Algérie

Réda Hamiani, président du Forum des chefs d'entreprise, à Liberté 'Il faut décentraliser la décision économique'


Réda Hamiani, président du Forum des chefs d'entreprise, à Liberté 'Il faut décentraliser la décision économique'
Dans cet entretien, le président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Réda Hamiani, plaide pour la décentralisation de la décision économique, revient sur la dépréciation du dinar et insiste sur la reconstruction de l'attractivité du Sud.
Liberté : Une délégation du Forum, que vous avez conduite, s'est déplacée à Touggourt, Ouargla et Hassi Messaoud. Vous avez rencontré les chefs d'entreprise qui activent dans cette wilaya, quels enseignements avez-vous tirés de cette visite '
Réda Hamiani : Pour nous, le déplacement à Ouargla avait deux objectifs. D'abord raffermir les liens entre les membres de notre organisation patronale, pour une meilleure connaissance des uns et des autres. Une meilleure connaissance entre eux permet de construire et d'entrevoir des partenariats. C'est également une occasion pour renforcer le forum, en élargissant sa base. Mais au-delà, la visite a été riche en enseignements. Nous avons mieux apprécié le vécu des chefs d'entreprise de la région. Ils nous ont exposé les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Nous avons été perplexes de connaître, par exemple, que ce n'est qu'au cours de ce mois de janvier que la ville de Touggourt a été raccordée au réseau de gaz naturel. À ce jour, des unités industrielles fonctionnent au gaz propane acheminé par camions-citernes de Hassi Messaoud. Pour passer au gaz naturel, en plus des postes de détente et comptage internes aux unités, il est demandé aux opérateurs de prendre en charge le coût du raccordement à la conduite principale du gaz naturel. Les opérateurs subissent également d'autres contraintes liées à l'énergie électrique. Le foncier y coûte paradoxalement très cher. Les zones d'activités ne sont pas aménagées. Les actes de gestion et les problèmes inhérents à l'exploitation des différentes entreprises sont multipliés chez eux. C'est beaucoup plus coûteux de fabriquer une unité dans le sud que dans le nord du pays.
Vous avez plaidé pour un 'Plan Marshall' pour la région du Sud, voulez-vous préciser votre pensée '
Si on veut mettre en 'uvre une politique d'industrialisation du Sud, il faut revoir l'attractivité qui, de mon point de vue, est quasiment inexistante actuellement. Il faut construire une nouvelle attractivité, en s'appuyant sur un avantage comparatif fort. Le Sud représente 85% du territoire de l'Algérie. On ne peut pas concevoir une politique industrielle qui ne s'intéresserait qu'à la frange nord du territoire. Développer le Sud, c'est en même temps avoir une ambition nouvelle, une politique hardie, qui prendrait appui sur cette ambition, mais qui ne se résumerait pas uniquement à des stimulants financiers. Il faudrait dépasser le simple cadre des avantages financiers tels qu'ils sont accordés actuellement par les lois de finance. Pour le Sud, il nous semble évident et essentiel de permettre l'émergence d'un pouvoir économique décentralisé, qui puisse avoir des marges de man'uvre importantes, susceptibles d'apporter, en termes de décision, une réduction des délais, un arbitrage sur les projets envisagés, le déblocage des dossiers de financement de projet, sans remettre en cause l'unicité des lois, afin de multiplier la création d'entreprises. L'objectif, également, est de créer une émulation entre les zones du Sud qui serait de nature à inciter les promoteurs à s'implanter là où ils trouvent les meilleures conditions.
Quand nous avons discuté avec les uns et les autres, nous avons senti qu'il y a toujours ce gap entre les décisions annoncées et les réalités vécues sur le terrain. On a le sentiment que l'administration locale a de la peine à suivre les décisions, en raison de cette centralisation excessive, domiciliée au nord du pays. Pour nous, le développement n'est pas uniquement une question d'autorisation financière, il devrait aussi reposer sur un ensemble cohérent de mesures rapidement prises à l'échelon local. Les mesures décidées par le gouvernement, bonifications de taux d'intérêts, réductions de l'impôt sur le revenu global (IRG) de 50%, n'ont pas provoqué jusqu'ici le déclic. Malgré l'importance de ces mesures, l'attractivité souhaitée n'a pas eu lieu. Visiblement, les seuls stimulants financiers qui sont pris à intervalles réguliers ne suffisent pas pour provoquer le déclic et l'attrait pour le Sud. Il faut que des décisions fortes soient annoncées, qui tranchent avec une politique 'un peu routinière' dans ce domaine : des terrains au dinar symbolique, l'apport des utilités, comme la route, l'électricité, le gaz et l'eau, prise en charge par
l'Etat. Quitte à ce que l'Etat impose des contreparties en termes de création d'emplois. Il est tout à fait anormal qu'il y ait au Sud une pénurie de foncier, avec, nous l'avons constaté, les mêmes tendances aux comportements spéculatifs que dans la région d'Alger. Le FCE trouve inadéquat que des règles de fonctionnement soient appliquées de façon uniforme aussi bien dans le Nord que dans le Sud.
