«Aux Français, la
loi française; aux étrangers, la loi internationale; aux indigènes, la loi
militaire». Journal de Constantine, avril 1848
On a célébré avec
véhémence cette année les événements historiques du 20 août 55 et 56 jumelées,
comme il est devenu d'usage. Deux dates marquant de leurs empreintes
particulières des moments singuliers de la lutte des algériens pour leur
indépendance. Une démonstration de force de l'unité populaire dans l'adversité
et une rencontre au sommet qui allait sceller le mode de gouvernance prospectif
d'une nation qui s'apprêtait à renouer avec sa souveraineté spoliée et ouvrir
la voie à une véritable démocratie progressiste.
L'an 1956 est
aussi une date qui perpétue les divergences et les oppositions que nous
trainons jusqu'à l'heure faute d'une réconciliation globale et globalisante des
hommes et des esprits. Des rancÅ“urs, des dires, des vérités et contre-vérités,
des circonstances atténuantes, des dérapages incontrôlées, et des et des,
situations inédites, qu'il faudrait un jour ou l'autre dévoiler, dire, lire et
en finir.
Peut-on réécrire
notre histoire hors des circuits conflictuels avant que les autres ne le
fassent à notre place. D'ailleurs, c'est ce qui se passe depuis l'indépendance.
Nous ingurgitons à petite dose les approches étrangères, en l'occurrence
françaises, sur l'histoire de l'Algérie et sur sa propre guerre. Milles
facettes sont étalées comme des recettes à déguster sur les rayons des
libraires, alors que nous, nous demeurons dans la guéguerre. Bref, un peut
d'extériorisation ne fait mal à personne. Juste pour
éveiller les consciences sur un nouveau danger qui nous guette, et sans cela,
l'Algérie continuera de subir les affres d'un passé en otage et ignoré à
dessein.
L'impression que
recèlent ces festivités-commémoratives, quel paradoxe, fait en sorte que le
sentiment qui se dégage n'a nullement une porté
purement nationaliste. Sommes-nous encore en prise à une certaine amnésie
entretenue, qui perpétue en apparence la mémoire sélective. Celle qui
occasionnellement décide du cours des événements et des mémoires à
officialiser, alors que la lutte pour la restitution des territoires occupés
depuis 1830 et d'un peuple déchiqueté n'a pas été de tout repos. Elle porte en
elle de nombreuses séquelles, douleurs, ruptures, scissures, blessures encore
ouvertes qui demeurent absentes des manuels d'enseignement de l'histoire, pour
leur salut et celui de la mémoire collective.
Du 20 août 1955
au 20 août 1956, une révolution qui s'essoufflait !
Pour certains
esprits, la 20 aout 1955 marque une rupture avec le mouvement national.
Inopportune, la scission avec le père fondateur de l'unique et principale
revendication de libération nationale entachera ainsi le cours des événements
et ralentira, à défaut d'une stratégie cohérente, la progression souhaitée de
la lutte armée. Selon le témoignage du moudjahid Arezki Basta: «En évoquant la
révolution, un membre de l'ancien comité central du M.T.L.D reprochait au
comité révolutionnaire d'unité et d'action (C.R.U.A) d'avoir précipité
l'insurrection et engendré ainsi d'énormes préjudices, très graves même, qui
ont affecté durablement le FLN-ALN, Selon les propos de Benkheda, qui poursuit
qu'en l'absence d'une direction nationale durant les deux premières années de
la guerre, l'autorité centrale a été diluée et les différents entre l'intérieur
et l'extérieur en ont été la cause» (1).
Les raisons en
sont donc multiples et les circonstances à l'époque permettaient l'infiltration
du tout-venant. Les tensions s'exacerbaient et les conflits bien que non
déclarés envenimaient les relations entre les dirigeants. Selon Mohamed Harbi :
« l'insurrection du 20 aout 1955 dans le Nord Constantinois est jugée
inopportune à Alger. Ben Bella n'approuve pas les déclarations d'Ouamrane à
France Observateur sur une solution par étape de la question nationale… En
Kabylie, Krim prête à Boudiaf et Ben Bella l'intention de ne vouloir
ravitailler en armes que les zones limitrophes de la Tunisie et du Maroc, plus
aisément contrôlés de l'extérieur» (2)
Il fallait
attendre l'an 1956 pour voir s‘éclaircir davantage la vision, sous l'emprise
d'exclusions, de divergences, et de bien d'autres difficultés et tiraillements
de leaderships, mais ce fut ainsi l'occasion de constater le déclencher
officiel de la véritable guerre de libération nationale par l'envoi massif des
militaires et l'engagement politique de la France à lutter contre les maquisards. Un aveu
conséquent qu'il s'agit bien d'une guerre que d'une lutte contre le terrorisme.
