Algérie

Qui se souvient de l'affaire Monnerot '



Qui se souvient de l'affaire Monnerot '
« Je n'ai pas encore assez oublié pour avoir des souvenirs. »Jean Rostand Le déclenchement de la lutte armée, c'est la Toussaint Rouge, nom donné par l'occupant aux attentats qui émaillèrent cette journée, mais c'est aussi l'histoire d'un autocar attaqué dans les gorges de Tighanimine dans les Aurès, annonçant le coup d'envoi de la guerre. Cet attentat, plus que les autres, avait frappé les consciences et donné du grain à moudre à la presse coloniale. « Dans l'autocar, un caïd et deux jeunes instituteurs venus de la métropole. Ils sont touchés par une rafale de mitrailleuse destinée au caïd Hadj Sadok. Guy Monnerot succombe sur le coup mais sa femme, Jacqueline, survivra à ses blessures », notèrent les chroniqueurs en édulcorant les faits. C'est cet événement qui marqua le début de l'envoi de contingents en Algérie. Le 12 novembre 1954, Mendès France, président du Conseil, déclare à l'Assemblée française : « Il n'y aura pas de la part du gouvernement ni hésitation, ni atermoiement, ni demi-mesure dans les dispositions qu'il prendra pour assurer la sécurité et le respect de la loi. J'affirme qu'aucune comparaison avec la Tunisie ou le Maroc n'est plus fausse, plus dangereuse. Ici, c'est la France. »En plein c'ur des Aurès, où les gorges sont creusées par des oueds dans un relief tourmenté, un vieux car Berliet gravit péniblement la route sinueuse. Toutes les places sont occupées par des paysans qui vont au marché. Pour la plupart, des hommes vêtus de cachabia en laine brute et quelques haïks noirs (m'laïa). Trois personnes se distinguent du commun. Un homme chichement vêtu : le caïd de Mchounèche, Hadj Sadok et deux Européens M. et Mme Monnerot, un couple d'instituteurs. Jeunes mariés, ils étaient venus en Algérie depuis moins d'un mois. Installés à Tifelfel, un hameau de nulle part, les jeunes gens avaient été vite adoptés par les Chaouia. Entre Biskra et Arris, il est presque 7h15 en ce 1er novembre. Route nationale 31, km 800. Coup de frein brutal, cris, hurlements. Des hommes armés barrent la route. Deux d'entre eux sautent dans le car. A l'extérieur, des hommes ont surgi des éboulis de pierres. Le chauffeur du car, Brahim, à peine 18 ans, observe la scène. Son père El Hachemi, militant nationaliste, proche de Mostefa Ben Boulaïd, exploitant d'une ligne de transports de voyageurs qui relie Biskra à Arris lui avait confié ce jour-là une mission périlleuse. Conduire le car qui fera la une de tous les journaux le lendemain.Les monnerot étaient adoptésAprès des mois passés entre les commissariats et les tribunaux, son père, son frère Rachid et lui-même rejoignent les rangs de l'ALN. La suite n'a pas été un long fleuve tranquille. Brahim, adolescent de18 ans au moment des faits, est aujourd'hui un jeune homme de 74 ans. L'enfant de Biskra a bien voulu retracer pour nous les péripéties de l'attaque de l'autocar et les conditions dans lesquelles il a rejoint le maquis. Nous avons été à sa rencontre. « Bien avant le 1er novembre 1954, mon père Halimi Hachemi ben Derradji était un fervent nationaliste. En contact permanent avec son ami Mostefa Ben Boulaïd et Chihani Bachir. De retour de Tlemcen, en famille, nous avons rencontré à 25 km de Biskra, au lieudit Pont des Gazelles, le quatuor Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Chihani et Boudiaf dont la voiture Simca Amilcar était en panne. Mon père a longuement discuté avec eux alors que mon frère aîné Rachid a été appelé pour s'occuper du dépannage. Rendez-vous est pris au domicile familial pour le dîner, en l'absence de Ben M'hidi qui est allé passer la nuit chez sa s'ur N'fissa. C'était le 27 septembre 1954.Les