Algérie

Quinze jours de campagne pour la réconciliation


Le flou persiste Le chef de l?Etat, Abdelaziz Bouteflika, propose dans ses discours de campagne référendaire sa propre lecture historique de la crise algérienne. Le 25 août dernier, Bouteflika avait, à partir de Sétif, résumé le conflit en confrontation entre « théocrates » et « laïques ». Lui se dit partisan ni des uns ni des autres. « Que chacun se déclare fautif, ne me dites pas ??j?étais tranquille dans mon coin et on m?a attaqué?? et ne me dites pas ??la République était en danger et je l?ai défendue?? », a déclaré le Président dans son discours à Ouargla le 4 septembre dernier. Il a appelé à « ne pas philosopher » sur la matrice et les origines de la crise. « Le tueur et le tué sont en enfer. C?était une guerre civile entre musulmans, dont chacun comprenait l?Islam à sa manière. Dieu fera la part des choses entre le terroriste et la victime », a-t-il encore dit à Ouargla. Il ne s?agit même pas d?une optique camusienne, par laquelle Albert Camus ne partageait pas les camps de la guerre entre belligérants, mais plutôt entre bourreaux et victimes. L?idée d?une société qui a résisté au terrorisme semble caduque dans cette optique puisqu?il s?agirait, selon le chef de l?Etat, d?une « guerre civile entre musulmans ». Deux questions s?imposent : l?Etat peut-il garantir un statut aux victimes du terrorisme alors que le Président établit l?égalité post mortem entre « tueur et tué » ? Comment expliquer la contradiction entre cette vision et le « projet de charte » qui impute aux seuls dirigeants du FIS dissous la responsabilité de la « guerre civile » ? Le chef de l?Etat signifie-t-il, dans ses discours de campagne, son désaccord avec la lecture que fait le « projet de charte » ? Pourtant, Bouteflika a déclaré qu?il était l?unique auteur du texte proposé à référendum le 29 septembre. Autres indices de divergences au sommet : le Président affirme que le 29 septembre ne serait qu?une étape alors que son chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, jure qu?il s?agit du jour de la « dernière chance ». A travers cette relecture des événements par le président de la République, l?on constate qu?il ne condamne ni l?arrêt du processus électoral ni la réaction violente des islamistes. Bouteflika, en contradiction avec le principe de la continuité de l?Etat, semble opérer une rupture entre l?après et l?avant 1999, date de son élection, en s?en lavant les mains. Est-ce un hasard s?il rappelle à chaque meeting qu?il était, au pire moment de la crise, « à l?extérieur du pouvoir » ? C?est dans ce climat de flou que se déroule une campagne référendaire appuyée par les moyens de l?Etat, sous matraquage intense des médias étatiques, avec utilisation des enfants à des fins politiques lors des déplacements du chef de l?Etat à l?intérieur du pays et à travers les clips distillés par la télévision. On verra même des enfants accompagnant le chanteur Mazouni, avec la mention « victime de la tragédie nationale » imprimée sur leurs tee-shirts. « Il faut laisser l?Histoire aux historiens », a proclamé le chef de l?Etat depuis Ouargla. Pour imposer une politique de « réconciliation » en Argentine au début des années 1980 après la chute de la dictature du général Videla, les politiques ont adopté la « théorie des deux démons », qui attribuait la responsabilité de la violence aussi bien à l?armée qu?à la guérilla gauchiste. Le processus d?amnistie, lancé alors sous la pression des résidus de la junte, avait été empreint de la double rhétorique de la distribution des responsabilités et la sacralisation de « l?unité nationale » censée avoir préexisté à la violence, comme le souligne Sandrine Lefranc dans son ouvrage Politiques du pardon. En juin 2005, les lois d?amnistie imposées par les militaires, qui ont éludé les principes de vérité et de justice, ont été annulées par la justice argentine et les dossiers de la violence ont été rouverts devant les juridictions argentine, espagnole et française. Bouteflika a déclaré à Ouargla : « Le pardon est plus grand que le droit. » Une assertion qui inquiète aussi bien les victimes du terrorisme que les familles de disparus et l?ensemble d?une société qui risque d?oublier le sens de la justice et de la sanction, seul préalable au pardon et au travail de mémoire.
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