Algérie

Rédha Amrani, consultant en économie industrielle, à Liberté 'Neutraliser les lobbies du tout-import est nécessaire'


Rédha Amrani, consultant en économie industrielle, à Liberté                                    'Neutraliser les lobbies du tout-import est nécessaire'
Cet ancien responsable de la branche, spécialiste des questions de politique et de restructuration industrielles, qualifie la situation du secteur industriel de désastreuse. Explication.
Liberté : Où en est la mise en 'uvre de la stratégie industrielle '
REdha AMRANI : La stratégie industrielle lancée par le gouvernement en 2007 est toujours dans l'expectative quatre années plus tard ; dire que les textes d'application viennent de sortir démontre que nous sommes loin des exigences et contraintes opérationnelles que nécessite la mise en 'uvre effective de toute stratégie. Il s'agit de parer à la guerre économique imposée par la mondialisation de l'économie, l'accord avec l'Union européenne et le désarmement tarifaire afin de réaliser un développement continu et réel des activités productives créatrices de richesses réelles et des secteurs de services qui leur sont associés. La lecture des premiers documents de référence par filière montre que ce sont plus des programmes de développement des outils centraux et régionaux de l'administration et de la promotion du développement industriel que de l'identification d'actions bien ciblées, précises, réalistes et cohérentes avec l'expansion et le développement des autres secteurs économiques du pays ainsi qu'avec les contraintes et l'agressivité de la concurrence étrangère tant sur le marché interne que sur les marchés de l'exportation. Il est, certes, utile et nécessaire de développer et de promouvoir dans le temps ces structures de soutien de coordination et d'aide au développement industriel ; il s'agit là en fait des outils de base de la politique industrielle et de la bonne gouvernance et non de stratégie du développement industriel.
La stratégie industrielle à mettre en 'uvre nécessite devant l'ampleur du désastre actuel une gestion par exception qui ciblerait des secteurs et des potentiels d'études, de recherche de développement, de production et de commercialisation bien précis. Cette stratégie nécessite aussi et dans la durée une réelle solidarité gouvernementale ainsi que la neutralisation des lobbies du tout-import.
Un audit des processus décisionnels actuels devrait être fait en toute priorité afin de sortir de la médiocrité bureaucratique et promouvoir les meilleurs outils décisionnels de l'action victorieuse. L'exemple que vient de nous donner le ministère de la Défense nationale en s'engageant avec discrétion mais aussi avec détermination dans la réanimation et le redéploiement de notre industrie mécanique résume en fait ce que nous aurions dû faire depuis fort longtemps en matière de stratégie industrielle. Le fait que nous ayons bénéficié dans ces opérations de l'appui d'un fonds d'investissement émirati qui a réussi à acheter des parts appréciables du capital social des fleurons de l'industrie mécanique allemande montre le chemin à suivre. Nous n'avons cessé de clamer sur les colonnes de la presse et sur les différentes tribunes la nécessité de disposer d'outils d'investissements dans les meilleures entreprises industrielles étrangères ainsi que dans les grandes banques et organismes de financement étrangers. Il est encore temps de corriger le tir et de constituer un ou deux fonds d'investissement qui permettraient à notre économie de disposer de ce type d'outils incontournables comme l'ont déjà fait pour booster leur développement économique un grand nombre de pays comme la Norvège, l'Iran, les Emirats arabes unis ainsi que la Libye pour ne citer que ceux-là.
Où en est la mise à niveau des entreprises algériennes (publiques et privées, les premières ayant déjà subi plusieurs assainissements financiers) '
La mise à niveau des entreprises est une démarche mise au point au sein de l'Union européenne pour faciliter l'intégration de l'économie des nouveaux membres lors de leur adhésion ; elle a même été mise en 'uvre par les grandes nations de l'Union européenne pour réduire l'écart entre leur industrie et l'industrie allemande par exemple. Elle demande de grands moyens financiers et aussi et surtout des compétences en techniques de production de management et de ventes.
Des institutions de soutien puissantes et bien organisées encadrent cette mise à niveau en coordination et avec la participation effective des représentants des entreprises. La mise à niveau se fait par périodes, des fois successives, de deux ans. La mise à niveau est une activité quotidienne de tout entrepreneur jaloux de la pérennité de son entreprise. La mise à niveau nous a été proposée par l'Union européenne pour aider les industries algériennes à contenir la concurrence des entreprises européennes lors de l'ouverture des frontières dans le cadre de l'accord de libre-échange. Ce même type de programme a été proposé aux pays du sud de la Méditerranée, lors des accords d'association. Dans notre pays la mise à niveau s'est avérée un leurre puisqu'elle a concerné 445 PME dans le programme Meda financé de façon dérisoire par l'UE quand on sait que la mise à niveau du Portugal a coûté plus de 70 milliards d'euros à l'UE ; il se dit cependant à la Commission européenne à Bruxelles que la mise à niveau des économies des pays de Europe de l'Est et de l'Afrique du Nord serait un échec.
Le programme de mise à niveau mené par le ministère de l'Industrie en collaboration avec l'Onudi semble lui aussi avoir échoué car aucune étude n'a été publiée par ses maîtres d uvre sur les bilans et les résultats réels obtenus, le nombre d'entreprises publiques et privées concernées serait là aussi dérisoire.
Actuellement le site Internet de l'ANDPME affiche le bilan suivant : 747 PME/TPE ont exprimé leur souhait d'adhérer au programme national de mise à niveau, 422 PME/TPE ont émis des demandes d'adhésion au programme national de mise à niveau, 341 demandes ont été traitées soit par des opérations de pré-diagnostic, de diagnostic flash ou d'actions de mise à niveau.