discussions on traîné en longueur. Je me doutais que quelque chose se préparait. La veille du 1er novembre, c'était un dimanche, mon père me prit à l'écart et me dit : « Mon fils, c'est toi qui conduiras le car demain à la place du chauffeur attitré Karbache Ahmed. Voilà ce qui va se passer. Ne souffle mot à ton jeune frère Mostefa, receveur du bus ». J'étais interloqué puisque ne possédant même pas le permis de conduire de transport en commun. « Tu vas rencontrer des moudjahidine. Tu ne cours aucun risque. » Dans le car, le lundi 1er novembre à 5 h du matin, départ sur Arris par Mchounèche. Dans ce village, le caïd Sadok était monté dans le car, prenant place à côté de moi. A Tifelfel, les Monnerot accèdent au car. Arrivés à l'endroit précis avant le tunnel, je vois des hommes en uniforme, une quinzaine, au bord de la route, comme l'avait décrit mon père. J'arrête le car. A l'intérieur, un voyageur hurle de peur : « Voici les fellagas de Tunis ». Le caïd à mes côtés tentait de rassurer : « Il n'y a pas de fellagas en Algérie. » Il descend du car et engage une discussion avec l'un des assaillants. Qui êtes-vous, d'où venez-vous et que voulez-vous ' Le chef du commando Chihani lui renvoya la balle : « Qui êtes-vous pour nous poser ces questions ' » Le caïd encaisse puis sur un ton rassuré, plein de suffisance, enchaîne : « Je suis le capitaine Sadok, caïd du douar Mchounech. » A ce moment, le chef du groupe le somma de descendre les bagages et de le suivre. En remontant dans le car, il sortit un pistolet de sa sacoche. Le djoundi aux aguets qui avait vu le manège tira deux coups de mousqueton dans le dos du caïd qui s'affaissa. Grièvement atteint, il décède deux heures plus tard à l'hôpital d'Arris. Les voyageurs choqués par la scène ainsi que mon frère Mostefa ont pris la fuite. Les Monnerot qui étaient assis à l'avant du véhicule se sont retirés à l'arrière. Un autre djoundi embusqué ayant vu leur déplacement leur ordonna de descendre.Le chef du commando discutait avec eux, lorsqu'un djoundi a tiré dans le dos de l'instituteur. Surpris par les coups, le chef fait signe de cesser le tir, mais une balle perdue était déjà partie pour aller se figer dans la cuisse de Mme Monnerot. L'instituteur, de faible corpulence, vidé de son sang, a succombé. En représailles, le bus a été réquisitionné et le service de transport suspendu ainsi que celui de Mostefa Ben Boulaïd. Suivra une longue période de harcèlement, traîné de commissariat en tribunal avant de rejoindre le maquis où mes convictions se sont affermies.La morgue du Caïd SadokBrahim est à la Wilaya V, zone 8, sous les ordres du commandant Si Nacer. Il est à la base Ben M'hidi pour créer le service SLM. EMG. « Un service très actif bien dirigé par Si El Ghouti. »« La famille s'est disloquée. Mon père était parti au Maroc. Je l'ai rejoint alors que mon frère Rachid a pris les armes pour tomber au champ d'honneur en 1961. » Quel était le climat politique à Biskra au début de la guerre de libération ' L'organisation dans la Reine des Zibans était dirigée par Si El Haouès qui recevait les directives du MNA. Hachemi Halimi, Si Abderahmane Barkati et Boufaroua Taleb avaient pris la décision de contacter Chergui Brahim à Alger, du fait que ce dernier avait milité à Biskra et poursuivi ses importantes missions nationalistes dans la capitale. Chergui a réussi à les convaincre de suivre la voie du FLN, en dotant ses hôtes de ronéo et de cachets humides. El Hachemi, accompagné de Boufaroua et Menani Nouredine sont ensuite venus à Alger pour rencontrer Ben M'hidi. C'est à partir de là qu'un contact a été établi près de Batna avec Si El Haouès. Amirouche a été chargé par l'organisation de régler le litige qui enflait avec