La rue s’est révoltée. Cette jacquerie «rurbaine», pour reprendre un concept cher au défunt Mustapha Lachraf, a dégagé un avant-goût d’un «tsunami» politique imminent. Devant l’ampleur de la réplique de ce miniséisme annonceur d’un séisme populaire plus dévastateur, le régime de Bouteflika, tétanisé et pris de panique, a répondu d’abord d’une manière musclée, en interdisant les marches et les manifestations pacifiques et il s’est confiné ensuite dans un mutisme qui renvoie dans les pratiques du pouvoir en place à un conclave pour remodeler le système dans l’espoir de le sauver. Le chef de l’Etat réagit enfin, en rusant encore, en annonçant pompeusement qu’il va vers la levée de l’état d’urgence. C’est comme s’il fait une offrande au peuple. C’est bien les sacrifices de militants infatigables qui viennent d’arracher cette décision et qui continuent à lutter pour le changement radical et non un replâtrage de façade. Il est clair qu’il réalise qu’il s’est bien trompé de peuple.
Ce dernier a cru que ce nouveau «messie» qui promettait le changement n’est que le soldat d’un système qui cherche à perdurer quitte à le maintenir en poste à vie. Au lieu de répondre aux attentes du peuple qui, depuis 12 ans de son pouvoir personnel, croyait que ce porteur de miracles allait changer le cours de l’histoire dans un pays meurtrie par le terrorisme, la rapine, la corruption et la hogra, le monarque «républicain» a préféré aller conjecturer à Charm El Cheikh, avec d’autres présidents et roitelets arabes, tétanisés par la révolution du peuple tunisien. Même devant le drame, les chefs d’Etats arabes savent se montrer ridicules. Ridicules, ils le sont, quand ils se concertent au sommet pour débattre d’un fonds d’aide à la création d’entreprises de jeunes de 2 milliards de dollars, quand, ailleurs, on estime la seule fortune du dictateur déchu, Ben Ali, à plus de 5 milliards d’euros et celle du pharaon d’Egypte à plus de 40 milliards de dollars. Piteuse image que celle que veut donner Bouteflika à son régime. Cet homme qui méprise le peuple a eu plusieurs chances pour sortir du bourbier dans lequel il s’est fourré la tête haute. Aujourd’hui et après avoir succombé aux caprices du dictateur, les tenants du pouvoir se démènent pour sauver leur soldat, même moribond, croyant que la sauvegarde du système passe par la sauvegarde du soldat Bouteflika.
Le dernier verrou d’une tyrannie, qui s’est imposée par les armes depuis la crise de l’été 1962, n’a plus la verve de 1999 et encore moins celle de 2004. Le grand «messie» s’avère, aux yeux du peuple, l’architecte d’un système basé sur l’exclusion, la corruption et la rapine. Les tentatives de mettre en avant un hypothétique remaniement du gouvernement, pour absorber les manifestations ayant caractérisé la rue algérienne, dès le début de l’année 2011, ne vont tromper personne. En langage direct, le soldat Bouteflika procèderait à un remaniement au sein du gouvernement pour dire au peuple que voilà, après 12 ans de pouvoir et grâce à la révolte des jeunes, je viens de découvrir que mon gouvernement est mauvais et qu’il ne travaillait pas suffisamment, oubliant ainsi que c’est bien lui le handicap et le frein de tous les gouvernements qui se sont succédé. Il a fermé la télévision au débat, en disant dans un show télévisé qu’il ne va pas permettre à l’opposition de «danser» avec l’argent du contribuable. A la fin, le JT de la télévision payé par l’argent du contribuable est donné sous une forme faisant que celui confectionné à l’époque du parti unique passerait pour un JT révolutionnaire, par rapport à celui d’aujourd’hui où, même les messages de survol du grand voyageur Bouteflika sont lus d’une manière religieuse et solennelle, rappelant l’époque stalinienne. Aucun président de la République, depuis le hold-up de Ben Bella qui a fait son entrée à Alger sur les tanks flambant neufs de Boumédiene, n’a eu les coudées si franches.
