Tourné dans le sillage de la libération de l'Algérie, Les Mains libres s'inscrit dans la mouvance du cinéma militant des années 1960. Ce film adopte une approche ethnographique et néoréaliste, mêlant des images d'archives rares, des photographies, des coupures de presse, et des scènes fictionnalisées. Ces choix narratifs et visuels visent à restituer les complexités de la guerre d'indépendance et des années qui l'ont suivie, tout en abordant des thématiques universelles comme la colonisation et ses séquelles.
Malika Laïchour, spécialiste du cinéma algérien, souligne l'importance du contexte dans lequel ce film a vu le jour. À travers des dialogues, des archives et une mise en scène réaliste, le réalisateur révèle les blessures laissées par la colonisation et esquisse une réflexion sur la reconstruction identitaire et économique de l'Algérie. Le titre initialement proposé, Les Algériens, aurait été changé sous le conseil de Yacef Saadi qui en fut le producteur, par un titre controversé, Tronc de figuier, souvent perçu comme une insulte coloniale.
Pendant des décennies, Les Mains libres a été considéré comme un film perdu, notamment après les bouleversements politiques de 1965. Une copie 35 mm a été redécouverte à l'AAMOD (Archives Audiovisuelles de la Mémoire Ouvrière et Populaire) grâce aux recherches de l'artiste Zineb Sedira, qui préparait son projet Les rêves n'ont pas de titre pour la Biennale de Venise. La restauration de ce chef-d’œuvre, en partenariat avec l'Institut français et la Cineteca di Bologna, marque une étape cruciale dans la redécouverte du patrimoine cinématographique algérien.
Le film se distingue par son oscillation constante entre le réalisme brut et une esthétique cinématographique sophistiquée, influencée par le néoréalisme italien. Lorenzini utilise des acteurs non professionnels et filme dans des lieux authentiques, créant une immersion profonde dans l'Algérie post-indépendance. Cet aspect ethnographique et documentaire confère au film une valeur archivistique exceptionnelle, offrant un rare aperçu des crimes de l'OAS, des conditions de vie en Algérie, et des premières années d’un pays en quête de souveraineté.
Le prologue, insistant sur l’héritage antique et les richesses historiques de l’Algérie, s’oppose aux clichés racistes de la période coloniale, qui dépeignaient les Algériens comme des êtres inférieurs. Le film, à travers des questions telles que 'Où est la barbarie ? Où est la civilisation ?', interroge les fondements mêmes de l’idéologie coloniale.
À sa sortie, Les Mains libres n’a pas connu de carrière commerciale. Les critiques de l’époque auraient pu lui reprocher de montrer la misère algérienne plutôt que les victoires glorieuses de la Révolution. Ces débats, s’ils ont existé, pourraient être révélateurs des tensions sur la représentation de l’Algérie post-indépendance et expliquer en partie pourquoi le film a été relégué aux oubliettes. En réalité, on ne dispose d’aucune information sur la réception officielle de ce film, ni sur son accueil, qu’il soit public ou critique, et aucune trace d’articles de presse n’a été retrouvée.
La restauration de Les Mains libres ouvre une nouvelle ère de reconnaissance pour cette œuvre pionnière. En combinant une analyse critique de la colonisation et une célébration des potentialités humaines et économiques de l’Algérie, le film demeure un exemple de cinéma engagé. Sa projection à l’Institut français d’Algérie à Tlemcen, suivie d’une discussion avec Malika Laïchour, témoigne de l’intérêt croissant pour cette œuvre parmi les nouvelles générations.
Aujourd’hui, Les Mains libres est non seulement redemandé dans les festivals, mais il est aussi perçu comme un outil pédagogique essentiel. Malika Laïchour plaide pour sa diffusion dans les universités et les institutions culturelles, affirmant qu’il s’agit d’un film précieux pour comprendre non seulement l’histoire de l’Algérie, mais aussi les défis universels de la décolonisation.
Avec sa dimension historique, esthétique et politique, Les Mains libres s’impose comme un jalon incontournable du cinéma algérien et mondial, rappelant la puissance du cinéma en tant que vecteur de mémoire et de résistance.
Posté Le : 26/11/2024
Posté par : frankfurter
Ecrit par : Hichem BEKHTI