Adjoul Adjoul et qui empoisonnait l'atmosphère. C'est comme cela que les militants de Biskra d'obédience messaliste ont opté pour le FLN.Un dirigeant dévoué« En Algérie comme au Maroc, à l'instar de bon nombre de compatriotes, je me suis toujours efforcé de m'acquitter des missions qui m'ont été confiées avec engagement et fidélité à la cause sacrée. Nous n'étions obnubilés que par un seul objectif : l'indépendance de notre pays quel qu'en soit le prix. Au Maroc, j'ai eu aussi le privilège de côtoyer d'autres personnalités qui joueront par la suite un rôle majeur dans la vie de notre pays. A l'indépendance, j'ai été chargé de rapatrier tout notre armement qui se trouvait au-delà de nos frontières ouest. Rentré au pays, je démissionne de l'armée avec le grade de lieutenant pour m'occuper de l'entreprise familiale qui ne pouvait plus compter avec mon père Hachemi, décédé en 1961 au Maroc et mon frère Rachid tombé au maquis durant la même année. » Proche des gens, Brahim a été un dirigeant dévoué de l'US Biskra dont il a vaillamment défendu la cause auprès des instances sportives. Il évoquera, sans tirer la couverture à lui, la place du militantisme sportif désintéressé dans un paysage où les valeurs se sont estompées, laissant place à une course effrénée vers l'argent. « Le temps ont changé, les mentalités aussi. »Toujours disponible, et eu égard à sa personnalité respectée, il a été sollicité durant les législatives de 1982 pour éteindre le brasier dans la ville de Ouled Djellal en état de siège après l'emprisonnement de dizaines de manifestants mécontents.« J'ai dû jouer les équilibristes entre les autorités et la population en colère. Je me suis largement investi en usant de mes connaissances pour dénouer la crise et Dieu merci, j'ai réussi là où les autorités n'ont pu faire grand-chose. »Brahim changera brusquement de ton lorsqu'il évoque ses démêlés avec le pouvoir de l'époque. « En 1966, le ministre des Transports avait voulu nous supprimer la ligne de transport Alger-Batna pour l'attribuer à un ancien caïd. La ligne est restée suspendue et ce qui n'arrangeait pas nos affaires ; le coup de Zbiri en 1967 nous a encore enfoncés. Nous sommes restés plusieurs mois sans activité. Ce sont des faits qui marquent », soutient-il, non sans désigner du doigt certains responsables dont la seule qualité est sans doute l'ingratitude. Aujourd'hui, les m'urs ont changé et les valeurs ne sont plus les mêmes. « Ce qui est le plus important pour le peuple, c'est de lui dire la vérité. On a besoin de paix, de sécurité, de justice et de liberté, sans quoi il ne peut y avoir de dignité et encore moins de bonheur et de prospérité. L'histoire de notre pays écrite par le sang des martyrs doit être authentique. Les justes ont semé, le braves ont peiné et les corrompus ont gagné. C'est la triste réalité », dit-il amer, en guise de conclusion.Parcours : Brahim Halimi est né le 12 décembre 1935 à Biskra. Il a fait l'école indigène jusqu'au certificat d'études.A 18 ans, il intègre l'entreprise familiale de transport en commun. Il est, pour une brève période, chauffeur dans la ligne Biskra-Mchouneche-Arris. Son père El Hachemi, responsable militaire et civil de Biskra et nationaliste sera son guide spirituel. Ami de Benboulaïd et de Si Lakhdar, son paternel, lui inculquera les vertus du patriotisme.Après le coup de l'autocar, Brahim va au Maroc où il intègre la wilaya V du FLN. Il en sortira officier et sera chargé à l'indépendance de rapatrier l'armement de l'ALN du Maroc. Il quittera l'armée pour relancer l'entreprise familiale. Brahim est membre d'une fratrie de 9 personnes, dont Mostefa qui vit en France. htahri@elwatan.com


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