Algérie

Ramadhan



Ramadhan
Les transformations sociales observées durant le Ramadhan ne sont pas sans impact sur l'activité dans plusieurs secteurs. Ces effets sont observés chaque année durant cette période propice à la surconsommation et au gaspillage chez bon nombre d'Algériens. Au même titre que la société, l'économie se met à l'heure du jeûne.Elle se replie dans certains cas en enregistrant une faible productivité et elle tire largement profit de ce mois dans d'autres cas. D'un côté, il y a l'administration et le secteur public qui pâtissent des effets du comportement des jeûneurs (nervosité, laisser-aller?). De l'autre, les services, le commerce, l'industrie agroalimentaire et globalement tout ce qui a trait à la consommation explosent au cours de cette période de l'année.En résumé, pour la première catégorie, c'est le mois du laisser-aller et des reports des dossiers importants et pour la seconde, pas de place au répit. Autant de changements à étudier pour pouvoir cerner clairement l'impact du Ramadhan sur l'économie. Or, pour l'heure, on ne note pas de travaux consacrés à ce sujet, que ce soit de la part du privé ou des pouvoirs publics. A l'université, à l'exception de quelques recherches sur la consommation des Algériens pendant cette période de l'année, on ne note pas de résultats de recherche sur ce sujet. «C'est l'Etat qui commande les études.Mais, il ne l'a pas fait pour ce dossier tout simplement parce qu'il va démontrer qu'il paye les gens au cours de cette période pour ne rien faire», nous dira à ce sujet le sociologue Madani Safar Zeitoun. Ce qui rend difficile l'évaluation de l'impact du Ramadhan sur l'économie et même sur la société. Mohamed Saïb Musette, directeur de recherches au Centre de recherches en économie appliquée au développement (Cread) l'a également souligné à notre confrère El Moudjahid début juin, plaidant pour la mise en place d'un laboratoire de recherche sur les comportements sociaux et économiques durant le Ramadhan.Pour mesurer la productivité, l'expert financier, Mohamed Gharnouat propose pour sa part le calcul de l'indice de production mensuel. «Toujours est-il, on peut estimer la production du Ramadhan en comparant les indices de production du dernier trimestre avec celui qui contient le mois de Ramadhan», ce qui n'a jamais été fait. Si en Algérie les données font défaut, à une échelle plus large, des études menées notamment par l'Institut du Monde arabe ont confirmé en 2009 que les Arabes sont très peu productifs pendant le Ramadhan, évaluant la baisse de la productivité à plus de 73%.Une autre étude portant sur les six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) conduite par des consultants saoudiens en collaboration avec une société basée à New York a conclu que «la réduction de deux heures/jour de la durée du travail est l'équivalent d'une semaine de production». La perte du PIB dans les pays qui réduisent la durée du travail de deux heures se traduit par une perte de productivité de 7,7% pendant un mois. D'autres sources avancent des pertes de 10 à 50% selon le secteur d'activité. «Je prendrai les 10%, car presque toute l'économie nationale est entre les mains du privé et ce dernier travaille.De leur côté, les entreprises publiques ne travaillent pas mais ne représentent que moins de 1% du PIB, donc rien», nous rappellera à ce sujet Mohamed Gharnouat. Par ailleurs, un sondage réalisé en 2014 par la société de recrutement Bayt.com, dans plusieurs pays arabes et musulmans, a fait ressortir que 81% des personnes estiment que la productivité globale est «légèrement» en baisse. Dans cette même étude, 80% des personnes sondées estimaient, paradoxalement, que le jeûne n'impactait pas négativement leur performance au travail.Absence de donnéesMais globalement, il est clair que les chiffres diffèrent d'une source à une autre. Il serait donc plus intéressant d'enquêter sur la question au niveau national comme le suggèrent nos experts. Et ce, d'autant que les habitudes diffèrent d'un pays à un autre. Idem pour la situation économique. «Cela doit changer. Il faut avoir des données claires à ce sujet pour prendre les mesures qu'il faut.Et ce, d'autant que la situation du pays ne permet pas un tel laisser-aller. Il y va de la survie du pays», notera à ce sujet Madani Safar Zitoun, qui insiste sur la nécessité de rétablir la valeur du travail pas uniquement pendant le Ramadhan. Une période où le ralentissement de l'activité administrative se fait beaucoup plus ressentir.Contrairement à ceux qui travaillent sur les chantiers en équipe, dont le volume horaire du travail ne subit pas de changement au niveau de l'administration et des directions centrales des entreprises, les horaires sont périodiquement aménagés en fonction de la saison qui coïncide avec le Ramadhan (actuellement de 9h à 16h au lieu de 8h à 16h habituellement, soit une heure de moins), dans les faits, les heures de travail sont raccourcies selon les témoignages recueillis.