passer à de prochaines étapes, celles de la négociation et de la mise en oeuvre, selon les propos de Hubert Védrine, l'ancien ministre français des Affaires étrangères. Si tel est le cas, l'initiative du chef de l'Etat français peut avancer. Jusqu'où ? On ne le sait pas encore. Mais elle a ce mérite de ne pas être « scellée et non négociable », comme le furent les précédentes initiatives, restées lettre morte, comme ce fut le cas pour le processus de Barcelone ou la fameuse initiative de George Bush du Grand Moyen-Orient. Cela ne suffit pas pour autant pour assurer le succès du projet de Nicolas Sarkozy, loin de là. Les promoteurs de l'Union méditerranéenne doivent en effet lever trois hypothèques. Ils doivent d'abord convaincre que leur idée ne vise pas à seulement répondre aux urgences qui s'imposent aux pays du Nord. Ceux-ci font face à trois impératifs connus: le contrôle des mouvements de populations, l'accès aux matières premières, en premier lieu l'énergie, et assurer des débouchés pour leurs produits. Jusque-là, l'Europe a demandé aux pays de la rive sud d'assurer la police, en vue d'empêcher les émigrants africains de rejoindre les côtes sud de l'Europe. A l'heure de la flambée des prix du pétrole, l'accès aux ressources algériennes et libyennes, et au-delà, celles de l'Afrique, constitue un autre enjeu important. Complément logique de cette vision, les ressources financières de ces pays du Sud, obtenues grâce aux hydrocarbures, devaient forcément retourner au Nord, par le biais de l'ouverture des marchés du Sud au profit des produits nord. Cette attitude européenne, qui voit dans la rive sud un complément « utilitaire », a débouché sur l'échec. Il appartient à l'Europe de montrer qu'elle a changé d'attitude, pour que la nouvelle initiative puisse avancer. Autre hypothèque, Nicolas Sarkozy doit convaincre que son initiative ne constitue pas une simple alternative pour empêcher la Turquie d'adhérer à l'Union européenne. Nombre de ses adversaires le soupçonnent en effet d'avoir lancé son idée dans le seul but de prouver que la Turquie appartient à un espace autre que l'Europe. Enfin, troisième hypothèque, le chef de l'Etat français sera contraint de convaincre les pays du Sud que son initiative ne constitue pas une sous-traitance au profit des Etats-Unis, ni un simple prolongement, sous un nouvel habillage, de l'initiative du Grand Moyen-Orient, lancée en fanfare par George Bush avant d'être noyée dans les marais de l'immobilisme des pays du Sud. D'autant plus que Nicolas Sarkozy a largement réorienté la politique étrangère de la France, l'alignant sur celle des Etats-Unis, ce qui pousse nombre de partenaires potentiels à voir dans son initiative une méthode plus soft pour installer Israël comme un partenaire « normal » dans le bassin méditerranéen. Ces handicaps pèseront certainement sur la diplomatie française bien avant le premier sommet que la France souhaite organiser avant l'été 2008. Mais ils ne constituent qu'un préalable, avant de s'attaquer au projet lui-même de construction d'une Union méditerranéenne. Et là, apparaîtront forcément d'autres obstacles, essentiellement liés à la nature de l'Union, d'une part, et à l'hibernation des pays du Sud, d'autre part. Jusqu'à présent, l'Europe s'est contentée de traiter avec les régimes politiques en place dans les pays de la rive sud, c'est-à-dire avec des systèmes amorphes, largement coupés de leurs sociétés. Depuis quelques années, l'Europe a découvert les « sociétés civiles » des pays du Sud, qui ne sont, le plus souvent, que de simples prolongements des systèmes en place. Une multitude de fondations et d'ONG européennes ont commencé ainsi à se manifester bruyamment en Algérie, dans un jeu de dupes. D'un côté, ces fondations se déploient pour compléter l'influence de leurs gouvernements respectifs ou des milieux d'affaires européens. De l'autre côté, le pouvoir algérien laisse faire, amusé, car les interlocuteurs de ces fondations et ONG sont souvent des sous-traitants du pouvoir algérien. On se retrouve ainsi avec un dialogue à double niveau, mené à la fois par les gouvernements et par leurs sous-traitants respectifs, chacun faisant semblant d'être plus intelligent que l'autre. Est-il possible de dépasser une telle situation ? Visiblement, une autre approche est nécessaire. Elle impose une vision qui, non seulement respecte les sociétés du Sud, mais se fixe comme objectif de bâtir un ensemble dans lequel chacun trouve son compte. Et pour que les pays du Sud y trouvent leur compte, il faudrait qu'ils soient gérés par des systèmes politiques représentatifs, soucieux de construire un avenir pour leurs populations, selon la formule de Mouloud Hamrouche. Il n'appartient évidemment pas à l'Europe de choisir les interlocuteurs. D'autant plus que la souveraineté et la non-ingérence sont des questions très sensibles. Mais voir l'Europe parler de bâtir quelque chose en Méditerranée, avec les régimes actuels, relève soit de l'aveuglement, soit de la complicité. D'autant plus que l'Europe détient l'expérience la plus réussie dans ce domaine. L'Espagne et le Portugal, et, plus tard, les anciens pays de l'Est, n'ont intégré l'Europe que lorsqu'ils se sont engagés dans un processus démocratique. Ensuite, l'adhésion à l'Europe a constitué un formidable moteur pour accélérer la démocratisation de ces pays, dans un processus dynamique d'une exceptionnelle efficacité. A l'inverse, la stagnation des pays du Sud constitue un obstacle infranchissable à la construction d'une entité méditerranéenne crédible. Les systèmes autoritaires actuels sont en effet totalement désarmés face à une initiative d'une telle ampleur. Ils ne possèdent ni les instruments, ni les institutions, ni les mécanismes en mesure de la concevoir et de la piloter. Si le projet se réalise, il sera forcément l'?"uvre des Européens. Ceux-ci n'ont aucune raison d'aller vers un projet équilibré. Il est même très probable que, face à l'inertie des pays du Sud, ils s'orienteront rapidement vers d'autres objectifs qui servent exclusivement leurs intérêts. C'est, visiblement, l'alternative la plus probable qui s'offre actuellement à l'initiative de Nicols Sarkozy: ou bien l'Europe lance l'initiative et, face à l'immobilisme des pays de la rive sud, impose son rythme, ses vues, ses objectifs, ses méthodes et ses intérêts étroits; ou bien c'est l'échec, car les pays du Sud ne sont pas en mesure de formuler et de manager un projet, ni même de l'accompagner. Nicolas Sarkozy doit le savoir. Il sait aussi que son initiative constitue un enterrement pour le processus de Barcelone. Ce qui amène à cette nouvelle question: a-t-il réellement un projet pour la Méditerranée, quand on sait tous ces handicaps qui entraveront sa démarche ? Ou bien a-t-il un autre projet, celui d'en finir avec le processus de Barcelone pour imposer un autre processus dans lequel la France aurait un rôle central, à la faveur d'une nouvelle redistribution de cartes ?


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