Les menaces du général Haftar ont fait grand bruit à Alger où les autorités se refusent à l'évidence de se livrer à une quelconque déclaration politique pouvant envenimer une situation déjà bien délicate aux frontières ouest. Hier, le MAE algérien a, au contraire, affirmé qu'aucune déclaration ne pouvait venir à bout de la «fraternité» entre les deux pays. Ces propos ont été tenus lors d'un échange téléphonique avec son homologue libyen.Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Une certitude, la virulence du ton employé par celui que l'on présente comme étant l'homme-clé de la crise libyenne semble avoir pris de court les dirigeants algériens sans pour autant surprendre totalement du fait de la nature des relations qu'entretient le pays avec ce dernier. Des relations «pas vraiment faciles», parfois en dents de scie, mais qui se veulent en général empreintes d'une neutralité qu'exige la sensibilité d'un dossier dans lequel l'Algérie a globalement avancé sans faux-pas jusqu'à l'heure. Ce dossier évolue cependant à vive allure, en cerner les enjeux permet d'éclaircir l'origine de la crise qui oppose Haftar à Alger.
Le tournant libyen
Inquiète des répercussions pouvant découler de l'instabilité grandissante du territoire libyen, la communauté internationale tente depuis un long moment déjà de trouver des solutions urgentes à même de stabiliser une situation génératrice de terrorisme, terreau de groupes versés dans le trafic d'armements, de drogue, et auxquels se sont greffés des réseaux de passeurs grâce auxquels des milliers de migrants tentent continuellement de rejoindre le continent européen. Un véritable chaudron également à l'origine de la situation prévalant dans le Sahel où Daesh menace ouvertement d'établir son nouveau quartier général après sa défaite en Irak et en Syrie. Le Président égyptien a d'ailleurs fait savoir que c'est là qu'ont d'ailleurs été préparées plusieurs attaques meurtrières ayant ciblé la population copte du sud du pays. Al Sissi a réagi en bombardant les zones libyennes où activaient secrètement des cellules de l'organisation terroriste internationale chargées de planifier des attentats et d'assurer la logistique des groupes armés. Des informations de première main ont été transmises par le général Haftar aux autorités égyptiennes. L'affaire confirme à qui en doutait encore les liens étroits qu'il entretient avec Le Caire. Sans le dire, la communauté internationale et régionale perçoit les bombardements égyptiens comme un acte positif. La démarche ne suffit cependant pas à avancer dans le règlement d'une crise où Alger est positionnée comme acteur incontournable.
Un travail diplomatique de longue haleine, les liens historiques liant les chefs de tribus et les notables aux Algériens mais aussi une parfaite connaissance de la diversité libyenne ont permis une avancée remarquable. Les accords essentiels conclus entre les parties libyennes rivales ont favorisé la mise en place d'un processus politique, socle du statu quo ayant permis d'éviter une plus grande dégradation de la situation sur ce territoire. Alger n'a cependant pas eu le privilège d'abriter les cérémonies de signatures historiques. La Libye est sous l'influence de plusieurs «calendriers étrangers», avait lancé en sous-entendu le MAE algérien avant d'être complété quelques mois plus tard par Ahmed Ouyahia lequel déclarait clairement que les accords de Skhirat (au Maroc) et ceux de Paris n'étaient autres que les fruits du travail algérien. Ces propos ont été tenus en France quelques heures seulement après la fin de la conférence internationale convoquée par Macron, sous l'égide des Nations-Unies, pour une solution urgente en Libye. Haftar que l'on disait affaibli par un AVC soigné dans un hôpital parisien ne s'était pas opposé au plan de sortie de crise. Sur pression du Président francais, le principe d'organiser des élections présidentielles avant la fin de l'année en cours est officiellement retenu. Sceptique, l'Italie évoque un empressement anormal et prévoit un échec. Elle annonce son intention d'organiser une autre conférence internationale en novembre prochain. En Libye, la situation se dégrade dangereusement.
Haftar veut envahir Tripoli
Le sérieux malaise du général est une histoire ancienne. Les scénarios ou projections autour d'une éventuelle succession en préparation tombent à l'eau. Haftar revient en force sur le terrain.
L'élaboration d'une nouvelle Constitution, telle que prévue par la conférence de Paris, est ouvertement remise en cause. Pour des raisons encore floues, il exige que le projet se déroule après les élections et non pas avant, auquel cas, dit-il, «le peuple libyen le refusera». Il menace ensuite d'envahir Tripoli et d'anéantir les milices qui empêchent le retour à une vie normale. Selon des informations rapportées par la presse internationale, il aurait le feu vert pour lancer son action.
Jeudi, il a affirmé que l'armée qu'il dirige était fin prête et que la prise de Tripoli serait rapide. Haftar focalise l'attention et fait en sorte de dégager l'image d'un homme fort sans lequel la paix est impossible en Libye. La carte qu'il joue ne passe pas chez les voisins algériens attachés à une solution politique et bien plus proches du président du Conseil national (CNA) libyen Faiez Esseradj. L'homme est très proche des autorités algériennes et entreprend fréquemment des visites à Alger. Il est surtout l'ennemi juré de Haftar. Epargné par toute critique ou toute velléité de ce voir écarter de l'échiquier libyen en provenance d'Algérie, le général n'a cependant pas trouvé prétexte à réagir contre le pays tout au long de ces dernières années. Méfiant, l'on dit de lui qu'il surveillait pourtant le moindre faux-pas. Une visite d'amitié effectuée par l'actuel ministre algérien des Affaires étrangères en 2017 a ainsi déclenché son courroux car elle s'est étendue sur des territoires contrôlés par ses troupes. Un député du Parlement de Tobrouk, visiblement chargé de cette mission, a réagi en accusant Abdelkader Messahel de s'être introduit sans autorisation sur ce territoire. L'affaire a été passée sous silence. Aujourd'hui Haftar va plus loin.
Des mots plus forts que les balles
Ce 8 septembre, des mots plus forts que les balles résonnent en Libye. Haftar menace d'entrer en guerre contre l'Algérie et l'accuse d'avoir violé la souveraineté de son pays. «En temps de guerre, a-t-il déclaré, on ne permet à personne de s'approcher de nous. Les Algériens ont profité de l'occasion et ont pénétré sur le territoire libyen. J'ai envoyé le général Abdelkrim à Alger pour leur dire que ce qu'il s'est passé n'est pas fraternel». Il évoque la possibilité de «déplacer en quelques instants la guerre en Algérie». Aucune réaction ne suit. Ce silence provoque la colère du responsable du MSP qui exige des explications. Des interrogations légitimes se posent un peu partout.
Sur les réseaux sociaux, le sujet est d'actualité. Il prend de l'ampleur y compris en Libye où les autorités officielles prennent 48h après la décision de se démarquer des propos tenus pas Haftar. La nouvelle a été annoncée hier, le ministre libyen des Affaires étrangères dans le gouvernement d'union nationale soutenu par l'Algérie a eu une conversation téléphonique avec son homologue algérien qualifiant la déclaration faite «d'irresponsable». Selon lui, les «autorités libyennes» sont attachées au renforcement des relations avec l'Algérie. Abdelkader Messahel a, lui, «rassuré» le ministre libyen, affirmant qu'aucune déclaration ne peut porter atteinte aux «relations fraternelles» entre les deux pays. L'Algérie, dit-il, poursuivra ses efforts en faveur d'une «solution politique» de la crise libyenne. Crise passagère '
A. C.
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Posté Le : 11/09/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Abla Chérif
Source : www.lesoirdalgerie.com