"Je sais que je suis au bout du rouleau. Je n'ai pas peur de la mort, j'ai peur de l'oubli", disait-il quelques semaines avant de quitter ce bas monde. Rabah Saâdallah, le chercheur des "passés", est décédé des suites d’une longue maladie, il y a un an, le 28 août 2005, mais ses mémoires sont toujours là, vivaces et impérissables.
Rabah Saâdallah, la mémoire du sport, des arts et de la culture, est un personnage difficile à cerner. Il a su raconter l’histoire de presque tout le monde, mais il nous est resté une énigme depuis sa mort. C’est à travers de rares écrits, surtout le témoignage de ses enfants, que cet hommage a été possible. Feu Rabah Saâdallah, enfant de la Casbah d’Alger où il est né le 18 juin 1927, a eu un parcours de sportif accompli. Il était athlète spécialiste du sprint au sein de l’ASPTT d’Alger. En 1947, il obtiendra le titre de champion d’Alger du 400 mètres et sera vice-champion au challenge d’Oran. Il fera aussi connaissance avec le demi-fond (1500 m) où il aura de moins bonnes performances. Employé de banque jusqu'à sa retraite, feu Rabah Saâdallah avait deux passions : le sport et la musique chaâbie, deux mondes qu’il a tenus à honorer avec ses ouvrages. Dans son troisième monde, la presse, Ammi Rabah a été pigiste depuis l'indépendance dans plusieurs journaux, dont “El Moudjahid”, “Algérie Actualités”, l’ENTV et “Le Soir d’Algérie”, où il animait une page hebdomadaire (chaque jeudi) depuis son avènement en 1990. Le noble art avait une place de choix dans le cœur de Ammi Rabah. Chaque écrit, chaque vieille photo d’une ancienne figure du sport, de la musique et de l’art constituait une référence. Ses galeries sur la boxe et les boxeurs ont permis à beaucoup d'Algériens de connaître les champions algériens du noble art sous l'occupation. Les téléspectateurs l’ont découvert à travers ses innombrables documentaires racontant l’histoire des boxeurs, cyclistes, footballeurs, le Mouloudia surtout qui occupait un large espace dans ses récits. Ammi Rabah, qui traversait le pays du Nord au Sud et d’Est en Ouest, émerveillait ses auditeurs par son accent algérois et son écriture simple qui rappelaient aux nostalgiques de biens bons souvenirs. Son style provocateur envers les anciennes gloires faisait aussi son fort. Rappelons-nous notamment son entrevue avec Bob Omar qui avait subi un véritable “interrogatoire”. «Waâlach Khsert Maâh» (pourquoi tu as perdu) revenait dans toutes les discussions tant Ammi Rabah, “taquineur” des foules était passé maître du K.-O. Dans le milieu de la presse écrite et audiovisuelle, il était considéré comme la plume de fond, celle de l'actualité. Surtout une plume qui ravive le passé. Ses joies et ses souffrances. Malgré son âge avancé, Saâdallah ne manquait pas ses rendez-vous avec ses lecteurs du “Soir”. Chaque jeudi, il offrait une page, rarement moins (sauf quand la maladie commençait à le ronger), s’inquiétant souvent des “réactions” provoquées par ses reportages. La rivalité entre “doyens” (MCA et CSC) l’avait marquée. Les lecteurs de Constantine, des vieux et ceux qui l’étaient moins, lui reprochaient son penchant pour son Mouloudia. Feu Saâdallah leur brandit à chaque occasion les preuves fournies par… l’administration coloniale. C’est dire que le grand Monsieur ne parlait pas juste pour décrire un fait et n’écrivait pas pour amuser la galerie. Ses témoignages étaient étayés par des preuves collectées chez ceux qui ont fait l’histoire de l’Algérie. A plus de 70 ans, le chercheur des "passés" projetait, en dépit de la maladie, de parcourir le pays pour déterrer les victimes de l'amnésie décrétée par les intrus du sport et de l'art. Les oubliés du système, comme il aimait à les qualifier. Son recueil sur le chantre du chaâbi, le cardinal Hadj M’hamed El-Anka est une très belle mélodie, une qaçida. Pour l’anecdote, “petit Rabah” a fait quelques petits pas dans la musique. Au café maure géré par son frère aîné, rue de l’Amirauté, le défunt fréquentait tous les artistes en herbe de sa génération. Il fredonnait quelques morceaux des “Chouyoukh” du chaâbi et aimait aussi “tambouriner” au “Tar”. Le livre consacré à l’histoire de la glorieuse équipe du FLN est un chef-d’œuvre qui demeurera dans la mémoire collective. “Les annales du cyclisme” et “Boxe, les gloires du passé” sont également des ouvrages qui ont retenu l’attention. Son ultime acte d’écriture n’est pas allé à son terme. L’histoire du MCA, livre-histoire par excellence, a été bouclé mais n’a pu être édité vu les circonstances ayant précipité la disparition de Rabah Saâdallah. Sa publication, selon son fils Youssef Saâdallah, se fera dès le mois de septembre. Toute la vie du Doyen, telle que vécue par le défunt, y est racontée. Pour l'ensemble de sa carrière journalistique et à titre posthume, le défunt Rabah Saâdallah a également reçu l'Ordre du Mérite national olympique en octobre 2004. C’était lors d’une soirée organisée au Palais de la culture. Sa dernière apparition publique. En août 1961, Rabah Saâdallah est victime d’un attentat, rue Rovigo (Casbah), où deux balles assassines sont tirées par les hordes de l’OAS. Elles passeront à juste deux centimètres de son cœur. Un cœur grand, un cœur gros. Rabah Saâdallah est parti et a laissé son œuvre. Qu’ont fait les autres ? Repose en paix Aâmi Rabah.
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Posté Le : 26/05/2011
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Mohamed Bouchama
Source : sebbar.kazeo.com