Les politiques restrictives en matière de foncier se comprennent aisément s'agissant de la zone de Blida, d'Alger, d'Oran ou de Constantine. Mais on ne comprend pas que ces mêmes politiques s'appliquent dans le Sud, où la question de disponibilité de terrains ne se pose pas. De ce point de vue, une décentralisation plus poussée du système de décision serait de nature à corriger des distorsions aussi frappantes. Il faudrait que dans le plan d'aménagement et de développement du Sud, il y ait tout une nouvelle philosophie, une nouvelle doctrine et que des mesures simples mais marquantes puissent être prises. Il s'agit d'aller plus loin que le simple souci d'améliorer l'ordinaire des populations actuelles dans le sud de notre pays. Nous devrions songer, à ce titre, à des politiques beaucoup plus hardies qui se donneraient explicitement pour objectif de corriger les trop grands déséquilibres actuels en matière d'occupation spatiale du territoire national.
Qu'en est-il des travaux des groupes mis en place par la Tripartie '
Des réunions techniques sont programmées régulièrement avec les ministères concernés. Pour l'instant, nous n'avons pas une vision d'ensemble de la situation, même si, de manière générale, nous n'observons pas un empressement de la part des administrations. Il n'y a pas de révolution en termes de mise en 'uvre des décisions prises lors de la Tripartite. On ne peut pas se prononcer aujourd'hui. Pour autant, nous avons l'impression que les autorités veulent faire marcher tous les moteurs de l'économie, secteur privé aussi bien que secteur public. On n'est pas contre dans le principe. Cependant, le secteur public est une ancienne économie. S'il doit être réanimé, il faudrait qu'on le fasse d'une manière intelligente. Nous sommes favorables à la mise en place d'une économie mixte, avec un secteur public correspondant à des stratégies définies par nos autorités. Il y a des secteurs que le privé ne peut pas prendre en charge. Donc on peut envisager une mixité de l'économie. Ce qu'il faut viser, c'est l'efficience, la productivité, parce que l'Algérie est confrontée à des problèmes d'insertion dans l'économie mondiale. On ne peut pas imaginer un secteur économique algérien, dès le départ, miné par des productivités nulles. Il ne pourra pas faire face à la concurrence externe. Notre économie doit être autrement organisée que par le passé. Par exemple, l'option de raviver le secteur textile, notamment dans le segment de la confection, semble pour le moins inopportune au plan économique. Dans ce secteur, on aurait mieux vu un investissement dans le maillon manquant, entre le pétrole et les fibres synthétiques. Mettre de l'argent dans le secteur du textile public, qui plus est dans le segment confection, est une hérésie sur le plan économique. Un tel secteur textile public n'existe nulle part aujourd'hui. Plus globalement, l'existence d'un secteur public en dehors des filières stratégiques devrait se faire dans le respect des règles de concurrence interne, de sorte à éviter les subventions indésirables aux canards boiteux et, partant, les gaspillages de ressources rares. Nous voulons croire que l'Etat algérien a tiré les leçons coûteuses des échecs répétés du secteur public au cours du siècle dernier.
Quelle est votre appréciation concernant la dépréciation du dinar '
La parité du dinar malheureusement est gérée comme un instrument de régulation du commerce extérieur. Ce n'est pas interdit. Logiquement, notre stock d'or et nos réserves de devises, extrêmement importants, devraient nous aider à raffermir la valeur de notre monnaie. Si la parité de notre monnaie a été revue à la baisse, c'est vraisemblablement pour limiter les importations, en rendant plus chère la contrepartie dinar, d'une part, et d'autre par pour mieux équilibrer le budget de l'Etat. Certes, on ne peut pas protester contre une mesure qui concourt à la baisse des importations. Mais il y a un problème de fond, cet instrument renchérit également les coûts pour les investisseurs et les producteurs. Pour que cet outil de régulation des importations joue pleinement son rôle, il faut nettoyer l'environnement de la production et l'investissement, pour le rendre plus attractif. Il faut par exemple que l'obligation du paiement par crédit documentaire soit levée pour l'ensemble des producteurs nationaux de biens et de services. Tant que les conditions de création de la valeur dans notre pays seront confrontées à la bureaucratie et à la corruption, les restrictions sur les importations resteront inefficaces et sans autre effet que de produire de l'inflation.
M. R.
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