Algérie

Randonnée



Randonnée
Il va encore s'en donner à c'ur joie aujourd'hui. Cela fait un peu plus de vingt ans que Miloud en fait une douce passion : faire le tour des bureaux de vote le jour des élections. Une occupation comme une autre dans une ville ou l'ennui est mortellement mortel ' C'est possible mais ce n'est pas sûr. En tout cas pas seulement.Avouons quand même qu'elle est singulière, la randonnée, surtout quand on sait avec quelle minutie et quel enthousiasme elle est exécutée.Miloud y met du c'ur, il n'y a rien à dire, il s'y prépare même avec beaucoup d'entrain. Pas question d'y aller au petit bonheur la chance, au gré de son inspiration du moment et selon l'ambiance de la rue.Miloud ne se fait pas guider, c'est lui qui donne le tempo et détermine l'itinéraire de sa «tournée des grands ducs», comme il aime à qualifier sa randonnée électorale quand il a le c'ur à la plaisanterie.Qu'on ne s'y méprenne pas, Miloud «travaille» sérieusement sa journée, en dépit de la naturelle nonchalance que pourrait suggérer une telle entreprise. Une habitude de fou 'Personne n'ose le dire dans son entourage parce qu'on connaît trop son sérieux et sa lucidité habituels, mais on se pose quand même la question s'il n'y a pas quelque chose de fêlé dans sa tête pour aller faire le tour des centres de vote avec autant de régularité.On ne le dit jamais assez mais la question se pose chez ses proches, d'autant plus que Miloud a depuis longtemps tenu à leur faire la «précision utile» : il n'a aucune mission dans l'affaire. Il n'est ni policier, ni fonctionnaire, ni superviseur d'une quelconque partie politique. Il «roule» pour lui-même.Seulement «comme ça». Un drôle de caprice ' Peut-être, ça ne le dérange pas. Au cours de ses pérégrinations urbaines le jour du vote, Miloud a vu des choses.Il a vu des bureaux de vote où des électeurs piquaient des crises de nerfs parce qu'ils n'ont pas trouvé leur nom sur la liste.Il a vu des escarmouches entre adversaires politiques, chacun accusant l'autre de ne pas jouer franc jeu. Il a vu des personnes à la mine douteuse sur les lieux.Il a vu des bureaux désespérément vides le matin avant de connaître une ruée miraculeuse juste avant la fermeture. Il a vu des bureaux vides toute la journée avant d'apprendre que tous ceux qui y sont inscrits ont quand même voté.Il a même vu des bureaux où on a réellement voté. Il a aussi vu des gens arriver dans les bureaux de vote avec l'emblème national autour du cou, comme on porte l'écharpe de son club pour aller au stade. Il a vu des gens venir sur les lieux du vote pour dire haut et fort qu'ils ne vont pas voter.Parce que les dés sont pipés, parce que «le peuple ne veut pas» d'élection, parce que les élus ne servent à rien, parce que tous les candidats sont pourris ou parce qu'il n'y a plus d'espoir.Après plus de vingt ans de randonnée dans les bureaux de vote, Miloud a vu énormément de choses. Mais c'est seulement la deuxième fois qu'il a sérieusement peur. Une fois il y a très longtemps et aujourd'hui.Slimane Laouari




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