D’abord, il y a eu une amélioration de la situation sécuritaire, si sensible que le terrorisme fut déclassé dans la rubrique des faits divers, le président qui ne voulait pas être un quart de président, hérite des prérogatives d’un Franco, ensuite l’embellie financière fut et reste inimaginable pour un pays qui manque de tout. Bouteflika a eu ce miracle qu’au lieu de faire du surplace, il n’a cessé de faire un pas en avant et deux en arrière.
En avançant sur la sphère sécuritaire, ce qui a été présenté comme une prouesse, il reculait dangereusement sur le plan des libertés et les acquis démocratiques, au point où le pays qui ambitionnait de s’inscrire parmi les pays démocratiques se trouve, grâce à sa dérive autoritaire, parmi les pays qui ne respectent même pas les normes élémentaires de la démocratie et, lui-même parmi les dix plus vieux dictateurs du monder, à côté de Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak qui ont été renversés par leurs peuples respectifs dans une révolution populaire qui ne tardera certainement pas à balayer tout le reste des dictateurs du monde arabe. Son règne budgétivore coute à la nation ses richesses. Rien que le secteur de l’agriculture a englouti 60 milliards de dollars pour un piteux résultat. L’autoroute pompeusement annoncée s’avère l’autoroute qui va marquerl’histoire comme l’autoroute la plus chère du monde qui connait des travaux de réfection avant même qu’elle ne soit entièrement réceptionnée.
Pire encore, même l’Agence des barrages vient d’être secouée par un séisme de la même magnitude que celui qui a secoué Sonatrach sous Meziane et l’un des proches de Bouteflika, le nommé Khelil. Au lieu d’épargner au pays d’autres retards, il préféra céder à ses caprices de règne, en violant délibérément et avec préméditation la Constitution, en recourant au vote d’un Parlement élu par moins de 20% des électeurs. En recourant à un vaste remaniement de son gouvernement pour contourner la grogne de la frange juvénile de la société, Bouteflika feigne d’oublier que ce gouvernement issu de l’alliance présidentielle, PFLN, RND, HMS, applique dans les faits son programme ou sa feuille de route. Personne ne peut croire aujourd’hui que celui qui parlait des 15 chats et qui a su au moment opportun se débarrasser des responsables «encombrants», est complètement innocent de la rapine qui s’est installée dans le pays depuis que les prix du pétrole ont connu une augmentation sensible et que la tirelire de l’Etat est devenue fort alléchante.
Les scandales financiers se sont succédé à un rythme soutenu, plaçant le pays parmi les pays les plus corrompus du monde. Aucun haut responsable n’a été jugé. Même lors du jugement du hold-up du siècle en Algérie, à savoir l’affaire Khalifa, les ministres dont la responsabilité était avérée sont venus au tribunal de Blida en témoin et reparti en témoin, par la grâce de la juge en charge de ce procès et de la justice de nuit.
Même le ministre des Finances de l’époque, qui a eu un aveu fort révélateur devant la juge obstinée à épargner les hauts responsables de sa majesté, en disant «qu’il n’a pas été assez intelligent», s’est vu propulser au poste du premier responsable de la diplomatie du pays, une diplomatie dans laquelle continue à activer le plus vieux diplomate du monde, Missoum Sbih et dans une capitale-clé pour l’Algérie (Paris). Missoum Sbih a, aujourd’hui, 82 ans. Le pouvoir n’ayant pas tiré de leçons de l’affaire Khalifa qui a lourdement terni son image, voilà qu’il récidive avec les affaires de l’autoroute, le FNDRA, Sonatrach, des barrages. Le président ne peut pas endosser toute la responsabilité au gouvernement, il est personnellement responsable de la systématisation de la rapine et de la corruption en Algérie. Ce triste épisode de la gestion du président Bouteflika ne peut renvoyer qu’à l’absence de projet ou de stratégie de développement pour le pays qui traverse une période rare d’aisance financière, il a gouverné et continue à le faire sous l’emprise de l’improvisation. C’est là, la triste vérité de 12 ans de règne sans partage. L’exemple tunisien et celui de l’Egypte sont trop proches de nous, pour croire que le peuple va encore se contenter de fusibles ayant sauté bien avant, par la grâce du viol de la constitution en novembre 2008, pour assouvir la soif du pouvoir d’une personne.
