Racines

«Une fois de plus, la démonstration était faite que toute intervention militaire extérieure porte en elle le germe de l'impérialisme.» Pierre MessmerLe comportement d'un responsable politique, homme public par excellence, n'est jamais gratuit, surtout quand cet animal politique est président de la République, c'est-à-dire un acteur qui a dû interpréter au cours de sa longue carrière de nombreux rôles, allant de la simple figuration intelligente jusqu'au rôle principal. C'est la raison pour laquelle, chaque mot, chaque geste exécuté en public doit être soigneusement étudié parce qu'il sera étudié et disséqué par tous les observateurs attentifs qui ne manqueront pas de deviner au travers d'une blague comme d'un geste symbolique les buts non déclarés explicitement par celui qui participe grandement aux importantes décisions politiques. Beaucoup ont interprété la blague lancée par Hollande lors d'un déjeuner au Crif comme un dérapage malheureux mais sans importance. Par contre, on ne manquera pas de reprocher à François Hollande son premier geste politique deux heures à peine après son entrée en fonction: un hommage appuyé à un grand homme politique qui, s'il est oublié des masses populaires, sa pensée continue d'exercer toujours une influence sur le fonctionnement de certaines institutions importantes. Il s'agit de Jules Ferry, personnage controversé de la IIIe République naissante. L'opinion des hommes politiques français reste assez partagée sur cet homme dont l'ambivalence est évidente: à droite on retiendra de lui un républicain opposé à la Commune de Paris, un anticlérical qui a fait de la laïcité le principal fondement de l'instruction publique en France. On le loue pour avoir ouvert les portes de l'enseignement secondaire aux femmes. La droite lui reprochera surtout d'être le principal partisan de l'expansion coloniale française, expansion basée sur des arguments racistes déclarés: «Messieurs, il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois également aborder (...): c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question. (...) Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu'en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (...) Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. (...) Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation.» Propos prononcés devant l'Assemblée française qui lui valurent une réponse musclée des représentants de la gauche qui voyaient en lui outre le «briseur de grèves», le «premier flic de France» mais aussi un raciste qui joua un rôle majeur dans la mise sous protectorat de la Tunisie et la colonisation de Madagascar et de l'Annam. L'hommage de Hollande est interprété par l'opinion africaine comme un «pied-de-nez à l'Afrique et aux Africains» la «première boulette du quinquennat hollandien». «Dans la balance, le racisme primaire de Jules Ferry», «farouche partisan de l'expansion coloniale de la France, qui a développé l'idée d'une hiérarchie des races», «a pesé moins lourd que l'action de ce dernier en faveur de l'école républicaine», «En Afrique, l'honneur fait par Hollande à un colonialiste aussi décomplexé que Jules Ferry a ramolli l'enthousiasme de ceux qui voyaient dans l'avènement du deuxième président socialiste (...) un début de démantèlement de la nébuleuse». Quand on apprend que la diplomatie française va installer de nouvelles bases militaires dans des pays africains dits «indépendants», on comprend mieux l'hommage de François Hollande au véritable fondateur de la «Françafrique» mais on peut se poser aussi la question: «Pour qui donc travaillent les organisations terroristes qui infestent les pays musulmans et qui reçoivent généreusement des subsides sous forme de rançons'».