Algérie

Réda Hamiani, le président déchu


Réda Hamiani, le président déchu
Mercredi prochain, le Forum des chefs d'entreprise se réunit pour entériner le départ de son président. Réda Hamiani, 70 ans, jette l'éponge après quatre mandats à la tête du syndicat patronal.L'homme est charmant. Dans le genre dandy chic au sourire enjôleur. Petits yeux rieurs, sertis de lunettes rondes avec monture en écailles. Quand il nous reçoit au siège du FCE le 25 mai dernier, Réda Hamiani est serein. «Je vous sers un café '» lance-t-il, avant de nous inviter à nous installer dans le salon qui jouxte son bureau. Après notre entretien, il ira rejoindre les autres membres de son syndicat pour étudier le brouillon de la nouvelle Constitution.En attendant, le n°1 du FCE promet de n'éluder aucune question. L'élection présidentielle est passée depuis cinq semaines. Sans accrocs, ou presque. Le soutien du Forum au quatrième mandat a certes fait grincer des dents. Mais rien d'insurmontable pour Réda Hamiani : «De vous à moi, nombreux sont ceux qui me remercient discrètement aujourd'hui d'avoir fait le bon choix.» Confiant, détendu, le patron des patrons se laisse aller on the record. L'entretien est enregistré. Le départ tonitruant de Slim Othmani, président de NCA-Rouiba ' «Vous avez alimenté un non-événement parce que le FCE a parmi ses membres un enfant gâté qui ne fait rien sans en informer la presse», plaisante-t-il.Il reprend son sérieux et poursuit : «Le FCE n'a pas été ébranlé et il n'y a pas eu de dissensions internes. Je n'ai pas eu à gérer des situations d'implosion.» Issad Rebrab claquera la porte du syndicat trois jours plus tard. Pour l'heure, Réda Hamiani ne se doute de rien. Nous lui demandons de nous raconter en détail l'assemblée générale du 13 mars, celle où son syndicat a opté, après des semaines d'atermoiements, pour un soutien franc et unanime à Abdelaziz Bouteflika. Il hésite. De longues minutes. Nous revenons à la charge. Il se résout à narrer les coulisses de la réunion : «Il y a eu un incident dès le matin à El Aurassi quand des partisans de Bouteflika ont vu les deux urnes dans la salle. On s'est mis en aparté et ça s'est tendu. Ils ont rappelé que, selon nos statuts, l'assemblée générale est souveraine. Autrement dit : c'est à elle de décider des modalités de vote. Cette dernière décide d'un vote à main levée.»Se rend-il compte qu'il en a trop dit ' Aussitôt il se ressaisit : «Pas une voix ne s'est élevée pour contester !» Il insiste : «qu'une seule personne s'oppose aurait suffi à ce que la motion de soutien soit rejetée.» Nous nous quittons au bout de quarante minutes. L'entrevue aurait dû durer un quart d'heure. Cinq jours plus tard, le vendredi 30 mai, l'interview est publiée dans El Watan Week-end. Après relecture et réécriture partielle. Deux jours avant, Issad Rebrab déballe sur la place publique ses querelles avec Ali Haddad (qu'il ne cite jamais). Le patron de Cevital annonce qu'il ne renouvelle pas son adhésion au FCE. En moins d'une semaine, Réda Hamiani passe du Capitole à la Roche Tarpéienne.AscensionL'ancien ministre des Petites et Moyennes entreprises n'a pas vu ? ou n'a pas voulu voir ? l'isolement qui était le sien depuis de longs mois. Les opposants au quatrième mandat le conspuent. «Sa position est intenable, critiquait déjà un proche de Slim Othmani en mai dernier. Refuser de prendre position à titre personnel et s'abriter derrière l'assemblée générale, c'est le summum de la lâcheté.» Dans le même temps, les «patrons d'El Mouradia» le soutiennent comme la corde soutient le pendu. «Pourquoi est-il allé se f... là-dedans ' Pourquoi a-t-il rouvert la boîte de Pandore alors que la bourrasque était passée '» s'interroge l'un de ses vice-présidents. La presse flaire sa mise à l'écart prochaine. Le milieu des affaires affirme qu'il ne passera pas l'année.Les pro-Bouteflika temporisent. Dans un sourire, l'un des financiers de la campagne lâche : «Hamiani ' On lui a juste demandé d'être plus discret. Vous n'allez plus beaucoup l'entendre.» La consigne est manifestement mal passée. Dix jours plus tard, il reprend la parole. Une session de rattrapage pour celui qui sent le vent tourner. Haddad, Rebrab, Sellal ? Le ton est beaucoup moins critique. Les réponses plus mesurées. Cela ne suffira pas. En haut lieu, son sort est