La méconnaissance
de l'intérêt de la psychanalyse et les résistances à sa pratique dans les pays
du Maghreb préoccupent depuis quelques années les spécialistes.
Les «prothèses»
proposées par la médecine traditionnelle aux dérives souvent dévastatrices sur
l'individu, empêcheraient l'émergence de la singularité à tel enseigne que le «
Nous » dépersonnalisant domine les relations sociales. On remarque que le
groupe s'identifie plus facilement aux valeurs religieuses ou ethniques et
beaucoup moins à celles qui fondent la citoyenneté dans la quête d'une
modernité dont il faut re-définir les contours. Les questions abordées par
Karima Lazali, dans un texte analytique intitulé « Guerre civile et position(s)
de l'étranger à partir de la pratique de la psychanalyse en Algérie », demeure
d'une actualité qui mérite toute l'attention que doivent accorder les acteurs
sociaux, mais aussi politiques quant à la souffrance du sujet. Psychanalyste et
psychologue clinicienne vivant «entre» Paris et Alger, s'inscrivant dans une
pratique soignante qui privilégie l'écoute, cette ancienne lycéenne Algérienne,
sorbonienne plus tard et freudienne par choix, livre ses impressions en
s'interrogeant sur le retard pris par la psychanalyse, comme forme de soins au
Maghreb, aux côtés d'autres techniques pratiquées et développées par les
institutions soignantes. Se limiter à affirmer qu'il y a résistance au recours
à la psychanalyse, relèverait presque d'une évidence dont il faut décomposer
les causes, faute de passer à côté alors carrément outre des questions vitales
pour au moins comprendre mais surtout « s'avoir ».
L'un des arguments identifiés serait que le
patient maghrébin se débat pour s'extraire à cette confusion entre le religieux
et la religiosité, entre la langue d'usage et la langue d'échange, entre la
massification et l'individualité ou tout simplement entre la ressemblance et
surtout la différence.
Il est à rappeler que l'école psychiatrique
d'Alger fondée en 1918 par Porot qualifiait l'indigène d' «incrédule»,
d'«entêté» et de «passif». Il s'agissait des premières conclusions de la
psychiatrie coloniale qui faisait appel à des catégories d'analyse justifiant
l'occupation et la mission civilisatrice des conquêtes et des guerres. Guerre
et conquêtes où l'ennemi se distinguait tout de même par ses traits physiques
autant que par ses pratiques linguistiques et religieuses.
L'ennemi était donc clairement reconnu en
tant que tel et le rapport de domination tout aussi clairement exercé. Les
traumatismes nés de cette situation sont bien réels et trouvent en la pratique
psychanalytique des voies de sortie dont les bases essentielles avaient été
lancées par Frantz Fanon.
Mais la difficulté de s'en sortir plus tard
apparaît dès que l'ennemi ne peut plus être identifié dans une guerre, comme le
rappelle la fameuse tirade dans l'une des pièces de Slimane Benaïssa « nta
khouia ouana chkoune ? », « tu es mon frère, mais qui suis-je ? ». La confusion
est d'autant plus importante lorsque le courant introduit par Tobie Nathan
d'une catégorie d'analyse sous l'appellation d'ethnopsychiatrie permettrait de
traiter d'une manière « spéciale » des patients maghrébins selon une méthode
qui les adapterait au mythe de la « oumma islamya », argument culturel, qui
participe de l'effacement du sujet sans remédier à ses névroses et le poussant
à davantage dans les complications. Le « Je » étouffé par le nivellement
postindépendance en Algérie, passant d'un socialisme d'importation étrangère de
façade, à un islamisme tout aussi importé, a trouvé la voie du « Nous » comme
refuge, mais aussi comme lieu dans lequel se désagrège la personnalité. Or les
années 90 ont bien illustré cette désagrégation de l'individu en quête d'une
reconnaissance qui s'est traduite par une guerre de l' « entre-nous », durant
laquelle la terreur a dominé les rapports sociaux et l'effritement de la
relation gouvernant/gouverné.
La femme en a été la première victime parce
qu'elle constitue une menace pour la cohésion de la foule. Dépositaire sans
l'avoir choisi de la vertu et de l'honneur des hommes, la femme a été la
première cible des prédicateurs sous le couvert de la religiosité prise au sens
primitif. En contrepartie de quoi la promesse d'un idéal social n'a mené qu'à
la terreur dans un cycle qu'il faut bien appelé un jour « guerre civile » pour
restituer à la parole sa fonction première, qui est celle de nommer les
situations tout en permettant de les analyser, de les comprendre et d'agir.
Faute de quoi l'institution chargée de protéger les individus et leurs biens
demeurera confisquée à des fins de perpétuation d'une confusion qui arrange
bien les politiques et conforte la perversité de leurs discours.
La foule, la masse ou autres qualificatifs ne
peuvent qu'engendrer le meurtre de la parole et de l'expression multiple. C'est
ce à quoi nous assistons devant la surdité des gouvernants et leur mutisme dans
des situations qui se traduisent par l'exclusion, la harga et l'émeute, formes
de violence dévastatrice et suicidaires.
L'éclairage apporté par Karima Lazali au
cours de la conférence qu'elle a donnée au GRAS à Oran, ce Dimanche dernier
soulève d'autres questions hautement importantes sur le rôle et la pratique de
la psychanalyse au Maghreb et tout particulièrement en Algérie.
Il reste à trouver les voies et issues pour
s'en sortir d'autant que la psychanalyse offre un terrain de réflexion et de
questionnement autour de la citoyenneté comme préalable à la construction d'une
société, d'un pays, d'un Etat au sens des institutions. Le « qui est qui, »
proposé au débat de fonds, passe inévitablement par la re-définition des idées
reçues et des pratiques sociales qui les ont produites, en même temps qu'il
permet de situer la violence d'où qu'elle vienne en la plaçant dans des
catégories strictement identifiables.
La place des slogans placés à l'entrée des
bâtiments administratifs et qui glorifient la fraternité à la limite de
l'inceste symbolise bien le mensonge dès que l'institution est interpelée sur
sa fonction au service du citoyen. Quand une transcription du nom pose encore
un problème d'orthographe et qu'elle ne jouit plus une attention calligraphique
respectueuse des usages universels, que devient l'individu en dehors de la
foule et comment peut-il s'en détacher juste pour éviter le meurtre ou le
suicide collectif ? Pourtant comme le rappelle Lazali à propos de la réponse
d'une jeune patiente à laquelle elle annonçait la fin d'une séance de
psychanalyse « la séance et terminée…Mais la parole, elle…n'est pas finie » !
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Posté Le : 18/02/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed Saifi Benziane
Source : www.lequotidien-oran.com