Cette nouvelle
donne, imposa à la direction de réfléchir à une meilleure forme de coordination
pour poursuivre l'action armée et éviter ainsi au peuple algérien engagé dans
la lutte de libération national d'être livré en pâturage aux intentions
malsaines de la colonisation d'exécuter de nouveaux massacres massifs. Du
moins, il faut rendre hommage à la sagesse, l'intelligence et l'acuité
politique des deux stratèges et architectes de cette révolution, Abane et Ben
M'himdi, d'avoir remis les choses à leur place. Le congrès de la Soummam qui en est le
résultat et venu à temps remettre la charrue à sa place. Ce qui n'a pas pour
autant diluer les contingences et la course vers les piédestaux… c'est ce qui
caractérisa notre lutte de libération nationale.
Et le 25 août
1958, le second souffle
Le 25 aout 1958 a été un tournant
décisif dans le cours de la guerre de libération nation. Il précède de trois
ans les terribles massacres du 17 octobre 1961. Une forme barbare de réprimande
qui s'est abattue sur les immigrés algériens pour les punir des actes commis en
1958. C'est une date qui mérite un regard particulier pour l'enseignement
qu'elle recèle. L'immigration ne semblait nullement constituer pour la
politique française une entrave ou un obstacle au cours des événements en
Algérie. Ces indigènes de la république, ouvriers et éboueurs, prolétaires,
devaient, dans l'esprit de la
France officielle, s'occuper beaucoup plus de leur survit et
de leur propre sort que de s'alimenter de faux exploits de leurs congénères des
douars de l'autre rive.
Ceci ne les a pas
empêchés, dans le secret, de former progressivement les premiers noyaux de
militants et activistes au sein du FLN.fr. Leurs apports étaient au début de
l'insurrection beaucoup plus logistique que militaire jusqu'au jour où il
fallait ouvrir un second front de lutte pour atténuer le poids des pressions
devenues insoutenables en Algérie. Une véritable diversion qui ébranla d'un
coup les prévisions coloniales. Dès les 20 août 1956, la réflexion de
transférer la lutte sur le territoire français faisant son bonhomme de chemin.
Deux ans d'organisation et de préparations minutieuses pour enclencher une
série d'attentas sur le territoire français et précisément à Paris, la capitale
des droits de l'homme.
L'instabilité de
la situation politique, conflits internes, dans laquelle se trouvait la France en ces moments, la
chute successive des gouvernements, le putsch des généraux d'Alger et le retour
de De Gaulle par un apport de plus de 200 000 soldats en renforts aux cotonnés
en Algérie pour venir à bout de cette guerre qui n'avait pas donné son nom,
offrait des opportunités inestimables au C.C.E d'influer sur le cours des
événements, gagner de nouvelles batailles et déstabiliser ainsi une très
puissante armée en crise. Eveiller l'opinion mondiale sur la justesse de cette
lutte en prévision de la 13ème session de l'O.N.U prévue en Septembre et la
possibilité de porter la guerre en territoire français.
Militairement le
25 août 1958 était une réussite. Le principal objectif de ces actions était de
«frapper des points stratégiques sur le territoire français et prouver ainsi à la France et au monde que la
révolution algérienne n'était pas du banditisme, comme le prétendait l'ordre
colonial, mais la décision de tout un peuple de recouvrer son indépendance».
(3)
Une réplique aux
propos désobligeants et insultants à l'égard d'un peuple sous domination de De
Gaulle qui pensait que : «la
France s'étendait de Dunkerque à Tamanrasset». Alors que sa
métropole s'enflammait de Paris à Melun, de Mourepiane à Alès, de Marseille à
Toulon, du Havre à Vincennes et dans bien d‘autres lieux. Pas mois de 29
départements enflammés furent déclarés par les services de sécurité en état
d'alerte maximale.
