Pour fuir le tumulte de la ville, sa pollution et oxygéner son cœur, rien n’est mieux indiqué que de vadrouiller à travers la garrigue méditerranéenne. C’est un bol d’air profitable au corps et à l’esprit. C’est véritablement un moment privilégié pour se mettre à l’écoute de la nature.
Histoire de ne pas vivre idiot ! A nous l’aventure ! Mais au lieu des surprises « attendues », voilà que la fin de l’automne 2006 nous réserve le choc du siècle ! Dame Nature nous exhibe les effets du réchauffement climatique : refleurissement, floraison très tardive et prolongation excessive de la période végétative. Ces signes du dérèglement des rythmes de croissance et de développement des plantes sont là. Le réchauffement de la planète et ses répercussions dramatiques possibles sur les espèces ne sont pas de la littérature-fiction ! Les conséquences des gaz à effet de serre sont une réalité. Ils constituent une vraie épée de Damoclès qui menace l’homme. On comprend mieux pourquoi, devant la gravité du danger, G. W. Bush se prépare à fuir sur la lune ! Sous la férule de l’inénarrable Dr Tafer, enseignant au département d’agronomie de l’université de Mostaganem et randonneur invétéré, je me suis retrouvé, le jeudi 7 décembre, à faire le maquis mostaganémois et à essuyer de vivifiantes bourrasques marines, sur les hauteurs de l’embouchure de l’Oued Chélif. L’aventure commença pour nous dès l’escalade de la pente, bien raide, du chemin du vicinal conduisant au sanctuaire dédié au saint local, Sidi Abdallah. Le mausolée édifié dans les parages immédiats d’un hameau déserté et en ruine contraste par la blancheur de ces murs et le vert paisible de ses boiseries avec la désolation qui l’assiège. On comprend vite, à la fraîcheur de la peinture et à la propreté des lieux, que le vénérable homme n’est pas complètement abandonné dans ce mausolée, érigé sur un promontoire. Un instant, l’idée qu’il doit se complaire d’un tel site, si haut perché, s’est saisi de mon esprit vagabond. Il doit, me suis-je dit, jouir de cette vue impayable sur la mer et d’une certaine proximité du ciel en compagnie de quelques locataires d’un cimetière mitoyen, émouvant d’humilité. Les tombes se signalent sobrement par un modeste monticule, une sorte de pudding fait d’une terre marneuse incrustée de gros graviers. Deux gros cailloux bruts et oblongs sont redressés pour servir de pierres tombales. Ce cimetière dit tout des hommes et des femmes qui y sont enterrés. Ils naquirent pauvres, vécurent pauvres et moururent pauvres. Après une courte visite à l’intérieur du mausolée, quelques pensées compatissantes pour le figuier pris impitoyablement en tenailles entre les vents marins et le béton de la petite cour et quelques commentaires sur le fétichisme des rites locaux, nous nous sommes remis à crapahuter à travers la garrigue méditerranéenne. Nous avions quitté le lieu, intrigués par la reproduction d’une peinture médiocre. Elle représente un homme en tenue d’apparat, se tenant debout et arborant fièrement une moustache dont les extrémités pointent vers le haut. Il paraît presque toiser l’observateur. Un lion au regard doucereux se tient assis à ses pieds. On devine, dans les yeux du félin, toute l’obéissance qu’il voue au personnage. Autrement dit, le fauve, dompté, a l’air d’être reconnaissant ! La calligraphie d’une prière sanctifiant le mystère de ce dignitaire semble indiquer qu’il s’agit d’un imam tout droit surgi de l’iconographie chiite. D’où, l’incongruité de ce tableau bien défraîchie trônant sur le tombeau de ce saint sur une terre absolument sunnite. Notre étonnement à propos des pratiques cultuelles va subrepticement se muer en inquiétude existentielle au fur et à mesure que nous progressions le long d’une ligne de crête menant vers le village de Boudinar. Les touffes éparses de sarriette discrètement mais tendrement fleuries nous ont fait nous pincer avant d’admettre que nous martyrisions nos mollets par le premier jeudi de décembre 2006. Quelques pieds de globulaire (tasselgha) portant encore des fleurs exploitent les deux semaines qui les