Algérie - Poésie

Qui se souvient des Poésiades de Béjaïa ?



Qui se souvient des Poésiades de Béjaïa ?
La décennie noire semble avoir stoppé net cette belle aventure, intellectuelle et populaire à la fois.

L’association culturelle Soummam s’était fait connaître pour son festival national de poésie, qui se déroulait la première ou la deuxième semaine de juillet. Les fameuses “Poésiades” de Béjaïa. Les premières, organisées sous la houlette du poète et écrivain Abdelaziz Yessad, avaient eu lieu en 1989. C’est donc moins d’une année après les tragiques événements d’octobre 1988 que l’explosion de tous les talents, étouffés des années durant par la pensée unique, a été rendue possible. Au fil des années, ce rendez-vous culturel annuel était devenu même incontournable en dépit de l’absence de moyens que les “pauvres” animateurs étaient obligés de quémander auprès de la direction de la jeunesse et des sports, qui incluait alors le secteur de la culture, de l’assemblée populaire de wilaya et par la suite la délégation exécutive de wilaya (DEW) ainsi qu’auprès de l’APC. Leur mission : essayer d’animer une vie culturelle plutôt morose et offrir un espace – le théâtre régional de Béjaïa (TRB) en l’occurrence – aux poètes, confirmés ou en herbe, de déclamer leur poésie en tamazight, en arabe (dialectal et classique) et en français. Et aux artistes peintres, aux sculpteurs d’exposer, eux aussi, leurs œuvres. Il y a lieu de restituer le contexte de l’époque. C’était le début de la décennie noire. Alors que l’Algérie, dans son immensité majorité, était plongée dans le noir. À “Bougie”, la ville n’avait jamais aussi bien porté son nom, on déclamait de la poésie et on échangeait sur la littérature avec de grands noms des belles lettres algériennes durant une semaine entière. On peut donc s’interroger sur ce qu’ont légué ces Poésiades. Mais avant d’évoquer cet héritage social et culturel, il nous faut revenir sur des rencontres déterminantes. La première édition du festival avait été un franc succès : les poètes en herbe avaient pu rencontrer et échanger avec des grands noms de la poésie algérienne. C’est le cas de feu Tahar Djaout, qui demeura jusqu’à la fin un fidèle parmi les fidèles à ce rendez-vous, de feu Youcef Sebti, de Hamid Laghouati, de l’animateur radio Ahmed Oumaziz qui, par amour des Poésiades, est venu vivre et travailler à Béjaïa, à Radio Soummam plus précisément ; les auditeurs du cru le connaissaient sous son nom d’emprunt, Idir. Autre animateur radio, de la Chaîne 2 et de Radio Soummam, Boudjemâa Rabah. Après le déroulement des deuxièmes Poésiades en 1990, le président de l’association, Abdelaziz Yessad, décide de s’installer en France. Et c’est feu Smaïl Oulebsir, un artiste peintre, qui le remplace au pied levé. Mais ce changement sans préparation préalable n’avait pas été sans conséquences. Les Poésiades n’auront pas eu lieu en juillet. C’est alors que Smaïl Oulebsir, qui vient avec une expérience non négligeable au sein de l’association socioculturelle la Cité Bellil, décide d’organiser avec l’aide de ses amis (Dr Aïssat, Dr Kittoune, Hocine Guenfissi, Abdelkader Ifouzar, etc.) et des anciens de l’association culturelle Soummam (ACS), on peut citer parmi eux Mouloud Kerkour, Slimane Aggoune, Abdelhakim Abdiche) la troisième édition des Poésiades en… décembre 1991.

Un rendez-vous annuel
Le TRB étant occupé par les partis politiques, c’est au siège de l’association et de la mouhafada FLN qui était disponibles curieusement pour accueillir les Poésiades qui ont pu tout de même avoir lieu et pu être pérennisées. “S’il n’y avait pas les troisièmes Poésiades, en cette dernière semaine de décembre 1991, on aurait, sans doute dû renoncer aux 4es”, nous avait confié un jour feu Smaïl Oulebsir. C’était au lendemain du premier tour des premières élections législatives, remportées par l’ex-FIS (Front islamique du salut). Les Algériens étaient littéralement happés par la politique. Rares étaient ceux qui avaient gardé, en effet, la tête froide au point de s’intéresser encore à la chose culturelle. Aux côtés des animateurs associatifs, issus de l’ACS et de la Cité Bellil, les fidèles avaient tenu à faire le détour malgré un agenda chargé. C’est le cas de feu Tahar Djaout, qui avait profité de son week-end pour marquer sa présence lors des troisièmes Poésiades. Il y avait aussi Ahmed Oumaziz, Rabah Boudjemâa, Samy Abtroun, le poète et ancien journaliste du Matin, actuellement à Afrique-Asie. Pour les poètes d’expression amazighe, il y avait Malek Houd, Brahim Tazaghart. En pérennisant cette activité, en dépit des difficultés financières et autres, les animateurs de l’ACS avaient fini par s’imposer et être reconnus. Ils réussiront à faire venir de grands noms de la poésie algérienne, à l’instar de feu Djamel Amrani, feu Ahmed Azeggagh, Tassaâdit Yacine, Hadjira Oulbachir, Mohamed Touati, etc. En 1992, les membres de l’association avaient réussi à sensibiliser le ministre de la Culture, feu Aboubakar Belkaïd, à parrainer le festival national de Balloul, à Arris dans les Aurès, afin de sauver l’oralité de ces citadelles berbères. Deux bus partiront de Béjaïa pour prendre part à ce festival, organisé en plein air. Près d’un millier de personnes étaient au rendez-vous, à leur tête le ministre. La citadelle de 14 étages était construite sur un imposant rocher. Il ne demeurait que 7 étages. L’enjeu était de sauver de la ruine ce qui restait. Mais juste après cet engagement débute alors la décennie noire et sa nuit infinie. Le ministre sera lui-même assassiné par les hordes sauvages. Les animateurs de l’association Soummam avaient tenté d’organiser, par deux fois, le mouvement associatif local. En vain, cet investissement ne sera jamais couronné de succès. Pis, une initiative similaire sera tentée par la direction de la jeunesse et des sports. Il fallait empêcher que ces associations, au demeurant dynamiques et participant à la vie culturelle et sociale, ne se regroupent au sein d’une fédération, qui aurait pu être un véritable “contre-pouvoir”. Autant les contrôler à distance en exacerbant les rivalités entre elles notamment avec l’histoire des subventions. Et avec le départ de feu Smaïl Oulebsir, que les critiques n’avaient pas épargné, deux nouveaux présidents l’avaient remplacé avec succès, c’est le cas de Mouloud Kerkour et Slimane Aggoune. Ils ont pérennisé les Poésiades jusqu’au retour de Abdelaziz Yessad. Il avait organisé les dernières. L’argent étant devenu un souci récurrent. La décennie noire semble avoir stoppé net cette belle aventure, intellectuelle et populaire à la fois. Une bonne partie des animateurs ont pu prolonger leurs expériences ailleurs et dans d’autres domaines. Plusieurs tentatives avaient été initiées pour relancer les Poésiades, en vain.


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