La date du 25
aout 1958, exprime en fait les valeurs intrinsèques que portaient les fidayîn
sur ce territoire. L'audace, l'engagement, le sacrifice, le courage et
l'abnégation à entreprendre une aussi vaste offensive, bradant la mort pour
l'amour de la patrie. Des actions aussi spectaculaires qu'inattendues en
s'attaquant « aux installations pétrolières et militaires, à la préfecture de
police de Paris, aux commissariats, aux cars de police, et mettre le feu aux
forêts». Des opérations d'envergures qui délièrent les langues des médias
réfractaires aux actions militaires algériennes. Toute la presse française en parlera
le lendemain. Elle relèvera les dégâts occasionnés et les pertes conséquentes
notamment sur le potentiel économique français.
Dans un appel du
FLN du 26 août 1958, dans l'objectif est de revendiquer cette grande offensive
: «Le FLN entend d'ores et déjà affirmer solennellement que les civils ne
seront pas visés, malgré la responsabilité quasi unanime du peuple français,
complice par passivité de la poursuite barbare de la guerre d'Algérie… De
nombreux Français ont prêté main forte aux gens de la répression et se sont
livrés à plusieurs reprises à de véritables lynchages d'Algériens». Dès lors
s'ouvrira en France l'épisode macabres des massacres qui
aboutiront à octobre et ses auteurs, Papon et consorts.
Le 1er septembre
1958, le FLN, à partir du Caire, déclare dans un communiqué : «Dans la nuit du
24 au 25 août, les commandos algériens en France ont attaqué un certain nombre
d'objectifs stratégiques situés en territoire français selon un plan préétabli…
Comme le 1er novembre 1954, la nuit du 24 août ouvre un chapitre nouveau de la
lutte du peuple algérien pour son indépendance. Une force de près d'un
demi-million d'hommes valides se mobilise pour l'action sous la direction du
FLN. La première offensive des commandos algériens s'est fixé
un objectif essentiellement pétrolier, primo pour frapper les réserves de
carburant destiné à l'aviation ennemie, secundo pour prolonger sur le
territoire français lui-même la guerre que nos vaillants combattants de l'Armée
de Libération Nationale mènent méthodiquement en Algérie. Une année auparavant
le FLN avait promis de détruire le pétrole saharien en France même… Il a tenu
sa promesse».
Le devoir de
mémoire
Inscrite dans la
mémoire collective, cette date incontournable, ne devrait pas passer inaperçue.
Elle mérite non seulement un travail particulier pour lui donner la dimension
historique qu'elle mérite ? Les hommes et les femmes qui ont mené cette
spectaculaire offensive, qui a ébranlé par son ampleur le territoire français
et donné à la guerre de libération national un second souffle ne devraient pas
recevoir en récompense le statut de «laissés-pour-compte», ou mit dans la case
de l'amnésie volontaire. Le risque de subir le même traitement et sort que les
massacrés de mai 1945, du 17 octobre 1961, des cobayes des essais nucléaires
français, des Dahra, et des Ouled nail, n'est pas à exclure.
Apparemment telle
que nous la percevons, la politique actuelle ne semble nullement s'encombrer
des vieux souvenirs de la guerre de libération qui semblent l'irriter à chaque
évocation face à son partenaire d'exclusivité, la France. Les relations
étant bonnes, alors bouche cousue et boule de gomme. Même nos historiens
demeurent en attente d'une quémande officielle pour perpétuer le souvenir…les
algériens doivent s'en rappeler…
*Président de la Fondation du 8 mai 1945
Notes :
1) Prochaine
publication : «Les tragiques vérités qui n'ont pas été dites sur la révolution
algérienne», Basta Arezki,Arkcanes éditions 2011.
2) «FLN, mirage
et réalité» des origines à la prise du pouvoir, Mohamed Harbi, éditions Jeune
Afrique, Paris 1980.
3) Selon M.
Haddad Youcef, un des responsables de la Fédération de France et organisateurs du 20 août
1958 en France, lors d'une rencontre.
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Posté Le : 25/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Boukherissa Kheiredine*
Source : www.lequotidien-oran.com