séparent du solstice d’hiver pour le narguer ! Le pistachier lentisque (edhrou) garni de petites drupes encore rouge clair et le chêne kermess avec des glands bien verts jouent les prolongations en achevant péniblement la maturation des fruits d’une floraison décidément très étalée. Seul le câprier (el kabbar), reconnaissable par les rares feuilles presque rondes, légèrement cordiformes et d’un joli vert jade, qui persistent sur ses ramifications dénudées, ne s’est pas complètement fait avoir par la douceur d’un automne indélicat. Peut-être même perfide ! En attisant l’obsession des plantes à se reproduire, il leur fait prendre un risque qui pourrait leur être fatal. Partout où nous posions notre regard, nous étions obligés de nous rendre à l’évidence : la flore s’embrouille. Plus pour nous remettre de toutes nos émotions que pour apaiser une petite fringale, nous nous sommes agréablement installés dans une pinède à quelques encablures du village de Boudinar. Sitôt le café bu, nous nous remîmes à parcourir la piste forestière sommairement élargie. L’engin utilisé, probablement une niveleuse, a plus défoncé l’ancienne voie que n’a ouvert une nouvelle. Nous devions choisir l’itinéraire par lequel nous devions dévaler la montagne sans se ramasser et en évitant la partie la plus périlleuse du talweg qui s’est mis de travers comme pour nous compliquer l’exercice. Si la fougue de l’érosion hydrique qui l’a creusé n’est pas jugulée. C’est l’existence des gens ici qui sera menacée. Eparpillées entre un hameau et quelques habitations isolées, les populations sont maintenues accrochées à la montagne par un point d’eau. Sur l’ouvrage de captage de l’eau, nous déchiffrons l’inscription inaugurale de cette source « Aïn Kedima 1928 » (la vieille source). L’eau servie avec parcimonie par la montagne est stockée dans un bassin sous une voûte en maçonnerie enterrée et protégée par une porte en fer cadenassée. Tafer n’arrêtait pas de maugréer contre l’absence de toute consolidation de la piste que nous arpentions. Sa confection dénotait un amateurisme certain et exprimait le goût du travail expéditif que personne ne contrôlera ni évaluera. Résultat, beaucoup d’argent et un zeste de sueur pour accentuer la vulnérabilité de ces zones déjà susceptibles vis-à-vis de l’érosion. Nous avions fini par repérer sur un flanc en contrebas une nappe de lavande (lakhzatna) en fleur qui cachait un jeune reboisement de pin d’Alep. Hamed, notre troisième compère, se rappela que sa femme lui en avait demandé. Quant à moi, l’heureuse nuance de cette couleur entre bleu et mauve évoqua pour moi la douceur du regard de ma fille Hanane. Je décide de lui en cueillir un bouquet. Malgré les agréables pensées qui inondaient mon cœur à l’idée d’offrir un bouquet de fleurs de lavande en décembre à ma fille, j’ai replongé dans l’angoissante réflexion sur l’exceptionnelle douceur de cet automne. Une floraison si abondante et si tardive d’une plante plutôt estivale est bien la preuve que la flore locale ne reste pas de glace devant le réchauffement de la planète. Cela me donna l’occasion de pester contre l’irresponsabilité de Bush. Son refus d’adhérer au protocole de Kyoto pour réduire l’émission industrielle de C02, principal gaz à effet de serre, est incroyablement stupide. La sécheresse et le réchauffement qui en résultent ont pour conséquence directe le refleurissement de certains végétaux et la prolongation de la période de végétation d’autres. Ces dérèglements des rythmes de croissance et de développement des plantes peuvent à terme compromettre leur présence sur des territoires où elles ont mis des milliers d’années pour développer des mécanismes d’adaptation aux climats qui y sévissent. Deux universitaires américains, Camille Patersan et Gary Hobe, ayant compilé les modifications de territoire de 99 espèces d’oiseaux, de papillons et d’herbes alpines aboutissent à un résultat alarmant. Ils évaluent le déplacement décennal des espèces à 6,1 km vers les pôles et à 6,1 m en altitude. (1) Les travaux des climatologues Elena Xoplaki et Juerg Luterbacher, chercheurs à l’université de Berne (Suisse), mettent en exergue l’exceptionnelle douceur de l’automne 2006 qui apparaît être comme « le plus chaud depuis 500 ans, plus encore que les plus chauds que nous obtenons dans nos séries, en particulier ceux de 1772 et de 1938 ». Elena Xoplaki précise qu’« au cours du dernier demi-millénaire, la décennie d’automnes les plus chauds est celle qui s’écoule de 1997 à 2006 ».