«Je suis au bureau de 9h à 13h30. Juste le temps d'arriver à la maison pour cuisiner», nous confiera Safia, cadre financier dans une entreprise économique publique, avant de poursuivre : «C'est le cas de toutes les femmes qui travaillent avec moi.» Ce qui fait deux heures et demie de moins par rapport aux horaires fixés par la Fonction publique.«Il m'arrive même de ne pas me déplacer au bureau. Comme je travaille souvent sur le terrain, mes absences ne se font pas remarquer», nous racontera une autre mère de famille exerçant dans une grande entreprise publique. Qu'en est-il des salariés (hommes) ' Pour les femmes, le souci c'est la popote, alors que pour les hommes, les heures de travail sont consommés autrement : dans les descentes au marché et dans les achats de friandises, viennoiseries et pains fortement consommés durant cette période. Tout cela avec la complicité de l'administration, qui ferme les yeux sur de tels comportements. Parfois, ce sont même les chauffeurs qui sont chargés de faire les courses pour les responsables.«Il n'y a qu'à voir les marées humaines qui se déversent sur les marchés pour s'approvisionner en produits alimentaires à partir de midi pour constater que les Algériens coupent avec le travail durant ce mois», fera remarquer une salarié de la Fonction publique. Mais pour notre sociologique, la relation des Algériens au travail n'est déjà pas au beau fixe toute l'année.«C'est une habitude algérienne de ne pas travailler pendant le Ramadhan. Ce sont des choses assez complexes. Notre société et notre économie déjà en temps normal ne donnent pas d'importance au travail, surtout dans le secteur public, alors que chez le privé, c'est différent. Les patrons sont obligés de rentabiliser leur argent», nous dira Madani Safar Zeitoun. Une manière de rappeler qu'il n'y a pas de place au laxisme à ce niveau.InformelLa moindre erreur risque de faire perdre à son auteur son emploi, même si être sur place, à l'usine, ou au bureau ne signifie pas forcément être rentable. Le plus important est de percevoir son salaire intact à la fin du mois, comme nous l'ont souligné les salariés du privé approchés à cet effet. D'ailleurs, Madani Safar Zitoun nous dira: «C'est plutôt l'argent qui a une valeur centrale». L'ampleur que prend l'informel au cours de cette période le démontre clairement. Tout comme le changement d'activité opéré par de nombreux commerçants même si la loi est claire à cet effet (selon la loi n° 04.02 du 23 juin 2004 fixant les règles applicables aux pratiques commerciales, le changement d'activité commerciale temporaire est passible de peine). Ce qui n'empêche pas les infractions à cette loi.A Alger-Centre par exemple, un jeune venu de Blida a pris place dans un magasin de textile pour vendre la zlabia de Boufarik fortement prisées par les Algérois. «Les activités informelles trouvent un terrain fantastique pendant le Ramadhan», dira-t-il encore. Les points de vente de confiserie orientale, de fruits, de légumes, l'exposition des produits alimentaires sur les trottoirs et bien d'autres indices le montrent d'ailleurs, que ce soit dans les zones urbaines ou rurales.La frénésie de la consommation qui s'empare des Algériens ouvre grande la porte à ceux qui profitent de la moindre occasion pour s'enrichir, arrondir ses fins de mois ou bien carrément se faire un peu d'argent de quoi faire face aux dépenses. Il y a même des employés qui vendent des diouls et de ktayefs au sein même de leur lieu de travail. «Chaque année, je confectionne des diouls que je donne à mon mari pour les vendre à ses collègues. Ce qui nous assure un rentrée d'argent supplémentaire», nous raconte une mère de famille.Activités rentablesEn dehors de ces petites affaires, il y a d'autres activités encore plus rentables : les services et le commerce notamment. Les supérettes, les hypermarchés et les quelques centres commerciaux que compte le pays ne désemplissent pas. Si les matinées sont généralement calmes plutôt moroses, les après-midis grouillent de monde et les différents points de vente de produits alimentaires sont pris d'assaut.