scellé depuis longtemps. Réda Hamiani est d'autant plus facile à écarter que le patronat se réorganise en coulisses autour de la Chambre algérienne de commerce et d'industrie. Une CACI promise à un Laïd Ben Amor moins clivant. Seul candidat au poste, assuré d'être élu président, le PDG du groupe Benamor mène pourtant une campagne tambour battant. Certains y voient le signe du démantèlement, à terme, du FCE. «Hamiani : bon économiste, mauvais politique», tranche un observateur.C'est nier le chemin parcouru par celui qui, à 26 ans, enseigne déjà à la faculté de droit d'Alger. Trois ans plus tard, le jeune Réda se lance dans le textile avec son frère Abderrahmane. Les deux garçons n'iront pas chercher loin le nom de leur entreprise. Redman est la contraction de leurs prénoms. Au fil des ans, le groupe se diversifie. Se lance dans l'import de boissons. Produit des briques et des peintures. Les affaires sont florissantes. Chez les Hamiani, le business coule dans les veines. A telle enseigne que la s?ur Soraya, aux manettes de l'hôtel Hilton d'Alger, est élue femme d'affaires algérienne de l'année 2007 par le prestigieux Financial Times. Lequel la classe aussi parmi les 25 femmes chefs d'entreprise les plus influentes du monde arabe. 1992. La carrière de Réda fait un bond de géant. Le voilà propulsé ministre délégué en charge des PME. Il contribue à créer la Confédération algérienne du patronat? et la Chambre nationale de commerce, la CACI. A posteriori, quelle ironie.SantéEn 2006, Réda Hamiani s'empare de la présidence du FCE. Ses discours empruntent beaucoup à la social-démocratie. Dans une économie algérienne administrée, il est perçu comme un libéral. En réalité, il n'est ni l'un ni l'autre. Crise du foncier ' Hamiani propose de confier les opérations au privé. Difficultés à lever des fonds ' Il suggère de revitaliser la Bourse d'Alger en y introduisant les entreprises publiques. Poids écrasant de la bureaucratie ' Le même esquisse une Perestroïka à la sauce 2014 pour lever les freins à l'investissement. L'homme parle librement de la fin de la rente à l'horizon 2025.Regrette que l'Algérie n'ait pas de fonds souverains «comme le Qatar». Dans le même temps, il plaide pour un small business act algérien. Pas dogmatique pour un sou. Lui se définit comme un pragmatique. «Peu importe que l'entreprise soit privée ou publique tant qu'elle est efficace», déclarait-il à la mi-mai. A l'époque, il se voyait quitter le FCE en décembre 2015. «C'est dans l'ordre des choses, disait-il. On est en train de voir toute une génération arriver.» Eloge du rajeunissement et de la diversité. Réda Hamiani envisageait que le président soit une présidente. «Ce n'est pas pour autant que je quitterai le Forum, prévenait-il, mais je n'en serai plus le président opérationnel.»Il évoque aujourd'hui des raisons personnelles pour expliquer son départ anticipé. Loue les «vertus de l'alternance», un élément de langage repris par ceux qui, depuis des mois, jurent d'avoir sa tête. Réda Hamiani avance aussi la nécessité de réorganiser ses priorités. De s'occuper un peu plus de ses affaires. De sa famille. De ménager sa santé, face à une fonction devenue trop lourde. Il y a des années, il avait été admis à l'hôpital du Val-de-Grâce, à Paris.L'opération, difficile, laisse quelques séquelles : plus de nerf auditif côté droit, une seule corde vocale ? d'où ce timbre de voix si reconnaissable ?, un unique poumon, un rein. Dès lors, les qualificatifs se bousculent : miraculé, survivant, combattant? Une chose est sûre : Réda Hamiani, 70 ans, mesure plus que tout autre à quel point la santé est un précieux capital. Bien plus que le pouvoir, qu'il soit économique ou politique. Le 25 mai dernier, notre photographe s'éclipse avant la fin de l'entretien. Celui qui est encore président du FCE le retient : «Dites-moi, je peux vous poser une question ' Des fois, les journalistes me montrent en photo avec des cernes sous les yeux, le teint pâle? Et des fois j'ai l'air d'un jeune premier, avec une coupe moderne. C'est quoi ces différences '» Il éclate de rire, en attendant une réponse qui ne vient pas. Puis ajoute : «Des fois, quand je me vois, je me dis que ce n'est pas possible, que je suis à l'article de la mort.» Une hyperbole, bien sûr.


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