Le chef du gouvernement, devenu par la grâce d’un président qui voulait tout le pouvoir, Premier ministre qui n’est en réalité qu’un coordinateur d’un exécutif, dont la majorité est issue d’une promotion «douariste».Le douar s’est bien installé dans les rouages du pouvoir pour faire main basse sur les richesses du pays, à travers un hold-up politique des plus spectaculaires du nouveau millénaire, agrémenté d’un score brejnévien obtenu en 2009. A force de museler l’opposition, le «sauveur» de la nation découvre, au début du mois de janvier, la réalité de la rue désormais investie par une révolte d’un autre type à laquelle le pouvoir n’est pas habitué.
Ceux qui croyaient en 1999 que le peuple recevait un Mandela algérien ou un Silva da Lula découvrent avec regrets qu’il ne s’agit en réalité que d’un Mougabi au mieux un Boris Eltsine qui risque d’emporter le pays dans sa sénilité. Dans les rares moments de lucidité du soldat Bouteflika, les observateurs ont eu à découvrir que le «messie» s’est rendu compte, 10 ans après, qu’il croyait mener le peuple sur la voie du paradis, alors qu’il le menait droit vers l’enfer (son discours devant les walis au Club des Pins en 2008). Au lieu d’en tirer les leçons, il se rebiffe dans son silence, en ouvrant un peu plus la «tirelire nationale» pour engager son programme quinquennal de 260 milliards de dollars. Une somme, dont la grande partie ira certainement droit dans les poches des maffieux et leurs mentors d’outre-mer. Il a lui-même catalogué son règne de la décennie de la rapine et de la cleptomanie en disant, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire en 2007 : «Nous sommes sortis de la décennie du terrorisme et nous sommes rentrés dans une décennie de cleptomanie».
La situation devient réellement dramatique, il faut sérieusement sauver le soldat Bouteflika de lui-même. Celui qui est allé assister à un Sommet africain sur le Sida au moment où une partie de l’Algérie était à feu et à sang, avec 125 martyrs tués par balles réelles, celui qui ne cesse d’outrager les sentiments d’un peuple méprisé et réduit à un tube digestif s’est permis d’aller assister à une mascarade, à Charm El Cheikh, réunissant, dans un cirque de mauvais goût, les dictateurs et monarques arabes, au moment où la rue vivait un bouillonnement sanglant, ayant emporté cinq jeunes innocents et plusieurs autres qui se sont immolés après avoir tenté de fuir le pays sur des barques de fortunes, préférant servir de nourriture aux requins que d’assister à la dilapidation de leur patrimoine chèrement acquis par d’autres requins à apparence humaine. L’urgence de sauver le soldat Bouteflika devient insistante. Le seul moyen pour le faire est d’aller vers une période de transition, l’ouverture du champ politique et médiatique et lui ouvrir, en même temps, une porte de sortie afin, et par respect à son âge et son état de santé, de lui éviter la fin tragique de Ben Ali et de Moubarak. Le chef d’Etat doit avoir le sens élevé de la responsabilité, en sachant à quel moment il faudrait quitter la table, afin d’épargner d’autres tragédies au pays.
habendri57@yahoo.fr Février 2011
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Posté Le : 14/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Haidar Bendrihem
Source : www.elwatan.com