La réalisatrice au Festival de la Mostra à Venise
La réalisatrice a choisi la sobriété du décor pour nous faire ressentir du dedans le drame qui se noue sous nos yeux.
«Un film à 95% algérien» a tenu à faire remarquer, hier matin, à la salle Ibn Zeydoun, la réalisatrice du film Yema, Djamila Sahraoui entourée de ses deux jeunes acteurs dont pour l'un c'est la première apparition sur écran. Un jeune homme amputé d'une main, trait physique qui le servira admirablement dans le film- qui déchire et crève l'écran par tant de prestance, de naturel et de présence tout comme l'aura été cette comédienne débutante qu'est Djamila Sahraoui dans la peau de cette femme tragédienne jusqu'au bout des ongles. Nous sommes quelque part en Algérie, dans une bourgade reculée, une sorte de no man's land où pas âme qui vive. Seules subsistent une vieille femme, Yema alias Djamila Sahraoui, son fils, un gaillard un peu sauvage et un jeune gardien. Passent par là un jour des gendarmes vérifient leur identité et se demandent ce qu'ils peuvent bien faire ici. L'on comprend que leur présence dans ce hameau qui cache un lourd secret est bel et bien une folie.
Le film distille les informations à petites doses. L'ambiguïté règne en maîtresse de ces lieux arides. Les personnages sont rêches et peu bavards. La réalisatrice a choisi la sobriété du décor pour nous faire ressentir du dedans le drame qui se noue sous nos yeux. Epique est cette femme qui refuse de soigner son fils, après avoir été blessé par balle. Ce dernier aurait tué son frère, officier de police et kidnappé sa femme qui était amoureuse de lui. Mais parfois d'un tas de ruines peut naître la vie et éclore une brindille.
Si l'on ne saura qui meurt à la fin du film après avoir entendu une détonation d'un fusil, l'on sait qu'un des deux fils héritera d'un enfant, que la mère va élever plus tard, comme pour tracer le cycle de la vie. Que fait souvent, en effet, cette mère dans ce film si ce n'est semer des graines à l'infini pour voir refleurir le printemps. Cela ne se passe pas sans heurts au sein de la famille.. Comme Antigone bravant l'interdiction d'accomplir les rites funéraires pour son frère Polynice, Yema décide d'en faire pareil et d'enterrer, seule, son fils sans l'aide de personne et en l'absence du rite religieux qui sied aux morts mais elle n'oublie pas pour autant son quarantième jour... Yema est comme cet arbuste qu'on arrive difficilement à extraire du sol tant celui-ci est dur et l'arbre féroce et méchant. La première scène qui ouvre le film en témoigne de cette rudesse du tempérament et de la force de caractère de cette femme. Yema traîne le cadavre de son fils, le lave puis creuse la tombe vaillamment, interdisant à quiconque de l'approcher. Elle en fait presque un temple pour prier. La nature a horreur du vide, celle-ci se rebiffe parfois, et se calme après. Le vent, l'eau, la terre et le feu, les quatre éléments cardinaux de la vie constituent presque des personnages à part entière dans ce film. Il y a du souffle lyrique qui se dégage en filigrane de Yema, un long métrage puissant qui nous murmura à l'oreille un certain film de Terrence Malick, The trie of life, les effets spéciaux démesurément sophistiqués en moins, mais l'invocation mystique en plus. Dieu a-t-il déserté ce lieu' Les hommes oui, c'est sûr. «C'est vrai que le film est situé nulle part mais ça parle l'arabe algérien. On ne connaît pas l'époque, oui mais deux frères qui s'entretuent, on devine un peu quand. Je voulais cette dimension tragique à mon film comme au temps des tragédies antiques» confiera la réalisatrice. Minimaliste a été jusqu'au-boutisme dans le tournage de son film, puisque les décors intérieurs ont été éclairés à l'aide de bougies pour rendre palpable cette atmosphère de dureté et de chaleur et pour les décors extérieurs, l'équipe tournait très tôt le matin soit vers 3h pour traduire cette froideur spatiale et humaine.
Rien n'a été laissé au hasard même au niveau du son. Pas la moindre musique lancinante qui viendrait déranger la radicalité «quiète» de ces corps bambous ou taquiner nos cordes sensibles à coups de sensiblerie mièvre et d'émotion gratuite. Non rien de tout ça! Sauf la nature et sa vacuité enchanteresse qui est là rendue par petites touches maîtrisées, qui fait entendre par moments la caresse du vent sur le feuillage et des bribes de vol de mouches, en somme le temps qui passe et son poids de rumeurs effroyables et de légendes castratrices. La peur tapi dans l'ombre se planque dans le hors champ. Film radical est Yema car ne laisse aucune concession réconciliatrice à l'amour filial mais laisse deviner une grande guerre que se déclarent les hommes entre eux. Le bébé contre le Kalachnikov est une scène tendre et lourde de symbole sans trop d'artefact, juste ce qu'il faut pour mesurer l'importance de la vie quand tout s'effiloche et part en vrille ou en fumée. Pas le temps de s'appesantir aussi sur son passé. Yema brûle les affaires de son fils décédé. Sa fratrie déchue et éclatée, elle s'échine à faire cultiver son jardin comme une bonne femme courage qu'elle est.
Pas de mots, juste quelques larmes et un gros plan, pas si grand finalement, pour dire la faiblesse humaine ou sa lâcheté. Sa fatigue aussi. «Il s'agit de montrer à ce moment, là sans le dire» avoue Djamila Sahraoui «Le jardin fleurit, ses robes fleurissent. Elle est comme une fleur au milieu de ce jardin. Il y a dans des situations extrêmes ce quelque chose qui nous rattache à la vie. Mon rôle a été très difficile. Mais dans cette maigreur, ce physique, je me suis rendu compte que ce personnage me ressemble. En écrivant ce scénario, j'ai compris que ce serait moi...» a-t-elle conclu. Auréolé du Prix de la meilleure actrice au Festival de Namur en Belgique et le Prix du meilleur son au Festival de Moscou, l'on comprend enfin pourquoi..
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Posté Le : 15/11/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : O HIND
Source : www.lexpressiondz.com