«Je travaille énormément pendant le Ramadhan, surtout à l'approche de l'Aïd. Nous n'avons pas le temps de souffler avec les commandes qui s'enchaînent», nous confiera un artisan pâtissier à Alger-Centre. Même constat chez les boulangeries. Avec une moyenne de quatre millions de baguettes consommées pendant le Ramadhan et 120 millions d'unités gaspillées, les boulangers ont du travail sur la planche pendant ce mois. Ce qui leur permet d'augmenter fortement leur gain. Les résultats sont d'ailleurs au top. C'est le cas aussi pour la grande distribution, où le travail commence bien avant l'arrivée de ce mois.La grande distribution en mode accéléré«La période post-Ramadhan est la plus importante en matière de chiffre d'affaires et de consommation», reconnaît Redouane Dahmane, chargé de communication de l'hypermarché Ardis, dont les responsables se préparent bien pour cette période. «Nous avons mis en place une thématique afin de préparer ce mois avec une mise en avant de produits de l'épicerie, ou pour les préparations culinaires, comme les cocottes, poêles, ustensiles de cuisine, la verrerie, etc. Aussi, nous avons mis en avant certains produits d'aide à la cuisine en électroménager, tels que les robots multifonctions, friteuses, bras mixeurs, congélateurs, etc.», ajoutera-t-il.Ce qui s'est soldé par une augmentation du chiffre d'affaires de près de 100% pendant la dernière semaine de chaâbane par rapport aux autres journées de l'année. «La consommation revient à son seuil normal avec une augmentation de 10% par rapport aux autres jours pendant le Ramadhan», détaillera encore le représentant d'Ardis qui lancera en juillet prochain son hypermarché à l'ouest du pays, précisément à Oran.Qu'en est-il du nombre de visiteurs ' «Côté hypermarché, nous avons reçu pour la dernière semaine de chaâbane près de 70 000 clients (visiteurs transformés en clients) pour un nombre total de 160 000 visiteurs. Pendant le Ramadhan, le nombre de clients a repris son cours normal, c'est-à-dire soit 7000 clients /jour», répondra-t-il. Même constat au centre commercial de Bab Ezzouar et chez Carrefour où l'affluence est de plus en plus importante ces derniers jours. Une situation expliquée par les achats de l'Aïd.Si durant les matinées, ce sont les rayons dédiés aux produits alimentaires qui sont submergés, pendant les soirées ramadanesques, le tour revient aux boutiques d'habillement pour enfants. Dès que les premières cuillères de chorba ingurgitées pour certains et après les prières de tawarih pour d'autres, place aux sorties familiales pour l'achat des vêtements. Les horaires appliqués le permettent (de 21h à 2h pendant la semaine et de 21h à 3h les week-ends).Pour faire face à cette affluence, les commerçants ont recours aux travailleurs occasionnels. «Je travaille depuis le début de Ramadhan. L'augmentation des potentiels acheteurs m'a permis de trouver ce petit job», témoigne Hichem, jeune étudiant qui travaille actuellement dans une boutique de chaussures importés à Alger-Centre en pleine rue Larbi Ben M'hidi.Le boom de la pubL'organisation de galas, de concerts et autres événements artistiques est l'autre activité qui rapporte pendant ce mois. Les boîtes événementielles ne ratent d'ailleurs pas l'occasion pas seulement dans ce cadre mais aussi dans les campagnes de publicité. L'autre créneau par excellence à ne pas rater pendant le mois sacré.Les annonceurs misent en effet gros sur le Ramadhan pour augmenter leurs ventes, alors que les agences de publicité réalisent de gros bénéficies, surtout que les Algériens sont accros à la télé au moment du f'tour et durant les soirées. C'est le créneau horaire choisi pour promouvoir les différentes marques de produits alimentaires.Même dans les séries télévisées, l'occasion est saisie pour faire passer le message. Cela pour dire que le Ramadhan est une aubaine pour l'industrie agroalimentaire. C'est d'ailleurs durant cette période que les nouveaux produits sont lancés via de larges campagnes de publicité à coups de milliards. Les chaînes de télévision privées en tirent largement profit au moment ou ça tourne au ralenti ailleurs.


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