Sur les 341 demandes traitées, le nombre d'actions s'élève à 395, à savoir 174 actions de diagnostic flashs (TPE)167 actions de pré-diagnostics (PME) et 27 actions de mise à niveau (PME). Malgré tous ses efforts l'ANDPME semble avoir un problème d'identification de son marché de PME à mettre à niveau. La question qui se pose a priori est : avons-nous de réelles PMI disposées à recevoir l'assistance et les aides nécessaires à leur mise à niveau ' Le recensement économique en cours est fort opportun et devrait clarifier les choses et surtout identifier et recenser au-delà du secteur industriel, les PME des autres secteurs et notamment celles du secteur de l'habitat et des travaux publics qui doivent elles aussi être mises à niveau.
Je considère qu'il faut surtout développer les outils et institutions d'appui technique et économique tant par branches industrielles que par régions du pays au lieu de se lancer dans le financement d'opérations de mise à niveau ou les compétences techniques et managériales locales font cruellement défaut. C'est à travers ces centres techniques d'appui en coordination avec les institutions de formation et de recherche que l'on pourra identifier les entreprises en mesure d'être mises à niveau car ne peuvent être aidées et mises à niveau réellement que les entreprises saines et bien gérées. C'est à travers le développement de cette infrastructure technique et économique de la politique industrielle et de la bonne gouvernance du développement industriel que l'on identifiera les entreprises de la branche qui nécessitent des mises à niveau et que l'on pourra mobiliser et former l'expertise locale par branche industrielle comme on pourra lancer des ponts entre la formation et la recherche universitaire et les industriels en mesure de participer à la mise à niveau ; comme on saura cibler les compétences étrangères que l'on pourra effectivement mobiliser' De toute façon, seules les entreprises performantes sont concernées par la mise à niveau, les autres doivent immanquablement être aidées à mener des politiques de redressement-restructuration afin d'espérer une ultime chance de survie face aux lois du marché. Il s'agit surtout des entreprises industrielles du secteur public en dehors des 'treize champions .
Où en est la sidérurgie algérienne (le gouvernement vient de proroger le partenariat avec ArcelorMittal !) '
La production sidérurgique algérienne aurait atteint avec 500 000 tonnes en 2010 le niveau le plus bas depuis 1980 année du démarrage de la deuxième phase d'extension du complexe d'El-Hadjar.
Cela démontre une absence des investissements de maintenance et de rénovation des équipements de production et des installations de soutien et de formation de la main-d uvre qualifiée.
ArcellorMittal ne tient pas ses engagements signés lors de sa reprise pour un coût dérisoire des installations d'El-Hadjar ; cela confirme les rumeurs parues dans la presse spécialisée lors de la prise du contrôle du groupe Arcelor et son intégration dans le groupe Mittal Steel en 2006 ; Mittal avait dû présenter au conseil d'administration d'Arcellor le 6 mai 2006 son programme de développement et d'investissement pour obtenir l'accord d'intégration d'Arcelor dans le groupe Mittal.
Les rumeurs de l'époque indiquaient qu'Arcelor aurait exigé et obtenu l'arrêt des investissements dans la sidérurgie algérienne et dans celle d'un grand pays africain.
La situation au bout de dix années de gestion totale par ArcelorMittal doit nous interpeller. Alors que la partie algérienne a respecté la totalité de l'accord et notamment un accord non publiable que je considère illégal à savoir s'interdire de financer à travers les deniers publics tout investissement dans la sidérurgie en Algérie pendant dix ans, ArcelorMittal n'arrête pas de nous leurrer à la veille de chaque assemblée générale en faisant des annonces d'investissements sidérurgiques à El-Hadjar et dans d'autres sites algériens ; cela est encore plus souligné lorsqu'un investisseur concurrent d'ArcelorMittal se présente en Algérie.
Nous continuons d'importer annuellement plus de cinq millions de tonnes d'acier pour satisfaire la demande interne qui est appelée à augmenter avec la réalisation du plan quinquennal actuel ('.) Arcelor Mittal n'a fait aucun investissement dans le développement des produits sidérurgiques plats à El-Hadjar alors que nous y disposons de compétences humaines individuelles et collectives accumulées depuis 1972.
Le renouvellement en cours de l'accord décennal de 2001, selon les informations diffusées notamment par les syndicalistes, ne semble pas avoir tiré les leçons des dix dernières années.
La seule nouveauté est l'introduction de la sidérurgie par réduction directe au complexe sidérurgique d'El-Hadjar par la réalisation d'un module devant porter la production à 2,4 millions de tonnes. Nous sommes loin des modules compacts et économiques réalisés à travers le monde et de capacité individuelle de 1,7 million de tonnes de produits finis en acier.
Il s'agit donc de ne pas se contenter du face-à-face avec ArcelorMittal et de reprendre la main en termes d'investissements sidérurgiques et miniers.
La création d'une nouvelle entreprise sidérurgique annoncée par le ministre de l'Industrie est opportune ; cependant je pense que face aux difficultés objectives inhérentes à la création ex nihilo d'une nouvelle entreprise sidérurgique, il serait plus efficace de confier ces nouvelles missions à Sider, une entreprise qui a le mérite d'exister et qui dispose d'un fonds documentaire impressionnant et du fichier des compétences algériennes en matière d'études, de réalisation et de management des installations de production sidérurgiques.
Tout investisseur local ou étranger qui se présenterait avec un projet sidérurgique bien ficelé, et par bonheur, nous disposons encore les compétences locales en mesure d'expertiser ce type d'investissement, doit être aidé et encouragé quitte aussi à lancer en Bourse la vente d'actions aux investisseurs locaux pour respecter la règle 51/49%.
D. Z.
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