Une unique trace du chanteur Abderrahmane Mamoun existe actuellement sur Internet et perpétue sa mémoire : un vieil enregistrement de la chanson qui l'a rendu célèbre en Algérie et chez les anciens émigrés algériens de France. Cette chanson, c'est «Tabib Errouh», («Le médecin de l'âme») qui est sortie sous forme de disque 45 tours chez l'éditeur parisien Eddie Barclay en 1959. Mais Abderrahmane Mamoun n'est pas qu'un chanteur de charme comme il en existe tant de nos jours : lui, qui est né en 1924 à Tlemcen, a accompagné par son art et dès son jeune âge le combat d'émancipation de son peuple. C'était l'époque héroïque où des enfants malingres apprenaient à chanter dans des associations musicales ou théâtrales «indigènes» des «anachid watania».En ce temps-là soufflait sur la terre algérienne un violent désir de liberté. Abderrahmane Mamoun composait des bluettes sentimentales mais animait en parallèle ce qu'il appelait des «mariages sans mariée» qui servaient en réalité à recueillir des fonds pour l'Organisation spéciale (OS), celle-là même qui allait faire éclore Novembre 1954. Lors d'une soirée familiale, il surprit Messali Hadj en train d'essuyer une larme en l'écoutant interpréter «Zaditt horr wa âacht mamlouk» («Je suis né libre et j'ai vécu prisonnier»).
Au milieu des années 1950, Abderrahmane Mamoun s'installa à Paris et poursuivit vaille que vaille sa carrière artistique, tout en continuant à aider pour la libération de son pays. À côté de ses créations sentimentales, il enregistra clandestinement des chants patriotiques que diffusait la radio secrète «La voix de l'Algérie libre et combattante» («Sawt El-Djazaïr el-hourra el-moukafiha»). Parfois, le célèbre chanteur égyptien Mohammed Abdelwahab, de passage dans la capitale française, venait lui emprunter un luth pour animer une soirée privée; Abdelwahab ne cachait pas son amour pour l'Algérie comme il l'a prouvé dans sa composition «Touchiatt El-Djazaïr». Farid El Atrache, une autre star cairote, lui avait proposé un jour de créer une comédie musicale sur l'Algérie, car il voulait rattraper l'impair de «Satt El-Rih», et oublier les tomates qu'on lui avait lancées lors d'un récital mémorable à Alger. (Dans sa chanson «Satt El-Rih», Farid El Atrache avait fait l'impasse sur notre pays tout en célébrant les voisins marocains et tunisiens.)
En 1958, à l'occasion d'une réunion des délégations des Croix et Croissants-Rouges qui a eu lieu au Palais des Nations à Genève, Abderrahmane Mamoun fut invité par le Dr Djilali Benthami, qui était à l'époque président du Croissant-Rouge algérien, à offrir aux congressistes un petit aperçu sur la musique algérienne. Seul sur scène, il a joué «Raml El Maya». Une dame suisse lui demanda alors pourquoi il a interprété son morceau en ré mineur. Le Dr Benthami, prudemment, s'est éloigné en murmurant : «Moi je n'ai fait que de modestes études de médecine» ! En bon musicien, très au fait des subtilités du solfège, Abderrahmane Mamoun répondit : «Nous jouons notre musique en ré mineur, Madame, tant que certains, qui se reconnaîtront, refuseront de nous traiter comme des personnes majeures». Dans l'anonymat le plus total, Abderrahmane Mamoun est décédé il y a quelques années à Paris. Aucun média n'en a soufflé mot ni ne lui a rendu hommage.
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Posté Le : 01/09/2022
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Amine Bouali
Source : www.lequotidien-oran.com