(2)Ces faits donnent froid dans le dos. Les arguments qui confortent l’idée que nous avons affaire à une tendance lourde vers un réchauffement dévastateur sont nombreux. Les dégâts que le réchauffement pourrait faire subir à la faune et à la flore menacent la présence même de l’homme sur certaines contrées de la planète. L’idiot de Bush est suffisamment stupide pour s’entêter à nuire à la planète. Il est résolu à préserver le confort des Américains même s’il doit pour cela saborder l’arche dans laquelle ses concitoyens sont embarqués avec le reste de l’humanité. Entend-il illustrer, jusqu’au bout, la pertinente observation de l’écrivain anglais Aldous Huxley (1894-1963) ? « Le fait que les hommes tirent peu profit des leçons de l’histoire est la leçon la plus importante que l’histoire nous enseigne ? » Malgré toutes les raisons qui incitent au pessimisme, l’espérance que les bonnes prédispositions envers la planète finissent par l’emporter doit être entretenue. Beaucoup de consciences se réveillent et des bonnes volontés émergent. Partout dans le monde, des hommes et des femmes se mobilisent pour montrer la voie. Ce mouvement pour sauvegarder notre aptitude à s’émerveiller et à satisfaire notre exigence d’authenticité est incarné par des hommes, notamment américains, tel qu’Al Gore. Cependant, sans céder au catastrophisme ou à un quelconque malthusianisme, la sauce écologiste, il va falloir s’armer de patience plutôt que de s’accrocher à l’idée utopique de voir l’Administration américaine actuelle faire preuve de bon sens pour donner le bon exemple. Le locataire du bureau ovale à la Maison-Blanche finira comme il a commencé, c’est-à-dire niais ! Stupide, il veut sauver le monde en mettant la planète en péril. Un peu comme il a précipité l’Irak dans le malheur en voulant y combattre le mal, il se fait le chantre de la liberté dans le monde qu’il défend en emmurant les Palestiniens dans leur propre patrie ! Avec de gros mensonges et de vilains dénis de justice, il tisse ses rets pour contenir la fougue des peuples musulmans. Il leur enseigne sa démocratie dans ces lieux de sinistre mémoire que sont Guantanamo et Abou Ghraïb. La capacité de nuisance des Américains est grande ; Bush en abuse. La preuve par les espèces est aujourd’hui faite. Aucune d’elles n’a vraiment échappé à leurs méfaits. Malgré cela, la confiance dans le génie humain, notamment américain, constitue véritablement un puissant moteur pour inverser la spirale infernale. L’humanité saura, Inchallah, éviter le chaos en dépit de l’égocentrisme et l’irresponsabilité de Bush et de ses acolytes de tous bords. Quant à nous autres Algériens, avant de vouloir déplacer les montagnes, nous ferons mieux de suivre la sagesse confirmée de Confucius en commençant à déplacer les petites pierres, pour juguler l’érosion des sols au lieu de l’aggraver par des travaux trop approximatifs. Cela aura au moins le mérite d’arrêter les vociférations de Tafer contre l’office des forêts. Il m’écoutera alors quand je peste contre l’arrogance et la fatuité de tous les Bush de la terre. Sur le point de conclure ce compte rendu de randonnée, je regarde furtivement le bouquet cueilli, les lavandes se sont un tantinet ternies. Mon Dieu, les fleurs sont-elles aussi périssables ? Les belles choses ont-elles aussi une finitude ? Je persiste et signe, l’éclat d’une fleur est un miracle éternel ! Dieu vivant qui l’a suscité y veille !
Références
 1. Frédéric Lewino, Le Point 12 décembre 2003 n°1630.2.
 2. Stéphane Foucart, Le Monde du 8 décembre 2006
Posté Le : 28/12/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : Dr Mokhbi Abdelouahab
Source : www.elwatan.com